Rolex, décryptage du mythe
En 2021, j’avais entrepris d’écrire l’histoire extraordinaire de la marque Rolex. J’avais lu le magnifique livre THE WATCH BOOK ROLEX de Gisbert L. Brunner paru en 2017, ce qui m’avait fait comprendre qu’un bon nombre de livres précédents qui avaient abordé la marque Rolex, étaient entachés de nombreuses incohérences et erreurs historiques.
J’avais commencé mon étude en m’appuyant sur les brevets parus. Très vite, devant l’énormité que prenait l’article, j’ai scindé mon texte en quatre parties, chacune dédiée à une période. Au tant les deux premières périodes ne m’ont pas posé de problème, au tant je me suis noyé dans les deux dernières périodes, car l’ordre chronologique n’était plus adapté à la multiplication des évolutions de chaque modèle de montres. De plus, j’ai rencontré des difficultés pour trouver dans internet les informations sur les modèle disparus. J’ai donc fini par abandonné ce travail.
En 2024, en lisant l’excellent livre de Pierre-Yves Donzé, j’ai vu que cet universitaire renommé avait débuté ses recherches à partir des brevets, comme je l’avais fait, du coup j’ai regretté d’avoir abandonné. Cependant, Pierre-Yves Donzé était allé bien plus loin que moi, en utilisant une autre source, celle de l'agence publicitaire américaine J. Walter Thompson, qui a pris en main la communication de la marque Rolex à partir de 1947. Aussi après avoir remanié mon texte, je l’ai de nouveau abandonné, car je corrigeais mes erreurs avec les données issues du livre de Pierre-Yves Donzé et avec les informations de l’amateur américain Stan Czubernat qui entre temps avait découvert qu’une marque américaine avaient commercialisé bien avant Rolex une montre étanche accompagnée d’une publicité la présentant plongée dans un bocal de poisson rouge. Je n’apportais rien de nouveau. Mais j’avais conservé un goût d’inachevé, car un point me chiffonnait.
Pour reprendre les informations de l’amateur américain Stan Czubernat, Charles Leon Depollier, propriétaire de la Dubois Watch Case Company située à Brooklyn, New York. Plus connue sous le nom de J. Depollier & Son, Charles Depollier est passé de la fabrication de son tout premier boîtier de montre-bracelet militaire standard au milieu de l’année 1916 à la production de montres-bracelets complètement étanches au milieu de l’année 1918 ! En 1918, Depollier avait déjà vendu 10 000 boîtiers de montres étanches au gouvernement des États-Unis, qui comportaient déjà une couronne vissée. Les montres étanches « Field & Marine » et « Thermo » de Depollier étaient également vendues au grand public par l’intermédiaire de son réseau de publicitaires dans tout le pays ! La montre étanche « THERMO » de Waltham Depollier était la référence haut de gamme de la montre « Field & Marine ». Donc, non seulement l’Oyster de 1926 de Hans Wilsdorf, n’était pas la première montre-bracelet étanche au monde, mais en plus Hans Wilsdorf qui lisait la presse internationale a dû voir la publicité de la marque avec la montre dans le bocal de poisson rouge, car Wilsdorf reprend l’idée à son compte.
De même, Rolex ne fut pas le premier en 1931 à commercialiser une montre automatique. John Harwood avait bien inventé un calibre automatique avec un rotor limité dans sa rotation par des butées dotées de ressort, breveté en 1924 et fabriqué en série sans couronne dès 1926 avec l’aide du fabricant suisse Fortis. Bien après, Hans Wilsdorf a dû présenter des excuses publiques à l’Anglais John Harwood mais seulement en 1956 lorsqu’il a déclaré à tort que Rolex « avait inventé la première montre-bracelet automatique au monde en 1931 ». Hans Wilsdorf fut contraint de faire publier : « Nous nous excusons pour toute blessure qu’il aurait pu subir à cause de notre publicité. », mais ce n’est pas un démenti. Par ailleurs dès 1922, la marque française L. Leroy & Cie avait commercialisé la première montre bracelet automatique dite Marquise avec une masse à déplacement dans la continuité des montres gousset automatiques à tressautements de Breguet. De toute façon il faut savoir que le rotor à libre rotation complète avait été inventé et breveté bien avant, en 1778, par l’horloger liégeois Hubert Sartron.
Un autre point remis en question sur l’histoire de Rolex, porte sur leur publicité très soigneusement formulée sur l’ascension de l’Everest en 1953. La publicité laisse entendre qu’une montre Rolex était au sommet. Mais certaines personnes pensent qu’en réalité, Edmund Hillary aurait porté une montre Smiths, car il doutait de la fiabilité de la Rolex. La vérité est que la firme Rolex a co-sponsorisé l’expédition et a doté l’équipe de montres Rolex. Voici le texte sur le site de la marque pour célébrer le 70ème anniversaire de l’ascension : « Depuis les années 1930, Rolex équipe des explorateurs qui testent la fiabilité de ses montres dans les conditions les plus éprouvantes, aux quatre coins du globe. En 1953, la marque a équipé la célèbre expédition pour l’Everest, qui a installé plusieurs camps à une altitude toujours plus élevée, avant d’atteindre le sommet. Seuls Tensing Norgay et Edmund Hillary ont réalisé l’ascension dans son ensemble. » Mais rien ne précise explicitement que les deux hommes portaient un Rolex au sommet de l’Everest.
On voit nettement qu’Hans Wilsdorf a pris bien des libertés avec la réalité, pour créer sa légende basée comme tout bon mensonge, sur une part de vérité. Comme sa réussite éclatante et indéniable est si grande, si éclatante, qu’il peut se permettre les plus gros mensonges avec un telle force de conviction, que personne de son vivant ne songe à remettre en question ses paroles. Mais petit à petit, avec le recul, ses affirmations sont remises en question et elles sont démontées les unes après les autres, soit par des historiens, soit par des amateur éclairés.
Aux vus de tous ces mensonges flagrants, nous en sommes arrivés à douter de l’ensemble du discourt de la marque, discourt écrit et propagé à la base par Hans Wilsdorf.
Hans Wilsdorf énonce, son mensonge le plus éhonté, le plus énorme en racontant son début de carrière. La manufacture Aegler écrit-il dans ses mémoires était la première manufacture à avoir organisé la fabrication d’une montre à mouvement à ancre de 11 lignes. Avec le succès de cette nouveauté, qui devait se révéler par la suite d’une grande portée pour l’industrie horlogère, l’avenir de montre-bracelet pouvaient être considéré comme assurée (C’est si facile de réécrire l’histoire, après qu’elle se soit déroulée). Ma tête était pleine de projets et j’avais la satisfaction de voir M. Aegler adhérer dès le début. Il a dû me faire entièrement confiance, car mes liquidités ne me permettaient pas de régler les factures dans les délais réglementaires de 30 jours. Il m’a fait crédit sur six mois pour toutes ses livraisons et depuis nous n’avons eu aucun problème financier à régler. Au début, j’ai créé une cinquantaine de modèles de montres-bracelets en or et en argent pour hommes et pour dames. En compagnie de M. Aegler, j’ai consacré des journées entières à expliquer aux fabricants de boîtiers de cadrans et d’autres composants d’horlogerie mes idées, mes souhaits et mes goûts, car il fallait créer tout de zéro. Il ne fallait pas perdre de temps.
Replacez-vous dans le contexte de l’époque. Vous imaginez un ressortissant de l’empire allemand, âgé de 24 ans, qui n’est pas un horloger de formation, mais un commercial, qui n’a été qu’un an un commis aux écritures des courriers commerciaux à destination de l’Angleterre dans un petite entreprise suisse et qui a passé deux ans à Londres comme représentant d’un fabricant horloger suisse. Ce personnage se présente dans une manufacture de taille non négligeable, pour présenter son projet. Voilà, je suis jeune et sans grande expérience, mais j’ai créé ma petite entreprise à Londres avec un associé anglais, pour acheter des montres en suisse et les vendre aux magasins horlogers anglais. Je n’ai pas les fonds suffisants, mais vous allez bien me faire crédit sur ma bonne mine et mon sourire des plus charmeur, pour me livrer une cinquante de montres.
Il y a fort à parier qu’Hans Wilsdorf reçoive au pire, un refus poli, mais ferme au mieux une réduction de la commande pour correspondre aux fonds dont dispose le jeune homme. Et pourtant tout le monde ou presque a cru à cette délicieuse fable. Bien sûr certaines personnes ont trouvé que cela n’est guère crédible, alors ils ont avancé l’idée que la commande de cinquante montres était si importante que les dirigeants, la veuve et son fils Hermann Aegler de la manufacture « Veuve Jean Aegler, Bienne », ont accepté les conditions de crédits. Certains ont même brodé en écrivant que cela cet accord s’est scellé avec une simple poignée de main entre parfaits gentlemans. Soyons sérieux.
Selon Pierre-Yves Donzé, en 1905 la manufacture Longines compte 853 ouvriers, la manufacture Omega 724 ouvriers (609 pour Tavans et 574 pour Zenith). Quinze ans plus tard Longines produit 125 000 montres, alors que Patek Philippe n’en produit artisanalement que 2000 et Vacheron Constantin encore moins. Nous sommes en droit de penser que la production de la Manufacture Aegler en pleine expansion et industrialisation depuis 1883, dépasse vingt ans plus tard début 1903 au moins 10 000 montres par an. Aussi une commande d’une cinquantaine de montres me semble ridiculement petite. Devinez qui prétendait que c’était la plus grosse commande de montres qu’ait reçu Jean Aegler (celui-ci est décédé en 1891, bien avant l’arrivée d’Hans Wilsdorf en Suisse).
Je pense que pour comprendre cet épisode, il faut le revoir et l’analyser sous un autre angle de vue, en oubliant l’histoire racontée par Hans Wilsdorf.
Mettez-vous dans la peau d’Hermann Aegler au commande de la manufacture de son père depuis 1902 avec l’aide de sa mère. En 1905, Hans Wilsdorf ne devait pas être un parfait connu pour la manufacture Aegler. Pourquoi ? Hermann Aegler a certainement vu débarquer le jeune Hans Wilsdorf pour la première fois en 1902, lorsque Hans Wilsdorf cherche à faire fabriquer trois petites montres gousset de type savonnette en or chacune avec un mouvement de 11 lignes très bien réglé pour décrocher des bulletins de marche délivrés par l’observatoire de Neuchâtel. La production de ces trois montres gousset a pris plusieurs mois, mais elle s’est faite et Hans Wilsdorf a payé sans problème. Hans Wilsdorf était donc déjà en 1902, un client de la manufacture Aegler. Lors de la commande et de la réalisation des trois montres gousset, Hans Wilsdorf a dû faire part de son ambition de créer une entreprise pour faire le négoce de montres suisses à travers le monde, ceci grâce à l’héritage de son père qu’il touchera à sa majorité et si les trois montres gousset arrivent à convaincre ses oncles de sa capacité à faire fabriquer des montres.
Maintenant revenons à la situation de la manufacture Aegler en 1902. Pierre-Yves Donzé et d’autres sources, nous expliquent que la manufacture Aegler vend ses montres dans L’Empire allemand et dans les États Unis d’Amériques. En Amériques, la manufacture Aegler a pour client un citoyen d’origine allemande Gruen qui vend des montres pour dames aux riches américaines et ce client se fournit chez Aegler en petits mécanismes. Le marché anglais (et indirectement de l’empire britannique) est le second marché de l’horlogerie en Europe. Au moins cinq entreprise suisses y ont installé chacune une succursale à Londres pour vendre leurs montres (idem pour une entreprise américaine), une bonne dizaine d’indépendants proposent aussi leurs services aux entreprises suisses pour écouler leurs montres sur le marché britannique. Hermann Aegler et sa mère en voyant arriver Hans Wilsdorf qui sait parler anglais et qui connaît les règles du commerce international ont dû se dire qu’ils avaient un atout maître à jouer. C’est le candidat idéal pour : soit créer une succursale à Londres afin de vendre leurs montres, soit pour refaire ce que Gruen a fait aux U.S.A. à savoir créer une entreprise en Angleterre qui achètera les petits mécanismes précis de leur manufacture. Comme Hans veut créer sa propre entreprise, alors Hermann Aegler et sa mère ont dû jouer finement en suggérant au jeune homme qu’il a de très bonnes opportunités d’affaires à réaliser en Angleterre pour une personne aussi entreprenante qu’Hans Wilsdorf. Ils ont dû lui conseiller d’aller étudier le marché de l’horlogerie à Londres, le temps qu’il puisse avoir l’âge de toucher son héritage. Ils ont dû lui expliquer que le marché des montres-bracelets pour dames est certes plus réduit que celui des montres gousset pour hommes, mais il y a moins de concurrence dans le créneau de la montre pour dames, surtout en proposant des montres précises. C’est dans leurs intérêts, ils ont misé sur la production de petits mécanismes précis pour montres de dames, en pensant que cela serait certainement plus facile d’attaquer un marché de niche où la concurrence est moins rude, même si techniquement les petits mécanismes sont nettement plus difficiles à produire.
Si le but d’Hermann Aegler et sa mère est de pénétrer le marché britannique en se servant d’Hans Wilsdorf, alors le début d’Hans Wilsdorf devient crédible. Avec cette hypothèse, tout s’explique : le crédit offert à Hans après le vol de son héritage, le temps passé avec lui pour mettre au point la production des montres. Le risque financier de l’opération est faible, car Hans a versé à la manufacture, ce qu’avait bien voulu lui avancer son frère et sa sœur sur leur part respective d’héritage.
Selon Pierre-Yves Donzé Hans Wilsdorf, est un suiveur qui au cours de sa vie a appliqué la même politique et la même stratégie (mais en mieux) que les autres marques déjà en place. Il est difficile d’imaginer qu’il a pu avoir l’idée saugrenue d’installer son entreprise en Angleterre, alors que toutes les autres entreprises horlogères sont basées en Suisse et il est incompréhensible qu’il ait pu miser sur le marcher inexistant de la montre-bracelet pour homme en 1905. Mais si la famille Aegler l’a orienté, influencé et convaincu, alors tout s’explique.
En 1905, seuls quelques militaires, les rares aviateurs et les hommes de science portent une montre à leur poignet, pour des raisons pratiques. La seconde guerre des Boers s’achève en mai 1902, mais le port de la montre au poignet des militaires n’a pas eu le retentissement qu’il aura avec les As des As de l’aviation de première guerre mondiale, donc après 1918 et la progression de la montre bracelet s’est effectuée sur une longue période. En 1905, le marché de la montre est quasiment exclusivement féminin. Toutefois en 1904, Louis Cartier crée la première montre moderne conçue pour que son ami Santos Dumont puisse la porter au poignet. Or Hans Wilsdorf qui maîtrise la langue française, lit la presse internationale, donc il a pu lire dans les nouvelles, la création de cette montre parmi les mondanités du brésiliens Santos Dumont pilote de dirigeables et véritable coqueluche de la société des milieux parisiens. Cela pu influencer Hans Wilsdorf à croire que les hommes pourraient peut-être porter une montre au poignet, donc de faire affaire avec la manufacture Aegler, cependant c’est une hypothèse bien mince.
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Et puis, c’est si facile de réécrire l’histoire, une fois que l’on sait que la montre bracelet a supplanté la montre gousset. Les écrits et les histoires que racontent Hans Wilsdorf sont bien postérieurs à ses débuts. Les quatre livres Vademecum de Rolex sont publiés pour la première fois en 1945 (Ce sont des manuels destinés aux cadres et revendeurs de Rolex), quand tout le monde sait que la montre bracelet a définitivement détrôné la montre gousset. De même, Hans Wilsdorf revient sur sa carrière lors de son discourt prononcer à l’occasion de son anniversaire de ses 70 ans en en 1951.
Vous remarquez que personne ne connait le type des premières montres qu’Hans Wilsdorf a fait fabriquer en 1905. Nous n’avons que sa parole. Bien des archives des magasins d’horlogerie ont dû bruler durant la seconde guerre mondiale et la Fondation Rolex comme par hasard a toujours refusé de divulguer ses archives. Hans Wilsdorf a forcément fait réaliser des montres-bracelets pour dames oui, peut-être quelques montres-bracelets pour hommes (40 pour dames et 10 pour hommes), mais il aurait pu faire fabriquer de petites montres gousset pour hommes (10 montres bracelet pour dames et 40 montres gousset pour hommes). Sachant que les hommes refusent de porter des montres à leur poignet que la part des montres gousset est largement majoritaire à cette époque, il est probable qu’Hans Wilsdorf ait fait réaliser des montres gousset. Le petit mécanisme précis de 11 lignes dans une montre gousset offre l’avantage de pouvoir concevoir à la fois des montres petites, moyennes et grandes. De plus, plus le boîtier est grand par rapport au mécanisme, plus il est possible d’affiner son bord, ce qui permet de glisser plus facilement la montre gousset dans la poche gousset du gilet. Or aucun historien n’a cherché à retrouver dans les archives des deux grandes chaînes anglaises de distribution de montres, des preuves en ce sens, pas plus que de rechercher parmi les montres gousset, celles qui pourraient être équipées de mécanismes Aegler.
Pour cette hypothèse, je m’appuie sur un page de publicité. Hans Wilsdorf a fait paraît en 1927 un page entière de publicité dédiée à ses montres, avec l’exploit de la traversée de la Manche par Miss Mercedes Gleitze. Mais dans les colonnes de gauche et de droite, la marque présente dix-huit montres Rolex, dont dix montres bracelet pour les dames, pour seulement six montres bracelet pour les homme et surtout deux montres gousset. Donc 22 ans après sa création, Rolex continue à proposer des montres gousset, alors pourquoi pas au début en 1905 quand les hommes refusent de porter des montres de dame.
Il faut savoir que Patek Philippe a développé en 1868 une réelle montre bracelet (pas une montre pendentif accrochée au poignet par un ruban) qui fut vendue à une comtesse hongroise. En l’espace de dix ans, les dames de la haute société ont porté des montres bracelet à leur poignet, marquant la montre bracelet du sceaux de la féminité pour des décennies, jusqu’à la fin de la première guerre mondiale.
Autre point, lors d’une intervention, Hans Wilsdorf s’est félicité du succès de ses montres portefeuilles. Une montre portefeuille est une montre installée dans une boite carrée qui s’ouvre comme un portefeuille, une fois que le couvercle de la boîte soit ouvert à 60°, la montre qui est montée sur une charnière, passe de la position horizontale à 60°, la partie haute de la montre et le bord du couvercle se rejoignent pour se clipser. Il déposera bien plus tard en 1031 et 1932 deux brevets pour ce type de montre. C’est un article, dit de voyage, qui est certainement apprécié des voyageurs de commerce de l’Empire britannique.
La marque Rolex fut déposée en 1908, chacun a donné son avis sur le sens de ce mot inventé, mais Hans Wilsdorf ne l’a pas expliqué, il a juste dit qu’un petit génie lui l’a soufflé à l’oreille, alors qu’il cherchait en vain un mot court de cinq lettres facilement prononçable, et d’un sonorité plaisante. Je pars sur le principe qu’il a l’ambition de créer une marque qui devienne la première, il a pu penser à Rex (roi en latin) le roi de la montre, mais c’était trop court, alors pour faire comme Kodak, il a pu penser à la nouvelle marque anglaise de voiture de prestige qui vient de se créer en 1904 : Rolls-Royce. Vous remarquez que Rolex sonne un peu comme Rolls-Royce. Cette idée vaut bien les autres propositions.
Il est amusant de savoir que selon Pierre-Yves Donzé, l’entreprise Wilsdorf et Davis avait déposé avant 1908 plusieurs noms de marques assez longs et quelques-uns en 1909, ce qu’Hans a bien soigneusement évité de rappeler. Je ne sais pas si à ses débuts, l’entreprise Wilsdorf et Davis a commercialisé des montres sous d’autres marques que Rolex et encore moins combien. Hans Wilsdorf a copié les autres entreprises qui créaient plusieurs marques en espérant cibler plus de clients. Par ailleurs, les deux compères Wilsdorf et Davis ont aussi fait de la publicité destinée aux professionnels horlogers suisses pour distribuer en Angleterre leurs produits. (Autant rentabiliser leur structure). L’entreprise Wilsdorf et Davis aurait aussi fait fabriquer les montres à partir de mécanismes provenant d’autres fournisseurs que la manufacture Aegler, peut-être pour vendre des montres gousset à moindre coût. Mais au bout de quelques années, la jeune entreprise Wilsdorf et Davis semble se recentrer uniquement sur sa marque Rolex qui devient de plus en plus appréciée grâce à la précision de ses montres attestée par les bulletins de marches officiel. Toutefois en 1946, Rolex fait encore de la publicité pour ses sous-marques Tudor et Marconi. Vers 1910, l’entreprise Rolex revient s’approvisionner uniquement à la manufacture Aegler. Cependant bien plus tard, à partir de 1936 la maison Rolex achète des mécanismes chronographes à des spécialistes cela va durer jusqu’en 2000, année où pour la première fois la marque Rolex dispose de son propre mécanisme chronographe.
L’histoire de la marque Rolex est loin d’être aussi simple qu’Hans Wilsdorf l’a racontée.
D’autres points m’interpellent dans l’histoire de la marque Rolex, notamment sa relation avec la manufacture Aegler. La personnalité d’Hans Wilsdorf est complexe il peut être charmant et attentionné envers son personnel, mais il est aussi connu pour ses grandes colères et son côté dictatorial. Il a sans doute été obligé de s’allier avec Alfred Davis pour créer leur entreprise en Angleterre. Suite à la politique fiscale de l’Angleterre durant la première guerre mondiale, Hans Wilsdorf transfert le siège de ses activités en 1919 / 1920 dans une nouvelle entreprise créée en Suisse, à Genève, loin de la manufacture Aegler implantée à Bienne. Quelques années après, il indemnise son associé pour être le seul au commande de son bébé. En 1920, il abandonne sa domiciliation en Angleterre. Pourtant il avait rencontré à Londres Florence Frances May Crotty qu’il a épousé en 1911, il avait obtenu la nationalité anglaise et il avait même été incorporé dans l’armée de sa gracieuse majesté à la fin de la première guerre mondiale. Mais il n’a pas pardonné aux Anglais d’avoir confisqué le prêt que lui avait accordé son frère et sa sœur, au motif qu’ils étaient ressortissants de l’empire allemand, la puissance ennemie. Cette décision, a vraisemblablement obligé son épouse à arrêter son commerce d’antiquités et il a convaincu une bonne partie de ses employées anglaises de le suivre en Suisse, où certes l’air y était bien plus pur, mais où les hivers sont autrement plus rigoureux, loin de leur famille. Ses décisions en faveur de son entreprise, sont brutales dans leur applications, envers ses proches et ses employées. Or ce côté dictatorial, je suis le seul patron à bord, ne l’empêche pas de savoir déléguer à des personnes de confiance. Quand il est mobilisé dans l’armée britannique, il nomme son épouse pour le remplacer, car il n’a qu’une confiance très relative, en son associé. Aussi, je suis étonné qu’il accepte aussi facilement en 1914, que la manufacture Aegler associe le nom de Rolex dans sa dénomination et surtout accolé au nom de Gruen. La manufacture portera un temps le nom de Aegler Société Anonyme, Fabrique des montres Rolex & Gruen Guild A. Il faut savoir aussi que la Manufacture Aegler rentre à hauteur de 15% dans le capital de la nouvelle société d’Hans Wilsdorf. La participation croisée dans le capital est très à la mode à cette époque. Déjà la manufacture Aegler l’avait fait avec la société de Gruen. D’ailleurs des membres de la famille Aegler siègent au conseil de direction de Rolex et inversement des directeurs de Rolex siègent au conseil de la manufacture Aegler. Hans Wilsdorf n’est pas le seul maître chez lui, il semble les décisions stratégiques pour l’avenir de Rolex et d’Aegler soient prises en commun, même si chacun dirige en autonomie son entreprise.
Un autre point concernant la marché américain est difficilement compréhensible. Tant que l’entreprise Gruen Guild A. écoule les petits mécanismes de la manufacture Aegler, l’entreprise Rolex n’attaque pas le marché des U.S.A., comme si la famille Aegler avait le droit de lui interdire ce marché pourtant suffisamment immense pour deux marques concurrentes utilisant les mêmes mécanismes. Guen entre 1910 et 1930 écoulerait jusqu’à 1000 mécanismes par semaine ! Le chiffre me parait suspect, car ce voudrait dire que la manufacture produit plus de 50 000 mécanismes par an rien que pour Gruen. Il faut savoir aussi que c'est l'entreprise Aegler qui dépose le nom de Rolex aux U.S.A. en 1914. Quand Gruen Guild A. fait faillite vers 1931, comme par hasard, ce sont des Américains qui importent les montres Rolex, sans à priori l’intervention de l’entreprise Rolex. Je pense que dirigeants de la Manufacture Aegler ont voulu récupérer le marché américain en négociant avec une partie des dirigeants de l’ancienne entreprise Gruen pour qu’ils approvisionnent leurs clients avec des montres Rolex. Cette équipe américaine a toute latitude de faire la publicité qu’elle veut sur le marché américain, sans qu’Hans Wilsdorf ait son mot à dire, alors que la communication publicitaire a longtemps été le domaine privilégié d’Hans Wilsdorf avec une grande maîtrise et une belle réussite. Comment expliquer cette situation particulière de l’approche du marché américain, si ne c’est par une action des dirigeants de la manufacture Aegler qui aurait sur ce domaine, une priorité par rapport à Rolex.
Vers la fin de sa carrière en 1947, Hans Wilsdorf âgé de 66 ans est obligé ou accepte enfin de laisser la communication de sa marque à l'agence publicitaire américaine J. Walter Thompson. Pourtant si Hans Wilsdorf avait misé comme les autres marques suisses (c’est un suiveur) sur des montres précises (certifiées chronomètre) des montres fiables (étanches) et des montres résistantes à toutes les conditions extrêmes (en haute altitude en avion, vitesse en voitures de course et avion, au sommets des montagnes ou au fin fond de la jungle), il fait mieux que ses concurrents en associant ses montres à des actrices de cinéma (Evelyn Laye plongeant sa main et sa montre Rolex dans un bocal de poisson rouge - le bocal était l'idée de la marque américaine pour sa montre étanche), ou à des personnes capables d’exploit (Mercedes Gleitze traversant la Manche à la nage avec une montre Rolex) ou à des champions de courses automobiles (comme Malcolm Campbell) ou à des alpinistes célèbres (comme Edmund Hillary), autant de personnes qui font rêver et qui dopent les ventes de ses montres. Hans Wilsdorf a aussi fait plus de publicité, que bien de ses concurrents.
L’agence publicitaire américaine JWP va associer progressivement le port de la montre Rolex aux dirigeants du monde et des grandes entreprises, puis elle glissera sur des campagnes mettant l’accent sur les nouvelles stars que sont les sportifs et les acteurs ou actrices de cinéma, avant de passer à la personne extraordinaire qui achète un montre Rolex, bien avant le slogan publicitaire de l’Oréal « Parce que vous le valez bien ».
L’agence publicitaire américaine JWP va aussi pousser la marque Rolex à réduire son offre de montres pour se concentrer sur les modèles emblématiques de la marque créés entre 1945 et 1963, quitte à abandonner la collection Prince créée en 1928, dont 500 Prince certifiés chronomètres seront livrés au roi Georges V pour le 25ème anniversaire de son couronnement. Les clients devront attendre 2005 pour voir une réinterprétation de la Prince au sein de la collection Cellini.
L’entreprise Rolex ne va pas sous-traiter sa production en Asie contrairement aux autres marques.
Il y aura peu de nouvelles montres chez Rolex après 1966. En 1970 Rolex présente ses premières montres à quartz et commercialisera des montres à quartz jusqu’en 77, avant d’abandonner ce créneau lorsque les prix baissent, ce qui n’est plus compatible avec l’image du luxe. Toutefois bien que positionnée sur le segment des montres de luxe, la montre Rolex reste et restera accessible contrairement aux marques comme Patek Philippe, Audemars Piguet, Vacheron Constantin.
En 1992 on voit apparaître la Rolex Yacht-Master et son évolution la Yacht-Master II compte à rebours en 2007. Depuis il n’y a eu que la Sky-Dweller en 2012 avec un quantième annuel instantané sous guichet et un second fuseau horaire original. Donc en nouvelles montres mécaniques en presque soixante ans Rolex n’a sorti que trois modèles en prenant la variante de la Yacht-Master.
Durant cette période l’entreprise Rolex va tout faire pour fiabiliser encore plus ses montres, elle va améliorer la précision de ses mécanismes et surtout elle va pousser l’industrialisation de sa production et l’automatisation de la gestion et de la manutention de son stock de pièces détachées. La fabrique Rolex devient une véritable machine à cash, dont une petite partie est allouée pour la ville de Genève, conformément aux statuts de la Fondation Rolex, rédigés par Hans Wilsdorf, et le reste est investi. Un journaliste de la RTS a découvert que la Fondation Rolex est propriétaire via une société d’un immense parc immobilier à Genève et dans d'autres villes comme Londres. Nous ne connaissons pas les investissements en actions obligations et en or. Rolex dispose de sa propre fonderie. Lorsque vous achetez une montre en or, allez savoir quand Rolex a acheté cet or pour la fabriquer, j’imagine que l’or a été acheté bien des années avant, donc Rolex à chaque vente engrange une confortable plus-value.
Attention cet article est basé en grande partie sur des hypothèses que j'ai émises pour essayer de rendre plus réaliste, plus crédible, l'histoire de la marque Rolex. Je ne peux rien prouver, ce n'est qu'un raisonnement de pure logique pour mettre un peu de cohérence dans cette histoire extravagante. Il est toujours possible, que je me fourvoie pour certains aspects. Une autre partie de cet article est basée sur le livre La fabrique de l’excellence Histoire de Rolex de Pierre-Yves Donzé et sur les informations fournies par Stan Czubernat.
Award Winning Multiple Title Watch Book Author, Owner of LRF Antique Watches, WW1 Military Watch Dealer, Watchmaker
2 moisVery well written article! Your information on the Rolex - Depollier subject is 100% accurate. Depollier beat Rolex by 8 years when it comes to having a waterproof wristwatch with a screw down crown. Just in the past two weeks the New York Times, Hodinkee, Time & Tide and Perezcope have ALL published articles stating that Depollier had a waterproof wristwatch BEFORE Rolex. It's almost unbelievable, Rolex has been humiliated but they brought this upon themselves for telling lies about their accomplishments. Just 7 weeks ago the official Rolex Wikipedia page was updated! Rolex has been stripped of their self proclaimed title of being the world's first waterproof wristwatch. Charles Depollier is now credited for this incredible horological accomplishment, citation #65 on the Rolex Wikipedia page. Rolex has been completely exposed for the lies they have told. They need to issue a posthumous public apology to Charles Depollier immediately! But, they probably have too my pride to admit that their founder, Hans Wilsdorf, was a confirmed liar and fraudster.
Team Leader en CN Fast Shop / Tournage
4 moisMerci infiniment pour cette mise au point historique.