Régénération : investir les dynamiques vitales
Ressourcement. Nous avons plus que jamais besoin de puiser des ressources nouvelles. Avec l'éclatement des bourgeons en ce printemps 2024, le temps est tout trouvé pour revisiter mon dernier livre L'urgence du vivant, Vers une nouvelle économie, publié il y a presque 6 ans. Tout un chapitre y est consacré à REGENERATION ... que je vous propose de revisiter - ici chaque semaine. Il s'agit de revoir ensemble le sens biologique de ce terme fascinant, comment il a inspiré les modes d'action inédits chez divers pionniers, pourquoi il porte l'espoir d'une réorientation radicale de nos pratiques industrielles et économiques, quelle est sa fécondité potentielle?
Tous ceux qui cultivent la terre ou s’occupent d’un jardin s’étonnent de voir au printemps sortir des pousses vertes vigoureuses de souches qui semblaient mortes ou de graines racornies ou desséchées. Et la prolifération des insectes, des moisissures, est non moins sidérante. Bien d’autres phénomènes restent invisibles comme le renouvellement de nos cellules : notre paroi intestinale est renouvelé intégralement tous les quatre jours ! Nos cellules sont bien plus jeunes que nous ! Cette remise à neuf permanente ou régénération est une réalité qui inspire de plus, jusqu’aux économistes. Car, moteur du vivant, elle est condition de notre avenir.
Sa source n’est pas dans l’ADN – qui contient, certes un plan de croissance – ni dans quelque essence extraordinaire : elle est dans l’interdépendance. Le germe pousse à la lumière, sur un peu de terreau ou d’eau. Le milieu de vie est donc le trésor à protéger. Or nous le fragmentons avec des routes, des coupes, et l’extension urbaine. Nous imaginons surtout que nous pouvons suspendre ce phénomène, le mettre en boîte, tenir en laisse son évolution... Pire, nous perturbons les échanges qui structurent les organismes par nos matières chimiques exogènes, dont certaines sont de vrais leurres pour les organismes vivants.
Mais tout cela n’est pas une fatalité : nous pouvons faire d’autres choix de production… pour agir avec les dynamiques vivantes. Plus précisément, il s’agit de nous réinscrire dans les « milieux de culture » qui sont les nôtres. Cela implique une écoute, une adaptabilité, une manière de miser sur l’imprévisible, l’inconnu. Toute la puissance du vivant se tient dans la mise en relation et la synchronisation entre les échelles par rétroactions multiples.
Une nouvelle culture industrielle se trame, fluide, communicante, et évolutive. Elle émane des jeunes générations et de tous ceux qui ont compris que tout confinement, toute fixation, tout brouillage sont des poisons. Les outils numériques, biotechs ou chimiques disposent devant nous d’innombrables possibilités. Reste à savoir lesquelles choisir pour soutenir le travail du vivant. Et comment les flux financiers qui tendent à calibrer, accaparer, immobiliser (sous forme de rente) peuvent désormais protéger les valeurs vitales.
Est-ce affaire de bon sens ou de survie ? Tout s’articule aujourd’hui autour d’un besoin de cohérence : il faut agir en intégrant les contingences de son milieu. Comme des opportunités ! On le voit à Détroit ville-fantôme du Michigan, vestige de la gloire automobile et de la crise des subprimes, qui renaît par ses jardins urbains, ses squats inventifs, et des aventuriers qui expérimentent les possibles… On le découvre, près de New York, à Tottenville où la désolation fait place à la… régénération. Des gens motivés comme Linda Cutler Hauck remettent en mouvement les habitants. Elle s’appuie sur le réseau actif du think tank américain Capital Institute, fondé en 2010 par John Fullerton , qui promeut le « régénérative capitalism ». « Ensemble, nous redéfinissons la richesse et réimaginons la finance au service de l’émergence d’une économie écologiquement et socialement régénératrice, en respectant les fonctions vitales de l’écosystème. » Cofondateur de la société de gestion de « ranch holistique » Grasslands LLC, et administrateur du Savory Institute , cet ancien conseiller chez JPMorgan est au cœur d’un réseau international dense et influent qui habite déjà… dans le nouveau monde ! John Fullerton compare la bascule vers la « civilisation de la régénération » à la révolution copernicienne. Dans un rapport paru en 2015, il explique qu’il n’est plus question de miser sur des parties séparées, d’imaginer des compensations après les dégâts. « Nous portons notre attention sur les flux, les dynamiques complètes et l’anticipation des effets[1]. »
La priorité est donnée à la vision systémique. Le Capital Institute a décrit, dans un livre blanc, huit principes pour soutenir cette économie régénératrice[2]. Comme un usager de monocycle, il s’agit sans cesse de viser les équilibres et d’articuler efficacité et résilience, collaboration et compétition, diversité et cohérence, besoins différents des petites, moyennes et grandes organisations. Ce cadre d’action peut être regardé comme le fruit du travail de l’économiste Herman Edward Daly, qui a publié dès 1968, un article majeur proposant de considérer l’économie comme une science du vivant[3]. Il compare le métabolisme cellulaire « pour la vie » et les phénomènes économiques « pour la jouissance de la vie ». Pour lui, « dans la mesure où l’économie se concentre sur la valeur en échange (utilité marginale) à l’exclusion de la valeur d’utilité (utilité totale), elle ne se préoccupe que d’une portion infinitésimale de la valeur totale de la vie ». Daly est à l’origine du « Genuine progress indicator » (indicateur de progrès véritable), qui corrige le produit intérieur brut (PIB) des pertes dues à la pollution et à la dégradation de l’environnement. Ce pionnier, élève de Georgescu-Roegen, a aussi œuvré en faveur de la diffusion du modèle bioéconomique de ce dernier.
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On retrouve John Fullerton dans bien d’autres réseaux comme l’Alliance pour la soutenabilité et la prospérité[4] qui abrite une vingtaine d’organisations, dont l’Institut Veblen en France. Des lieux d’enseignements diffusent aussi les repères de l’économie régénératrice. En Californie, c’est un architecte qui a fondé le John T. Lyle Center for Regenerative Studies. En Europe, l’Université de Louvain accueille une formation coordonnée par Guibert del Marmol . Cet économiste qui a dû affronter un burn-out sévère connaît les intrications profondes des énergies vitales. « Dans ce monde en mutation, n’être que durable ne suffit plus, estime le cocréateur de la Fondation Lunt basée à Bruxelles. Nous avons besoin d’un modèle économique régénérateur, créant pour tous plus de valeur qu’il n’en détruit, un modèle qui unit les mots économie, écologie et sens. Ce modèle est émergent. Il représente une opportunité incroyable pour les organisations qui désirent se développer de façon pérenne tout en devenant les “solutionnaires” d’un modèle économique au service de la vie. »
... à suivre la semaine prochaine, le 26 mars !
[1] Jo Confino, « Beyond capitalism and socialism: could a new economic approach save the planet? » The Guardian, 21 avril 2015.
[3] Herman Edward Daly, « On economics as life science », Journal of Political Economy, Vol. 76, N° 3 (May - June, 1968), pp. 392-406.
Artiste en développement durable
9 moisMerci cet état des lieux régénérant !
(He/him) Holistic thinker & servant design leader scouting regenerative service ecosystem, from purpose to impact
9 moisMerci Dorothée d’offrir un peu de perspective aux arrivants.
Fondatrice dirigeante de We Engage⎜Experte transition durable des PME, ETI & entreprises familiales⎜Alignement stratégique 🌿⎜Investisseure à impact
9 moisMarie-Capucine Lemétais ;)
Face aux mutations, nous aidons les dirigeants à aligner vision, stratégie et mise en action, à communiquer et engager.
9 moisMerci Dorothee BROWAEYS De quoi questionner les fondements de nos analyses
Sociologue, Psychosociologue 🌱 Transformations régénératives
9 moisMerci Dorothee BROWAEYS pour cette perspective profonde et ces références solides sur les dynamiques vitales. Vivement la suite de la petite histoire !