Réglementaire - Quelle réponse à la gestion des crédits non performants ? (la suite)
Dans mon précédent article, je vous avais proposé un point de vue quant à l’impact sur les banques d’une augmentation de l’attention du régulateur concernant la gestion des portefeuilles de crédits non performants. J’avais proposé de présenter une ébauche de réponse à cette problématique.
Cette proposition se fonde sur les hypothèses suivantes :
- Le régulateur portera son attention sur la gestion des collatéraux éligibles
- Les JST challengerons les banques sur le «Comply » à partir du moment où le stock de NPL originés depuis le 24 avril 2019 sera suffisamment impactant (i.e. soit à partir de 2021). D’ici là, il se concentrera sur les avancements des différents plans d’action des maisons mères et des filiales concentrant le risque de crédit (probablement les filiales de consumer finance, les filiales italiennes et, dans une certaine mesure, celles de retail international)
- La réponse apportée dans le délai offert par la montée en charge sur le « Comply » ne permet qu’une réponse tactique sous 18 mois. La réponse cible devra être en place sous 3 ans
- Les établissements bancaires ont la volonté de répondre à la demande réglementaire et, de ce fait, octroient les financements nécessaires afin d’assurer leur conformité
De même, j’identifie certains risques majeurs à gérer :
- Lancer un projet réglementaire sans une gouvernance claire dès le départ : C’est un principe de bon sens qui n’est que rarement suivi. Les établissements, dans la précipitation, lancent des projets réglementaires avec deux sponsors ou plus, en une « gouvernance partagée ». La dilution de la responsabilité va se traduire en cours de projet par des longueurs et des demi-mesures qui nuiront à la bonne fin du projet. Le risque sera de ne pas être en mesure de présenter un état d’avancement suffisant au régulateur et se voir imposer des couches supplémentaires de capital réglementaire
- Ecrire une politique ne suffit pas : Certains établissements (et chefs de projets) dans un objectif de « Checking the box », se limitent à escalader localement les politiques rédigées en central. Malheureusement, un exercice purement documentaire ne pourra plus, aujourd’hui, répondre aux exigences du régulateur européen. Le risque est le même que précédemment
- Piloter le projet sur une logique budgétaire de court terme : Dans un cadre de ressources limitées et de baisse de rentabilité des banques, de plus en plus d’établissements ont tendance à rogner sur les budgets des projets réglementaires quand bien même les exigences en la matière augmentent. Aux mêmes causes, les mêmes conséquences, un projet réglementaire lancé mais qui n’aboutit pas faute de moyens se traduira à terme pas un impact en capital… sans compter que le projet devra être terminé en urgence !
Je pourrais continuer avec quelques autres exemples de risques mais l’idée reste la même : Un projet autour du NPL ne doit pas être présenté comme un mal nécessaire. Il s’agit d’une rare opportunité de se pencher sur le processus d’octroi de crédit dans son ensemble. Le projet doit permettre, in fine, certes de répondre à une demande réglementaire, mais également d’améliorer significativement l’efficacité opérationnelle de ce processus d’octroi, d’en renforcer la fiabilité et d’améliorer l’expérience client. Considéré comme un projet d’entreprise, un projet autour du NPL doit être économiquement rentable.
Dans le cadre d’une démarche projet, on peut définir 3 objectifs à cette démarche :
- Cartographier finementl’écart existant entre la pratique telle qu’elle se présente au sein des équipes opérationnelles et la théorie, telle qu’elle se présente au sein des textes, internes et externes aux banques
- Déployer un plan d’action permettant de répondre à la demande réglementaire et d’optimiser le processus d’octroi
- Ajuster les systèmes d’informationet mettre en place une base de données NPL identifiant clairement Encours, Clients et Collatéraux permettant de monitorer le portefeuille en assurant un reporting détaillé et rapide
Du point de vue opérationnel, le projet va se structurer en 3 thèmes, en ligne avec les trois objectifs définis:
A. Cartographier clairement l’écart existant entre pratiques et politiques internes
B. Proposer un plan d’action tactique permettant de faire converger pratiques et politiques en optimisant le processus d’octroi
C. Ajustement des systèmes d’information et construction d’une base de données NPL
En amont de la mise en œuvre de cette méthodologie, il est nécessaire, au pire, d’identifier un SPOC dans les entités, et au mieux, de mettre en place une équipe projet localement. De nouveau, l’organisation projet doit être stable avant d’entamer les travaux.
A. Cartographie des écarts entre politiques et pratiques :
Le premier chantier doit permettre dans le court terme (2 à 4 mois) de vous aider à appréhender le quotidien des opérationnels. Le quotidien varie de façon significative d’une filiale à l’autre (on ne travaille pas de la même manière chez Crédit du Nord, chez Boursorama et au sein du Réseau Société Générale, par exemple). Il est donc nécessaire de travailler avec un processus existant plutôt qu’avec une vision théorique.
Cette première étape peut s’appuyer sur la constitution d’un questionnaire que les entités rempliront. Il peut être complétée par un test d’échantillonnage qui vient prouver ou mettre en question les réponses obtenues sur le questionnaire.
Après analyse du questionnaire, l’équipe projet demandera des documents justifiant les réponses de la grille. Il est indispensable que les éléments documentaires soient demandés une fois les grilles récupérées.
Lors de cette première phase, une coordination hebdomadaire des entités sera nécessaire.
B. Proposition de plan d’action tactique afin de réduire les écart politiques / pratiques :
Sur la base de l’analyse menée précédemment, un plan d’action spécifique à chaque entité doit être mis en place, en concertation avec les équipes projet locales. Le plan d’action qui doit être mis en œuvre dans le court terme (6 mois à partir de la fin de la première étape) et doit permettre notamment de réduire rapidement les écarts de pratique (ou justifier les écarts non résolubles). En complément de ce plan, un ajustement des systèmes IT est nécessaire.
C. Ajustement des systèmes d’information et construction d’une base de données NPL
L’analyse faite au cours de l’étape 1 doit dégager a minima trois types d’ajustements :
- Complétion des données disponibles : Lors de la revue des pratiques et suite aux demandes réglementaires complémentaires, les données disponibles au sein des systèmes doivent être revue (évolution de leur définition, données sources à ajouter). De fait, cette complétion peut se traduire, non seulement par une évolution des modèles de données des systèmes mais également par une évolution des IHM et, de fait, des pratiques métier.
- Industrialisation des extractions à des fins de monitoring et de reporting : Les monitorings d’activité et les reportings réglementaires vont exiger une granularité plus importante et une fréquence plus élevée. De fait, la mise en place des dashboards va passer par une amélioration de l’efficacité des processus de reporting, notamment grâce à l’industrialisation du processus de mise en place de ces reportings. La première étape de cette industrialisation va passer par la définition d’extraction systèmes automatisées
- Mise en place d’une base de données NPL : La base de données NPL doit permettre de monitorer de façon autonome les encours entrant et sortant du portefeuille NPL, les garanties reçues associées (et notamment les collatéraux éligibles) et les clients associés. Elle doit permettre d’obtenir rapidement les dates de passage en FBE des encours (s’il y a eu une phase de restructuration), accéder rapidement aux évaluations successives des collatéraux, permettre de backtester l’évolution de la valeur des collatéraux … L’impact de certains ajustements sera significatif : depuis la création des banques, on considère les collatéraux comme étant des attributs des encours. Aussi, il est rare de les voir apparaitre de façon indépendante au sein des systèmes d’information (à l’exception notable de certains environnements CIB).
J’espère que ces quelques éléments vous auront donné matière à réflexion. Bien entendu, ces deux articles expriment mon point de vue sur la réponse à apporter à ce sujet réglementaire. Ces éléments sont parcellaires : je ne pouvais pas présenter une méthodologie projet complète en quelques lignes. De plus, ce point de vue doit être nuancé au regard du contexte de l’entreprise et de la réalité de son activité. N’hésitez pas à me contacter pour échanger sur ces sujets.
Sources :
- « Les risques pour le système bancaire et les priorités de supervision pour 2019 » - Secrétariat Général de l’ACPR – Avril 2019
- « ECB revises supervisory expectations for prudential provisioning for new non-performing loans to account for new EU regulation » - Presse Release – ECB – Août 2019
- « ECB publishes supervisory banking statistics for the first quarter of 2019 » - Press Release – ECB – Juillet 2019
- CRD IV – CRR
- « Revised Rules on capital requirements / CRR2… » - European Commission - EU – Avril 2019