Savoir gérer les clients impossibles
Si vous faites partie de ceux qui fournissent des services à des clients (et nous sommes nombreux), vous savez d’expérience qu’il est plus facile de travailler avec certains de vos chers donneurs d’ordre qu’avec d’autres. Certains sont charmants, d’autres vous laissent relativement indifférents, et quelques-uns rentreraient bien dans la catégorie « franchement impossible ». Même si votre perception du client dépend de plusieurs facteurs (tels que votre niveau d’expérience, votre secteur et la nature du projet), il faut bien reconnaître qu’il existe effectivement des clients « impossibles » – des gens qui, par leurs comportements pénibles, rendent la collaboration plus difficile qu’elle ne devrait l’être et vous empêchent de fournir dans de bonnes conditions le service pour lequel votre employeur vous a embauché. Souvent, face à ce type de client, nos instincts primaires se réveillent et nous sommes tentés de réagir en adoptant un comportement tout aussi détestable, voire plus.
Mais il existe une meilleure approche. Les clients impossibles, en réalité, peuvent être gérés, à condition de résister à la tentation de combattre le feu par le feu. Au lieu de cela, faites votre travail – et laissez votre talent faire le reste. Si vous remplissez vos obligations, vous aurez des arguments à opposer à votre client quand ce dernier se comportera mal.
Voici quatre comportements « impossibles » typiques, et les manières d’y réagir qui se sont montrées efficaces :
Comportement impossible n°1: Aboiements intempestifs (ou micro-management)
J’ai travaillé au Royaume-Uni pendant quelques années, et j’y ai appris une de mes expressions préférées concernant les clients : « On ne prend pas un chien pour aboyer à sa place. » Malheureusement, c’est exactement ce que font certains clients : ils se mêlent de ce qui ne les regarde pas, ils micro-managent et parfois même effectuent le travail pour lequel ils ont fait appel à vous.
Tentation : S’en offenser. Se lancer dans un concours du genre « à qui pissera le plus loin » et tenter de prouver à votre client votre supériorité.
Meilleure approche : Continuez à faire votre travail en restant imperturbable. Attendez que votre client (potentiellement au désespoir) vous demande de l’aide quand il rencontre des difficultés. Laissez vos compétences et votre talent parler à votre place.
Si vous êtes effectivement meilleur que votre client (et c’est bien le cas, non?), contentez-vous de faire votre travail et – évidemment hors de sa vue- de rire en levant les yeux au ciel quand votre client fera une remarque de ce genre : « Il fallait bien que je fasse avancer les choses… »
Comportement impossible n°2: Déluge ou sécheresse en matière de feedback
Soit votre client vous inonde de commentaires concernant votre travail (j’ai un jour travaillé sur un livre impliquant cinq auteurs et j’ai reçu un manuscrit annoté par chacun d’entre eux !), soit il ne vous fait aucun retour et vous laisse avancer dans le noir le plus total, au risque que vous suiviez une fausse piste.
Tentation : Dans le cas d’un déluge, vous plaindre qu’il vous est impossible de prendre en considération tant de critiques, et en cas de sécheresse, exiger un retour et refuser de continuer avant de l’obtenir.
Meilleure approche : Lorsque vous êtes submergé par les retours, négociez une procédure avec votre client, exigez que son feedback (quelle qu’en soit la quantité) soit pré-synthétisé et livré en lots digestes afin qu’il soit (ou du moins semble) plus facile à gérer. Si c’est la sécheresse, n’en tirez pas de conclusions hâtives. Demandez un retour, de manière directe et régulière, dès le départ.
Le feedback que vous recevez ne vous plaira peut-être pas toujours (ou bien vous ne serez pas nécessairement toujours d’accord), surtout lorsqu’il y en a trop ou pas du tout. Mais gardez en tête que votre mission consiste à collaborer et que votre objectif n’est pas de former votre client mais de faire votre travail du mieux que vous le pouvez. Un feedback implique une discussion et des allers-retours et améliorera toujours le résultat final.
Comportement impossible n°3: Dichotomie dans les délais
Les clients impossibles se soucient peu des délais et ne vous fournissent pas le matériel dont vous avez besoin aux dates convenues (ce qui vous retarde dans votre travail ou en perturbe la cadence). Malgré la latitude qu’ils s’autorisent, ils ne tolèrent en revanche aucun retard de votrepart : si vous ratez une étape, votre client ne vous ratera pas.
Tentation : Vous lamenter. Accuser le client de traîner et de ne pas se montrer raisonnable. Supplier, négocier, exiger plus de temps.
Meilleure approche : Construisez un planning réaliste. Surestimez le délai qu’il vous faudra pour accomplir la tâche en question, en le doublant. Travaillez tard, ou bien le weekend lorsque c’est nécessaire.
Je ne précise jamais à mes clients le temps exact que me mets pour faire ce que j’ai à faire. Je ne fais pas cela pour les tromper, mais parce que j’ai accumulé des dizaines d’années d’expérience et que le temps que je passe sur une tâche n’est pas proportionnel à la qualité du résultat (j’ai bien conscience que cela varie d’une profession à une autre). A une certaine époque, nous avons tenté de développer une méthode accélérée pour concevoir des propositions de livres avant de réaliser qu’en moyenne, elle nous prenait deux fois plus de temps que la procédure normale. Pourquoi ? Parce que nous étions tellement obnubilés par les délais que nous pouvions à peine à nous concentrer sur le travail en lui-même.
Comportement impossible n°4: Distribution de lauriers ou d’accusations
Lorsque le projet est une réussite, le « client impossible » s’en attribue le mérite et minimise votre rôle. Mais si le travail accompli n’est pas à la hauteur, le client rejette la faute sur vous et votre entreprise.
Tentation : Quand tout va bien, vous mettre en avant et chercher à récolter les honneurs. Quand les choses tournent mal, vous mettre en retrait, voire émettre des reproches et dire « la vérité » dans le dos de votre client.
Meilleure approche : Rédigez un document écrit précisant exactement la manière dont votre travail et vous-mêmes seront reconnus publiquement. Ou bien décidez de rester modeste, voire anonyme. Laissez le travail parler de lui-même et le client tenir la vedette.
Tout le monde veut être reconnu pour le travail qu’il accomplit, mais votre objectif numéro un doit d’abord consister à tenir vos promesses. Si c’est le cas, il est fort probable (même si ce n’est pas sûr à 100%) que le client parlera en bien de vous et de votre travail, et que cela finira par se savoir. La reconnaissance réchauffe le cœur. Plus vous travaillez, plus vous en aurez.
Une dernière pensée. Dans une étude sur la résilience (lire « A Paradise Built in Hell », de Rebecca Solnit), un raisonnement suggère que les perturbations et les difficultés peuvent déboucher sur des résultats positifs et sur de nouvelles opportunités. J’ai observé que c’était le cas avec les « clients impossibles ». Ils ne sont pas, bien sûr, impossibles dans l’absolu, mais seulement difficiles, éprouvants et peut-être même exaspérants. Mais chaque mission accomplie avec un client de ce genre m’a permis de trouver ou de concevoir de nouvelles manières de collaborer, de communiquer et de ramener l’impossible dans le champ des possibles.