La mauvaise réputation : Raison n°3 - Questions problématiques
Notre manière de formuler les questions et/ou de ne pas du tout les poser
La dernière fois nous avons étudié l’effet que produit la construction des phrases en anglais quand on se sert d’un vocabulaire contenant beaucoup de mots d’origine latine. Une tendance assez forte chez les Français, car la proximité avec notre langue facilite l’adaptation de notre vocabulaire préexistant. On observe le même phénomène lorsque notre syntaxe se calque sur une structure de phrase française, l’exemple le plus flagrant de ce phénomène étant celui des structures interrogatives. La troisième raison pour laquelle les Français apparaissent comme impolis voire imbuvables au yeux des anglophones se profile donc… Il s’agit de notre façon de poser des questions et, parfois, de ne pas en poser du tout.
Discrétion !
Dès mon arrivée en France, il y a un petit bout de temps maintenant, j’ai été confronté à un énorme point de divergence entre ma culture d’origine et celle de l’hexagone : si la France n’a plus de roi à la tête de son pays, c’est pourtant bien la discrétion qui règne en maître. Lorsqu’une personne est reçue dans un foyer français, et qu’il y reste plusieurs jours, quel est le plus grand compliment qu’on puisse lui décerner ? “Il était vraiment sympa” ? “On s’est éclaté ensemble” ? Non. De mon expérience, le compliment le plus positif va plutôt dans le sens de : “Il était discret...”, “il ne nous a vraiment pas dérangé”. Comme si le meilleur invité... est celui qui existe à peine ! En France, si le client est roi, la discrétion est reine.
Ce problème de formulation interrogative en anglais prend racine tout d’abord dans l’absence d’un mécanisme interrogatoire, liée à un aspect propre à la culture française (bien que d’autres langues suivent la même logique). En français, quand on pose une question un peu osée ; “combien tu gagnes, toi ?”, “elle a quel age, ta femme ?”, “il appartient à qui, ce slip ?”... d’un réflexe dont le genou du chien de Pavlov serait fier, on ajoute souvent un petit “si c’est pas indiscret…”, comme si s’intéresser ouvertement aux autres faisait partie des péchés capitaux. Et tout ceux qui ont passé trois minutes avec un Américain savent à quel point la discrétion n’est ni leur priorité, ni leur point fort (surtout quand on parle salaire!).
Fautive syntaxe (sic)
Une fois ce réflexe pavlovien mis de côté, nous avons tendance à tomber dans un autre piège tout à fait différent : celui de penser que la syntaxe interrogative anglaise est d’une complexité extravagante. Alors qu’in fine, quand on connaît un peu la langue anglaise, on se rend bien compte que les formulations sous forme de questions sont bien plus simples !
Il s’agit d’une formule facile à appliquer :
Certes, cette construction de phrase peut exister en français (ex. “Quand as-tu mangé?”) mais cette formulation n’est pas la seule possibilité et est surtout loin d’être la structure interrogative la plus employée par les francophones de manière spontanée. Il existe plusieurs structures dites interrogatives en français, la plupart d’entre elles sont plus populaires et communes que la structure détaillée ci-dessus, de manière non-exhaustive.
- Inversion de type (WH-) ASV - “As-tu mangé ?”
- Inversion de type (WH-) VS - “Manges-tu ?”
- SAV avec intonation - “Tu as mangé ?”
- Est-ce que + phrase affirmative - “Est-ce que tu as mangé ?”
Si on regarde les quatre formes interrogatives citées ci-dessus, à votre avis, laquelle utilise-t-on le plus souvent, particulièrement à l’oral ? Elles sont loin d’être les plus correctes, mais d’un point de vue descriptif (plutôt que prescriptif), c’est la 3ème et la 4ème qui nous viennent plus facilement à l’esprit et qui se glissent sans friction dans notre langage quotidien. De plus, la plupart des manuels de langue française qui visent à fournir des informations sur la langue vraiment parlée par les francophones lorsqu’on pose les questions, commencent souvent par donner l’exemple des troisième et quatrième formulations avant d’arriver à l’inversion, qu’ils décrivent souvent comme peu utilisée et quelque peu difficile à maîtriser.
N.B. On ne parle évidemment pas des questions dont le but est de révéler le sujet et qui ne subissent aucune inversion dans les deux langues (ex. “Qui a mangé toutes les chouquettes ?” = “Who ate all the chouquettes?”), on ne parle ici que des questions non-sujet.
Intonation mal maîtrisée
Et les anglophones dans tout ça ? Inversent-ils ou n’inversent-ils pas ? Je dois avouer que l’anglais permet également de formuler des questions sans inversion, surtout en situation informelle et pour des questions assez courtes (ex. “Tu veux un café ?” ≈ “You want a coffee?”). Pour les francophones, deux aspects sont à prendre en compte . Tout d’abord, il est fort probable qu’il s’agisse ici d’une élision de l’auxiliaire (donc plutôt “[Do] you want a coffee?”). Ensuite, quand on pose une question sans inversion (et sans élision), on court le risque de donner l’impression d’exprimer un ordre (“Tu viens avec moi ?” ≠ “You come with me”). Même si j’ai du mal à l’avouer, après tous mes efforts à cet égard, les Français ne sont pas les plus forts en termes d’intonation anglaise (encore une fois, ne parlons pas de l’intonation des anglophones en français, ce n’est pas le sujet...), ce risque est tout à fait réel. Dès lors, si un anglophone finit par comprendre qu’il s’agit bien d’une question mal-posée plutôt que d’un ordre, il se hérisse instinctivement avant de répondre... et ce sentiment gâche toutes les interactions futures.
Bon, je laisse tomber...
Que résulte-t-il de tous ces éléments interrogatifs qui empêchent une interaction relativement neutre entre Français et anglophones ? Vous l’avez deviné... on finit par ne plus poser la moindre question ! Face à des grimaces impossibles des anglophones quand on pose des questions légèrement mal formulées, on préfère tourner sept fois la langue dans sa bouche et se taire. Résultat, on ne pose plus de question du tout, ce qui donne l’impression aux anglophones qu’on se fiche d’eux et des autres en général, trait de caractère propre aux personnes… et oui... prétentieuses.
Comme j’ai essayé de vous l’expliquer dans mon précédent article, il s’agit encore une fois ici d’un malentendu inconscient entre Français et anglophones. Avec les anglophones, nous Français ne pouvons pas gagner en nous disant que c’est de leur faute, qu’on le veuille ou non, c’est l’anglais que l’on parle... Une meilleure compréhension des structures interrogatives serait donc un bon début pour commencer à améliorer nos relations avec nos frères-ennemis.