« Perfectionnistes et burnout : garder le meilleur et éviter le pire ».
Citer les perfectionnismes célèbres serait sans fin. Ils ont œuvré dans les arts, les sciences, le génie, l’innovation, la médecine l’humanitaire, le progrès social ,.. Sans eux, le monde serait bien différent.
Hommage également à tous les « perfectionnistes anonymes » qui œuvrent au quotidien, dans le souci de la qualité de ce qu’ils réalisent.
Les perfectionnistes au 21ème siècle
La mode passe, et je m’en réjouis, de reprocher aux perfectionnistes de ralentir la bonne marche des projets et de plomber l’ambiance des équipes. Si, comme chacun de nous, ces personnalités peuvent devenir infernales lorsqu’elles poussent trop loin leur trait de caractère, ces reproches m’ont toujours semblés suspects, hâtifs et faciles.
Formatrice et coach, j’anime depuis 2012 des séminaires dédiés aux perfectionnistes et aux personnes très engagées dans leur travail[1] : je peux témoigner qu’ils ne méritent pas tant de sévérité, et que nous leur devons beaucoup, la plupart du temps.
Cette suspicion répandue à l’égard des perfectionnistes se base souvent sur des confusions et des raccourcis :
- confondre le perfectionnisme avec le micro-management abusif
- taxer de perfectionnistes, au mauvais sens du mot, ceux pour qui le travail est plus vaste que produire et facturer, mais est également œuvrer, apprendre, transmettre, participer à une dimension sociale précieuse
- jeter l’opprobre sur les malheureux qui nomment les dysfonctionnements du système et en deviennent la mauvaise conscience : à ce compte-là toute personne qui dénonce et tente de porter remède au « travail empêché », (puissant concept défini par Yves Clos en 2014) est susceptible d’être diagnostiquée perfectionniste, maladie grave.
Également, il existe aujourd’hui un paradoxe dans notre culture du travail elle-même : pour survivre sur un marché féroce, il faut beaucoup de professionnalisme et de grandes compétences. Mais comment défendre ces valeurs face à l’impératif écrasant de travailler dans l’urgence et les égarements de l’agilité mal comprise ?
Perfectionnistes et burn-out
Concernant le risque de burn-out, il est certainement supérieur chez eux. Ils sont plus exposés à l’épuisement et à la souffrance du travail empêché. Quoique la volonté farouche de tenir le coup et la passion donnent de l’énergie, et développent chez certains un sens aigu de l’organisation et une hygiène de vie de sportifs de haut niveau.
Message d’espoir, depuis dix ans j’ai constaté à ma petite échelle que le burn-out est devenu moins tabou : sans résoudre le problème, cela permet une meilleure prévention, des rétablissements mieux conduits et des reprises mieux adaptées. Dans les séminaires, les participants parlent désormais librement de leur burn-out, et surtout :
- ils en tirent les leçons, se remettent cause et prennent des mesures
- ils partagent leur expérience, leur changement de regard et leurs bonnes pratiques pour le « plus jamais cela »
Les effets du Covid, la situation post-Covid
Depuis 2020, le télétravail de crise a été une réponse à la survenue du Covid et a permis le maintien de l’activité dans les secteurs qui pouvaient fonctionner en distanciel. Il a renforcé la numérisation du travail, avec avantages ET inconvénients.
Parmi ces derniers, on note une accentuation de problématiques déjà existantes :
- l’isolement des collaborateurs, souci qui date déjà d’une ou deux décennies[1]bis
- l’enfermement dans le procédural mal compris[2]
- la tyrannie accrue de l’instantanéité et de l’urgence
- la dilution de la communication réelle entre individus[3]
Le surinvestissement dans le travail dès le début de la crise sanitaire a été nécessaire pour beaucoup afin de s’adapter en urgence et réaliser tous les apprentissages requis pour être opérationnels au plus vite (outils digitaux, nouvelles organisations de travail, école à la maison etc.).
On peut parler de prouesses dans certains cas : dans un même espace physique, certain.e.s se sont retrouvés en même temps chefs de projets (ou manager, ou autre), chef.fes de famille, aidants de leurs parents, professeurs de leurs enfants …
J’ai également observé, lors de la période « héroïque » des confinements, que l’invasion du travail dans la sphère privée permettait pour certains de mettre à distance l’anxiété et l’incertitude, de se sentir utile, et de maintenir malgré tout, des repères.
Ceci n’est certes pas nouveau chez les grands bosseurs et les perfectionnistes, mais s’est accentué en 2020-2021. Et surtout, s’est généralisé à d’autres personnalités et s’est banalisé depuis[4] : l’allongement notoire des horaires de travail, l’enchainement de réunions sans fin, l’oubli des pauses etc. sont devenus la norme pour beaucoup. L’omniprésence du travail et la sur-connexion peuvent être vécue comme une tyrannie ou comme une addiction.
L’espace de liberté, les temps de respiration, le calme, la concentration que le télétravail promettait avant 2020 semblent s’être évanouis. Ce que François Délivré appelle « le temps à soi » dans la structure d’une journée de travail a bien souffert, sous l’œil réel ou imaginaire, extérieur ou intérieur, d’un Big Brother numérique qui ne tolère pas que l’on s’éloigne de son écran.
Que l’on soit perfectionniste ou pas, ce qui menace alors, en plus ou à la place du burn-out, est une déprime insidieuse, en demi-teinte, une dilution du sens de la vie, désenchantée par d'interminables tête-à-tête avec des pixels.
C’est là qu’une lecture pragmatique de la matrice RPBO la rend réversible et permet d’en tirer bénéfice en prévention.
Comment une lecture réversible de RPBO donne des clés pour la prévention
Cette perte de sens dans une existence, RPBO la met en lumière et la traite. Et, lue « à rebours » la matrice RPBO devient un support de prévention. La matrice RPBO cartographie les étapes de reconstruction de la vie après un burn-out : En tirant les leçons de chacune, on en extrait leur vertu protectrice. Cela lui confère un atout pour sécuriser les parcours et le maintien dans l’emploi.
Au tout début du livre Se reconstruire après un burn-out[5], au deuxième exercice d’introspection, Sabine Bataille pose cette question à son lecteur : « Comment en êtes-vous arrivé là ? ».
Comment ? (mieux que Pourquoi ?), va permettre de dévoiler les clés d’un nouveau départ, celles de la prévention de la rechute, et aussi, celles de la prévention de la chute tout court.
1. Comment vous êtes-vous hyper-adapté aux exigences professionnelles, au détriment de votre physiologie, puis de votre être tout entier ?
2. Comment s’est opérée la perte insidieuse des dimensions essentielles qui équilibrent le quotidien ?
3. Comment en êtes-vous arrivé là ?
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Pour synthétiser la réponse, lors de la période de décrochage, le corps, sous l’emprise du cortisol, se fait l’allier du dénie du mental pour ne pas ressentir les signaux d’alerte[6].
Retournons la question : « Comment NE PAS en arriver là ? ».
Cette lecture nous interroge sur les dimensions de la vie mises en difficultés dans les phases pré-burn-out. Ces espaces et ces moments que chacun a besoin d’identifier spécifiquement, expérimenter et nourrir pour se sentir exister et se réaliser.
Les 12 positions temporelles et les 9 espaces de reconstruction deviennent des repères pour nous questionner à priori sur nos besoins.
Il ne s’agit bien sûr pas de cocher toutes les cases avec une bonne note, dans une quête de performance existentielle qui serait un malentendu majeur sur le propos de Sabine Bataille. Il s’agit de les utiliser pour prendre soin de soi, autant que possible en bonne santé. Comme Ulrike, dont le parcours est décrit dans les études de cas, et qui « sait maintenant ce qu’elle a à perdre »[7].
Pour conclure, résumé de la matrice RPBO, lue dans sa version préventive, jusqu’au niveau 5/5
Je limite volontairement mon propos dans cet article jusqu’à la position 5/5 (pouvoir d’agir personnel), car au-delà, le passage de relai doit être pris en main par l’entreprise à partir de 6/6 jusqu’à 9/9 (pouvoir d’agir organisationnel).
1/1 Ton « staff » médical tu constitueras et consulteras lorsque tu es en bonne santé, tel un sportif de haut niveau qui s’investit autant dans la préparation et la récupération que dans la performance.
2/2 Du corps, comme limite absolue, tu prendras conscience. Si ton mental croit pouvoir s’affranchir de la matière et de la physiologie, ton corps, lui, ne le peut pas. Serviteur dévoué, il fera tout pour répondre aux injonctions du cerveau, jusqu’à la mise en danger. Souviens-toi du guerrier grec qui courut de Marathon à Athènes pour annoncer une victoire avant de s’effondrer et rejoindre le royaume d’Hadès. Non à la culpabilité de ne pas être surhumain.
3/3[8] Tes limites, besoins et potentiels tu exploreras avant de décider de les dépasser. Entends la sagesse de Carl Roger : « C’est lorsque je m’accepte juste comme je suis qu’alors je peux changer ».
4/4 L’injonction permanente de l’action, la production et la rentabilité tu questionneras : Comprends que « faire » et « être » ne peuvent pas être dissociés. Comprends également que rêver[9] et t’ouvrir à tes intuitions t’offrira de nouveaux horizons.
5/5 Tes décisions et tes projets tu élaboreras, en t’appuyant sur trois dimensions :
- le temps du renoncement,
- le temps de la réflexion,
- le temps des décisions pour toi-même
Y a-t-il une place pour les perfectionnistes dans notre monde en overdose de productivité et de financiarisation ? Ma réponse est oui.
Cette place, ils l’occupent, de toute façon. Il est dans leur nature de préserver les valeurs de qualité, d’amélioration et d’engagement.
Pour être perfectionnistes, performants et heureux, ils œuvreront à partir de ce que Christophe André[10] appelle le « perfectionnisme sain » : affranchi d’une anxiété toxique et/ou du narcissisme négatif.
Pour ne pas se détruire au travail, (dans un contexte professionnel respectueux, bien sûr) le message de RPBO les invite à comprendre que leur vie est plus vaste que leur rôle professionnel et qu’en prenant soin de toutes ses dimensions ils pourront s’épanouir dans leurs choix et grâce à leurs qualités.
La suprême récompense du travail n'est pas ce qu'il vous permet de gagner,
mais ce qu'il vous permet de devenir.
John Ruskin
Magali Combal, septembre 2022 - Formatrice, Coach, Consultante RPBO
Merci à Sabine Bataille pour les précisions sur la méthode RPBO dans cet article.
Sources et références citées par l'auteur :
[1] Pour une synthèse de ces séminaires : CF Chapitre 3 du livre Réussir son retour au travail de Sabine Bataille et al. InterEditions, chapitre 3 « Perfectionniste, performant et heureux ! »
[1] bis CF Développer le bien-être au travail P. Angel P. Amar MJ Gava B. Vaulodon – Dunod. Ce livre qui date de 2005 décrit magistralement les problématiques qui ont explosées depuis.
[2] Sur les dérives des process dans le monde du travail, je renvoie le lecteur aux écrits de Julia de Funès.
[3] Pour ne citer qu’une référence : Homo Numéricus Daniel Cohen – Albin Michel.
[4] CF Magazine on-line Courrier Cadre, mai 2022 : Sur-connexion et surinvestissement au travail : les entreprises face au « workaholisme »
[5] CF Se reconstruire après un burn-out – Bataille S. – Dunod
[6] Sur les effets du cortisol : CF Interview de Marie Pezé dans le magazine Alternative santé – septembre 2022
[7] CF Se reconstruire après un burn-out – Bataille S. – Dunod
[8] 3/3 c’est aussi l’invitation à structurer le temps, à prendre très au sérieux face aux dérives du télétravail de crise.
[9] CF David Allen, auteur de Getting Things Done, (méthode d‘organisation et de gestion du temps), constate et déplore que le temps du rêve soit à ce point zappé dans les étapes qui précèdent la structuration d’un projet.
[10] CF Imparfaits, libres et heureux Christophe André – Odile Jacob.
Commercial spécialisé en agroalimentaire avec expertise en négociation client
2 ansSabine BATAILLE Réseau RPBO© Europe Réseau RPBO© France / Europe , la Synthèse à graver dans ses tablettes est.. Magnifique . Et prendre le temps de s'aimer un peu plus après le burn-out est primordial, se consacrer à soi ! Ne plus se conduire comme une machine de production inoxydable. Mais ne jamais oublier Les 3 principales pratiques pathogènes en entreprise. qui ont facilité le décrochage