réponse à l'article "Instead of viewing cocoa as a problem, we consider it as a key to restoring dynamic, forest-like ecosystems"
Bonjour Mr. Joachim Milz,
Je suis Bruno Devresse, Directeur Exécutif d’APAF internationale (Association pour la Promotion des Arbres Fertilitaires de l’agroforesterie et la foresterie) et « l’inventeur » du concept technique et méthodologique agroforestier par les arbres fertilitaires de l’APAF. Sur la demande de M. Pascal Humbert, Président de l’association, je me joins à cet échange avec vous.
Nous sommes bien d’accord avec vous quand vous dites que « Depuis longtemps la culture de cacao est considérée comme l’une des principales causes de déforestation » et « qu’au lieu de considérer le cacao comme un problème, nous le considérons comme une clé pour restaurer des écosystèmes dynamiques et forestiers ».
Les membres de l’APAF ont redécouvert, au Togo en 1992, de vieux champs agroforestiers de cacao. Différentes essences d’arbres étaient associées aux cacaoyers. A l’époque nous avons demandé aux paysannes et paysans cultivant ces vieilles cacaoyères de nous montrer les cacaoyers les plus productifs dans leurs champs, ensuite nous avons « identifié » les essences d’arbres proches de ces cacaoyers très productifs. Fin 1993 nous avions déjà identifié plus de vingt essences d’arbres fertilitaires pouvant être associés aux cacaoyers tels que le Samanea saman, Albizia stipulata, Albizia adianthifolia, Albizia zygia, Artocarpus camansi, Ricinodendron heudelotii… Par la suite, nous avons continué ces recherches en Côte d’Ivoire et au Cameroun, ce qui fait qu’actuellement nous vulgarisons 49 (quarante-neuf) essences d’arbres fertilitaires pour fertiliser les cacaoyers.
N.B : c’est en 1993 que les Dr Hughes Dupriez et Philippe de Leener ont définis ce qu’est un arbre fertilitaire : « Un arbre fertilitaire est un arbre dont l’activité enrichit la couche arable d’une terre, en améliore la texture et en favorise la structuration. Pour exercer efficacement sa fonction dans les champs, il doit être convivial, c’est-à-dire qu’il ne peut entrer en concurrence forte avec les espèces cultivées pour leurs productions domestiques ou marchandes »
Actuellement au Togo, en Côte d’Ivoire et au Cameroun, l’APAF a mis en place, avec plus de 25.500 familles paysannes, plus de 45.000 ha de champs de cacao fertilisés par des arbres fertilitaires (AF). Ces champs agroforestiers APAF sont appelés des « champs multiétagés » ou « cultures en sous étages ».
Cette technique agroforestière APAF est très apparentée à celle pratiquée dans les anciennes plantations cacaoyères et caféières africaines depuis l’introduction de ces cultures, au temps colonial. Elle consiste à pratiquer les cultures de rente (café, cacao, anacardier, palmier) ou vivrières, sous l’ombrage de grands arbres fertilitaires et parfois de valeur économique certaine (Iroko, Acajou, Samanea saman…). C’est donc une technique agricole africaine ancestrale, réactualisée depuis 1993 par l’APAF, que celle-ci vulgarise dans les villages de ses zones d’interventions au Togo, en Côte d'Ivoire, au Cameroun et au Bénin.
Les arbres fertilitaires sont espacés, au démarrage du champ agroforestier, de 10 à 15 mètres (soit 100 à 120 arbres par hectare) ; après 30 ans, un minimum de 50 à 60 arbres fertilitaires seront conservés par ha.
. Les paysans cultivent en dessous et autour de ces arbres fertilitaires qui ont la particularité d’être conviviaux avec les plantes cultivées. Ici, on parle bien d’arbres qui, conduit en port arborescent sont conviviaux avec les cacaoyers ce qui exclus d’office le Gmelina, les Acacias, les Eucalyptus et tous les arbres non fertilitaires qui exigent d’être taillés ou émondés continuellement s’ils sont associés aux cacaoyers.
Cette technique agricole africaine ancestrale que l’APAF a réactualisée permet aux paysannes et paysans africains d’abandonner la culture itinérante sur brûlis et de cultiver les mêmes parcelles de terre, année après année, de génération en génération de paysans, sans utiliser de coûteux intrants externes (engrais chimiques et pesticides de synthèse), ceci tout en reboisant les terroirs de leurs villages
Pour mettre en place de nouveaux champs de cacaoyers ou caféiers, les paysans n’ont plus besoin d’un front forestier à détruire pour installer de nouvelles plantations. Les A.F. permettent aux paysans de reconquérir des terres fortement dégradées. Après 3 ou 4 années d’implantations des A.F., les sols retrouvent leur richesse pour cultiver durablement le Cacao ou le café.
Schématiquement le concept technique et méthodologique agroforestier mis au point et vulgarisé par l’APAF dans les villages se dessine comme suit :
Du point de vue des techniques agroforestières, il s’agit essentiellement d’introduire des arbres fertilitaires (AF), dans les champs des paysans, en appliquant les techniques de régénération naturelle assistée (RNA) jointes là où c’est nécessaire, à des systèmes de complantation.
En ce qui concerne la méthodologie d’intervention dans les villages, il s’agit de mettre en pratique une démarche participative et volontaire incluant la formation des paysannes et paysans aux différentes techniques agroforestières, dans leurs champs individuels, ainsi que dans les pépinières villageoises. Il s'agit d'une action de développement « autocentré » sur la participation active des intéressés.
En formant directement les paysans dans leurs champs, l’APAF a trouvé la solution méthodologique pour vulgariser un système agroforestier, dit par certains « trop complexe », avec de nombreuses essences d’A.F.
Les AF peuvent être à la fois fertilitaires et fourragers et fruitiers. Les AF peuvent également être associés à toutes sortes de cultures : à des arbres fruitiers (agrumes, manguiers…), aux cultures de rente (cacao, café, anacardier, avocatier…) et aux cultures vivrières (bananes, Taro, maïs, mil, sorgo, arachide…) Les A.F. fournissent du bois d’œuvre et du bois de chauffe
L’arbre fertilitaire doit être issu d’un semis (et non d'une bouture) de façon à former une racine pivotante seule capable de remonter des profondeurs du sol (de 10 à 30 m) les minéraux (N, P, K…) et l’eau nécessaires à l’enrichissement de la couche arable. Autre avantage, des bactéries fixatrices d’azote (rhizobium) et des champignons (mycorhizes) qui sont les rabatteurs de phosphore, potasse et autres minéraux, vivent en symbiose avec cet arbre.
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Des champignons mycorhiziens vivent de même en symbiose avec les plantes cultivées et rabattent pour celles-ci les minéraux (N, P, K…) redistribués par les arbres fertilitaires (AF). Les mycorhizes facilitent également l’absorption de l’eau par les plantes, permettent à celles-ci d’acquérir une meilleure résistance à diverses attaques de pathogènes en provenance du sol, et élaborent des substances antibiotiques et vitamines dont les plantes profitent directement.
Également, nous savons que chaque année les feuilles des arbres fertilitaires (et de tous les arbres) tombent et constituent une litière sur le sol qui enrichit la couche arable. Mais également, les racines fines des arbres (celles-ci représentent un tiers de la masse racinaire totale des arbres) meurent chaque année comme les feuilles et forment une litière souterraine qui en se décomposant enrichit la couche arable du sol (Francis Hallé : Docteur en biologie et en botanique). C’est ce phénomène qui explique que les arbres fertilitaires (AF) sont capables, en 3 ou 4 années de recréer la couche arable d’une terre complètement appauvrie.
- Inoculations des plantules dans les pépinières :
Sur les projets APAF, la sélection de souches indigènes de rhizobium et mycorhizes performantes pour les arbres fertilitaires (AF) et de souches indigènes de mycorhizes (et éventuellement rhizobium) performantes pour les plantes cultivées est réalisée suivant une démarche « naturaliste et empirique ». Nous prélevons de la terre dans l'assiette racinaire d'un AF ou d'une plante cultivée visiblement en « très bonne santé » dont le rendement fertilitaire ou la production est confirmée comme très performant par le propriétaire (producteur) de la plante considérée. Cet échantillon de terre contenant les mycorhizes et rhizobium performants devant, idéalement, provenir du même type de sol, situé à la même altitude et, si possible, proche géographiquement du champ agroforestier à « inoculer ».
Tous les arbres fertilitaires, forestiers ou fruitiers produits dans les pépinières APAF sont inoculés.
Ces techniques agroforestières vulgarisées par l’APAF inversent le processus de dégradation des terres par la pratique de systèmes d’exploitation économiquement viables et écologiquement stables. On utilise mieux les ressources disponibles, (terres, eau, sources d’énergie, matières organiques et minérales…) afin d’assurer un équilibre écologique à long terme des sols fragiles. Il s'agit d'améliorer la productivité et de garantir la sécurité alimentaire.
Au niveau des rendements des champs agroforestiers par les arbres fertilitaires APAF de cacao :
1. Dans les champs comprenant 700 à 800 cacaoyers à l’ha plus des fruitiers et du vivriers nous obtenons de 850 à 1000 kg de fèves de cacao à l’ha par an.
2. Dans les champs comprenant plus de 1.000 cacaoyers à l’ha nous obtenons de très bons rendements de l’ordre de 1.000 à 1.750 kg de fèves de cacao à l’ha et par an et ceci sans engrais chimiques ni pesticides de synthèses, juste un bon entretien des cacaoyers (tailles de formation et sanitaire des cacaoyers) et tailles des branches basses si nécessaire et abattages sélectifs des arbres fertilitaires (AF) au cours du temps.
Dans les champs agroforestiers de cacao APAF il n’est nullement question d’émonder, d’élaguer ou de tailler en permanence les arbres associés aux cacaoyers comme il est recommandé dans les techniques d’agroforesterie successionnelle ou agriculture syntropique et en agroforesterie dynamique car ces techniques, que l’APAF a expérimentées dans les années 1992 et 1993, ne sont pas adoptées par les paysans. Ceux-ci les trouvant non rentables.
Tailler continuellement des arbres demande du matériel adapté, tronçonneuses télescopiques ou non, échelles, scies… matériels que les producteurs de cacao qui vivent déjà dans la précarité ont d’énormes difficultés à se procurer, mais de surcroît ces techniques sont physiquement dangereuses, chronophages, énergétivores et très fatigantes pour ces mêmes paysans. De l’avis même d’un occidental qui pratique l’agroforesterie successionnelle sur sa plantation de cacao, celle-ci n’est pas rentable car elle exige beaucoup trop de main d’œuvre pour l’entretien.
Par contre, la technique agroforestière par les arbres fertilitaires vulgarisée par l’APAF est très rapidement adoptée par les paysannes et paysans, la preuve étant le succès rencontré par l’APAF dès que celle-ci a les moyens d’intervenir dans un village.
L’agroforesterie par les AF exige très peu de main d’œuvre, à la place de faire fonctionner ses muscles on fait fonctionner son cerveau en choisissant bien les arbres fertilitaires à implanter, par plantation ou RNA, en inoculant bien les arbres à planter et en mettant une bonne densité d’AF à l’ha.
En conclusion
Le cacaoyer est originellement un petit arbre de sous-bois qui supporte bien le léger ombrage de certains arbres. Simplement, pour que les cacaoyers aient un bon rendement il faut bien sélectionner les arbres fertilitaires à leurs associer et surtout, pour obtenir une bonne adoption par les paysannes et paysans des techniques qui associent les arbres aux cacaoyers, il faut éviter de vulgariser des techniques non-rentables et qui donnent une inutile surcharge de travail aux producteurs de cacao.
Bruno Devresse