RECOURS CONTRE UNE SENTENCE ARBITRALE INTERNATIONALE ?
La « rapidité » d’obtention d’une sentence arbitrale a un pendant négatif : la quasi-absence de recours. En effet :
- les sentences sont en général rendues en dernier ressort, donc sans possibilité d’appel,
- le recours en annulation est extrêmement limité.
La confiance que l’on accorde aux arbitres qui, contrairement aux juges, ont été choisis, fait sans doute que chacun s’attend à une « bonne » décision. Il n’empêche, il y a le plus souvent un gagnant et un perdant lequel peut avoir envie de contester la sentence. Le nombre des recours en annulation le prouve (au 30 juin 2023, environ la moitié des affaires en cours devant la Chambre internationale de la CA de Paris, soit plus de 100).
L’article 1520 du code de procédure civile limite le recours à 5 cas :
1) le tribunal arbitral s’est déclaré à tort compétent ou incompétent
2) il a été irrégulièrement constitué
3) il a statué sans se conformer à la mission qui lui a été confiée
4) la contradiction n’a pas été respectée
5) la reconnaissance ou l’exécution de la sentence est contraire à l’ordre public international.
Les 4 premiers griefs sont des griefs disciplinaires qui ne peuvent avoir qu’un caractère exceptionnel. Il est bien rare qu’il y ait un arbitrage sans clause compromissoire ou compromis ou que les arbitres soient irrégulièrement désignés. Le 3e cas est le pendant exact de la méconnaissance des termes du litige telles qu’on la connaît dans le cadre du pourvoi en cassation, les arbitres devant naturellement statuer sur ce qui leur est demandé et ne pas excéder les limites de leur saisine.
Le 4e cas correspond également à la violation de l’article 16 du code de procédure civile telle qu’on la soulève dans le cadre du pourvoi en cassation. Selon la formule consacrée, ce principe « exige que les parties aient pu faire connaître leurs prétentions de fait et de droit et discuter celles de leurs adversaires de telle sorte que rien de ce qui a servi à fonder la décision des arbitres n’aient échappé à leur débat contradictoire ». Autrement dit :
- le tribunal doit se prononcer sur toutes les demandes et tous les moyens (le moyen étant, faut-il le rappeler, la réunion d’un argument de fait, d’un fondement de droit et d’un ou plusieurs éléments de preuve),
- il doit examiner tous les éléments de preuve,
- s’il soulève un fondement juridique non invoqué par les parties, il doit provoquer un débat contradictoire.
Tout cela correspond à des principes bien connus. La 5e hypothèse qui n’élargit pas substantiellement les possibilités de recours est en revanche spécifique.
L’ordre public international au regard duquel s’effectue le contrôle du juge de l’annulation s’entend des valeurs et des principes dont l’ordre juridique français ne peut souffrir la méconnaissance même dans un contexte international. Le juge devra donc rechercher en droit et en fait tous les éléments permettant de se prononcer sur l’illicéité alléguée et apprécier si la reconnaissance ou l’exécution de la sentence viole de manière « caractérisée » (donc importante) l’ordre public international (la formulation « violation flagrante, concrète et effective » a été abandonnée) .
La méconnaissance de l’ordre public international était invoquée jusqu’à présent sur deux fondements : la violation du principe de l’égalité des armes et le cas d’activités délictueuses permises par la sentence ; la jurisprudence en a ajouté depuis peu un troisième, dans une espèce apparemment encore unique : l’abus de droit.
Le principe de l’égalité des armes, élément du procès équitable tel que consacré par la Convention européenne des droits de l’homme, apparaît comme un prolongement de la contradiction avec laquelle il est quelquefois invoqué conjointement. Chaque partie doit être mise en mesure de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation substantiellement désavantageuse par rapport à son adversaire. Autrement dit :
- elle doit pouvoir faire valoir tous ses moyens de fait et de droit,
- elle doit également pouvoir produire toutes les pièces dont la pertinence est indéniable.
Ce dernier point pourra poser problème dans les affaires où corruption ou blanchiment sont par ailleurs invoqués, en raison de la difficulté pour réunir les éléments de preuve et de la longueur des enquêtes et procédures pénales auxquelles ils peuvent donner lieu. Les arbitres doivent alors rechercher au cas par cas un juste équilibre entre le droit du demandeur de voir examiner ses prétentions dans un délai raisonnable et celui du défendeur d’organiser utilement sa défense.
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La reconnaissance ou l’exécution de la sentence ne doit en outre pas permettre à une partie de bénéficier du produit d’activités délictueuses.
Sont au premier chef visés les actes condamnés par les différentes dispositions sur la compliance (Convention de l’OCDE du 17 décembre 1997, Convention des Nations Unies conclue à Mérida le 9 décembre 2003, en France loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 dite « Sapin II » codifiée aux articles articles 435-1 à 435-4 et 435-7 à 435-11-2 du code pénal) : la corruption, le trafic d’influence, le blanchiment.
Entrent également dans cette catégorie la fraude fiscale, le détournement de fonds, le non-respect des règles d’embargo, la violation d’une réglementation nationale sur les investissements étrangers, le non-respect (sous condition sans doute d’intensité) des dispositions européennes relatives à la concurrence ou encore l’escroquerie au jugement par production de faux documents, témoignages mensongers ou dissimulation de preuves.
En revanche, une partie ne peut se prévaloir de la simple méconnaissance d’une loi de police étrangère et un état invoquer la violation de sa propre législation (par exemple une inobservation des règles fiscales et douanières en dehors de toute fraude).
Par définition dissimulés, ces actes posent souvent un problème de preuve à la partie qui s’en prévaut. A cet égard, un moyen terme a été adopté.
D’une part, il n’est pas exigé qu’une condamnation pénale ait été prononcée, ni même que des poursuites soient en cours.
D’autre part, à l’inverse, des allégations générales de corruption dans le pays, l’engagement d’une simple enquête ou l’inobservation des règles de transparence édictées par la législation locale ne sont pas suffisants.
Pour admettre la violation de l’ordre public international, le juge va adopter la méthode du faisceau d’indices graves, précis et concordants (« red flags »). Sans naturellement qu’elle soit exhaustive, voici une liste de ceux habituellement pris en compte :
- l’absence ou l’insuffisance de documents précis et probants (tels que rapports, études techniques, projets de contrats ou d’amendements, traductions, correspondances, procès-verbaux de réunions ...) et dont l’origine peut être établie avec certitude,
- le non-respect de la loi locale avec par exemple l’absence d’une autorisation administrative lorsque celle-ci était requise,
- l’insuffisance des moyens matériels et humains de l’intermédiaire demandeur au regard de l’importance des diligences revendiquées,
- la disproportion entre les diligences ostensibles de l’intermédiaire demandeur telles qu’elles résultent des pièces produites par lui et sa rémunération,
- le déséquilibre significatif des prestations,
- la rémunération au pourcentage,
- une comptabilité lacunaire ou insincère de l’intermédiaire demandeur,
- l’absence ou la brièveté des négociations,
- l’absence de mise en concurrence,
- l’attribution inexplicable d’un marché au client de l’intermédiaire demandeur alors que son offre était moins bien notée que celle de ses concurrents,
- l’interposition de sociétés off shore,
- des relations particulièrement étroites entre les parties et l’existence de pratiques douteuses (cadeaux, versements … ) entre elles,
- le fait que le pays en cause ou certains secteurs de ce pays soient notoirement corrompus et que le client ait été mis en cause pour des pratiques habituelles de corruption,
- éventuellement, les poursuites engagées.
Le principe de non-révision au fond de la sentence (la révision impliquant que le juge substitue son propre raisonnement à celui de l’arbitre au terme d’une nouvelle instruction sur le fond de l’affaire) restant applicable, le juge de l’annulation ne va ni revenir sur la sentence arbitrale, ni regarder si le raisonnement suivi est correct, ni déclarer telle ou telle personne coupable de corruption, ni prononcer de sanction ; sa décision se situe au regard de la seule compatibilité de la solution retenue avec l’ordre public international et se traduira par une privation d’effet de la sentence (et donc par l’impossibilité d’entreprendre des mesures d’exécution forcée).
A ce seul égard, le juge procède cependant à un contrôle qualifié de « maximaliste ». Le nouvel examen peut être effectué même si la question n’a pas été soulevée devant les arbitres ou par eux, porter aussi bien sur les faits déjà invoqués devant le tribunal arbitral que, s’il y a lieu, sur des faits non invoqués ou survenus après la sentence et, corrélativement, n’est pas limité aux éléments de preuve produits devant les arbitres. Le juge n’est lié ni par les constatations, appréciations et qualifications opérées par les arbitres, ni par la loi de fond choisie par les parties.
Si l’annulation d’une sentence pour non-respect du principe de l’égalité des armes se justifie à tous égards, celle fondée sur la corruption et autres infractions peut avoir un effet pervers. Alors qu’il faut être deux pour corrompre, l’une des parties peut, à l’encontre de l’exigence de loyauté procédurale, se réserver des éléments pour s’en servir postérieurement à la sentence, puis instrumentaliser sa propre turpitude pour conserver les prestations reçues en étant dispensée de toute contrepartie. L’autre partie est alors en définitive seule sanctionnée. Sans compter que la lutte contre la corruption ne s’en trouve pas renforcée, il y a alors une forme de recours qui n’était pas dans l’esprit de l’arbitrage et qui favorisera assurément la partie la moins correcte.
On peut seulement espérer que les entreprises étant averties du risque encouru, celui-ci les dissuadera, quels que soient les bénéfices escomptés du marché en cause, d’entrer dans un schéma corruptif.