S’intéresser aux héros dans nos accompagnements
Les personnes qui viennent nous consulter sont souvent confrontées à des difficultés ou doivent relever un défi. Trouver un emploi, changer de métier, créer sa structure, redonner du sens à sa vie, évoluer professionnellement, se relever de certaines épreuves de vie et bien d'autres choses encore. Le changement génère du stress, réveille parfois le manque de légitimité ou la perte de confiance en soi. C’est souvent à cet endroit là que les personnes se trouvent quand elles viennent nous consulter.
Nous nous retrouvons donc à démarrer l'accompagnement face une personne en posture de vulnérabilité, parfois victime de sa situation. Être victime dans le sens subir une situation. Même si la démarche qu’elle entreprend avec nous l’amène à un endroit désiré. C’est la sensation de ne plus avoir le choix. De plus, les difficultés nous font perdre la mémoire de nos compétences, de nos expériences.
Souvent on demande à la personne pourquoi elle vient et elle va nous raconter ce à quoi elle est confrontée. Les difficultés qu’elle rencontre. Les doutes qui s’invitent à elle. Et on va aborder sa demande à partir de là, c’est-à-dire à partir du problème. Et les questions qui s’invitent à cet endroit là sont souvent des questions qui s’intéressent à la victime : « Qu’est-ce qui s’est passé ? Depuis quand ? » des questions qui vont s’intéresser au problème pour bien comprendre ce que la personne vit, où elle en est ? on veut en savoir le plus possible sur le problème pour pouvoir l’aider.
Mais en faisant cela, on aide qui ? nous ou la personne ? La personne, en répondant à ce genre de questions n’apprend rien parce qu’elle sait très bien ce qui lui est arrivé, elle sait très bien depuis quand etc … on ne fait que lui faire répéter ce qu’elle sait déjà et qui ne lui convient pas.
Dans ma pratique, on dit : ne jamais retraumatiser les gens avec nos questions. C’est à dire ne pas les ramener avec nos questions à l’endroit où ça fait mal.
David Denborough* explique tout cela de manière métaphorique en disant que les personnes qui viennent à nous et qui vivent des difficultés, c’est comme si elles étaient au milieu d’une rivière très agitée, pleine de danger et que ce n’est pas à l’endroit où elles sont qu’il est opportun de leur parler de leurs difficultés. Car à l’endroit où elles sont, toute leur énergie est concentrée sur la survie. Ce qu’elles veulent c’est ne pas se noyer.
Ce qui est plus opportun d’après David, c’est de ramener les personnes sur le rivage, avec nos questions. C’est à-dire un endroit sécurisé, où elles ne partent pas de nulle part, où elles ont de l’expérience sur leur vie, des projets, des compétences, où elles ne sont pas seules au monde et, à cet endroit là, elles peuvent regarder le problème sans se sentir paralysées par lui et en se sentant plus fortes pour y aller. David dit qu’il a créé l’Arbre de vie* notamment pour ramener les gens sur le rivage.
Quelque part David nous dit que ce n’est pas à l’endroit du problème qu’il faut aborder le problème car à l’endroit du problème tout est problème.
Je pense profondément que l’accompagnant à toujours le choix du chemin à prendre avec une personne. Le choix du chemin se fait avec nos questions. Et, nos questions sont formulées à partir de la direction que l’on donne à notre curiosité.
L’invitation, à travers ce post, et cela dès la première rencontre, est de donner la priorité au héros ou à l’héroïne en chacun de nous en portant notre curiosité sur la façon dont la personne résiste courageusement à ce qu’elle vit, sur ce qu’elle a déjà fait pour se rapprocher de son projet, de ses forces, de ce qu’elle sait de la vie et de sa manière de relever les défis, quelle est son expérience en la matière…. Et poser des questions à cet endroit là. Cela aide notre client/patient à changer de posture. En répondant à nos questions, il va passer progressivement de victime à héros de son projet. Et pour un héros c’est quand même plus facile d’avancer, de se mobiliser, d’avoir des idées pour sa vie.
De plus, face à des personnes qui vivent des difficultés importantes, l’accompagnant peut vite se sentir écrasé par l’histoire de problème de son client. S’il s’intéresse au problème, il va se retrouver au milieu de la rivière avec son client au risque de se noyer avec lui. Je ne dis pas qu’il ne faut pas écouter l’histoire du problème. Les gens ont besoin de parler de leurs problèmes et de se sentir entendus dans ce qu’ils vivent de difficile. Donc on peut aller les rejoindre au milieu de la rivière pour les écouter mais dès que l’on pose une question c’est une question qui tente de ramener sur le rivage en s’intéressant notamment au héros.
Comment ça se passe concrètement pour parler au héros. Plusieurs manières de procéder. Voici quelques exemples ci-dessous :
En tout début d’accompagnement. Quand la personne vient pour la première fois, elle va d’emblée nous raconter ses difficultés et ce qu’elle souhaite.
Une des manières de faire autrement est de dire à la personne : « J’entends ce que vous vivez et pourquoi vous venez. Ce que je vous propose c’est de faire connaissance avec vous en dehors de ce que vous m’amenez pour voir sur quoi vous allez pouvoir vous appuyer pour relever votre défi. Et je pose des questions comme :
ü Quelle est l’histoire de votre présence face à moi ? pourquoi moi, pourquoi maintenant ?
ü Qu’est-ce que vous privilégiez en venant me voir ?
ü Comment vous appelleriez cet élan de vie qui vous amène à moi ?
ü Vous avez un défi à relever, j’aimerais beaucoup que vous me racontiez un défi que vous avez déjà relevé dans votre vie. Pour voir ce que vous mobilisez en vous en général pour relever les défis ?
Dans l’idée que le réel n’a pas le monopole de la réalité. Que de se retrouver face à nous, c’est bien plus riche qu’ils ne le pensent. Nous allons questionner « de quoi ils ont triomphé pour être là, face à nous ». Honorer d’entrée leurs intentions, leurs valeurs, leurs ressources. David Epston dit « Dès la 1ère rencontre, faire de nos séances un endroit que les personnes n’ont jamais connu ailleurs » C’est-à-dire très ressourçant où on ne parle pas que du problème.
Je me souviens d’une famille qui souhaitait que j’accompagne leur adolescent de 16 ans qui avait des problèmes de comportement, qui ne travaillait pas en cours, qui s’était déjà fait renvoyer d’un lycée. Quand cette famille arrive dans mon cabinet, je sens qu’ils n’ont qu’une envie c’est de me raconter ce qu’ils vivent de difficile avec leur enfant. Le jeune est avec eux, il ne me regarde pas, il est sur son téléphone.
En les accueillant je me demandais comment j’allais démarrer avec eux pour ne pas laisser le problème gâcher notre première rencontre. En attendant de trouver, j’ai invité la famille à s’asseoir, je leur ai proposé un café et j’ai démarré avec la seule idée qui m’est venue en demandant aux parents : « Je sais que vous venez pour votre fils, je sais que vous traversez quelques difficultés en ce moment avec lui, néanmoins, j’aime bien faire connaissance avec la personne que je dois accompagner à travers ses compétences, pour savoir sur quoi on va s’appuyer tous les deux pour relever son défi. Est-ce que vous voulez bien me parler de votre fils, de ce que vous appréciez particulièrement chez lui ? »
J’ai surpris toute la famille avec ma question. Le jeune a levé enfin les yeux vers moi. J’ai senti que la marche était un peu haute pour les parents. Ils avaient du mal à répondre. Ils n’étaient pas venus pour ça. Après un petit silence, le jeune m’a dit amusé « je crois qu’ils ne vont pas trouver ». Et c’est la mère qui a démarré en disant : « Il est très patient. Il passe des heures à jouer avec son petit frère, à lui raconter des histoires. C’est le seul qui arrive à l’endormir ». Ensuite le père a rajouté : « Et puis il faut dire à part les soucis que l’on a avec lui, il est assez drôle, il a beaucoup d’humour ».
Le jeune homme était maintenant complètement avec nous. Il avait l’air content d’entendre cela. Je lui ai demandé de me raconter quelques histoires qui montrent que c’est un jeune homme patient et drôle.
Il s’est écoulé 20 mn depuis le début de la séance et j’ai fini par demander : « alors pourquoi vous venez ? » Ils m’ont parlé de leur histoire de problème qui du coup était une histoire parmi d’autres histoires. Elle ne prenait plus toute la place. Ça a considérablement changé l’ambiance et le ton de la séance.
Dans le cadre de France Travail, Yan raconte son parcours. Il a 52 ans, il n’est pas marié, n’a pas d’enfant. Il n’a pas fait beaucoup d’études. Depuis 20 ans il cumule les petits boulots manuels dans différents domaines. Depuis 2 ans il ne travaille plus et a été obligé de retourner vivre chez sa mère. Il occupe son temps entre jeux vidéo et recherche d’emploi. Il a néanmoins fait une formation de cariste il y a un an. Mais il n’arrive pas à trouver un travail en lien avec sa formation car on le trouve trop vieux, dit-il.
Quand Yan se raconte de la sorte, il n’a plus d’espoir pour lui. C’est la victime du système qui parle. Donc l’accompagnant pourrait vite se laisser recruter par son histoire et ne plus avoir d’espoir non plus pour son client. Et, si je veux être honnête, à ce moment là de notre conversation, je me dis que ce n’est pas gagné pour Yan.
Pour l’aider, j’ai besoin de me refasciner par Yan. Et pour cela, ma première question a été : « Yan, j’entends que ce n’est pas très facile ce que vous vivez actuellement. Vous avez un grand défi à relever qui est de retrouver un emploi à 52 ans. Est-ce que vous voulez bien me raconter un défi que vous avez déjà relevé dans votre vie pour que je voie comment vous vous y prenez pour relever les défis ? »
Yan me répond que professionnellement il n’a pas l’impression d’avoir relevé des défis, il a toujours pris ce qui se présentait. Je lui ai dit : "et cette formation de Cariste que vous avez faite est ce que ce n’était pas un défi ?" Il me dit : "Non. J’ai pris ça car il n’y avait rien d’autre et que c’était une formation gratuite."
Ok Yan, je me permets d’insister un peu car vous m’aideriez beaucoup à vous souvenir d’un défi même personnel que vous auriez relevé ? Yan réfléchit et me dit « quand j’étais enfant j’étais obèse et je l’ai été jusqu’à mes 40 ans. Une obésité morbide. Je pesais presque 200 kg. Et à 40 ans, j’ai décidé de mener un combat contre l’obésité que j’ai gagné. Avec des rechutes, des opérations chirurgicales. Ça a mis 7 ans pour le gagner ! ».
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Yan m’a raconté tout ce qu’il a mobilisé en lui pendant des années pour gagner ce combat. J’ai demandé à Yan : « Qu’est-ce qui a créé le déclic à 40 ans pour mener ce combat ? »
Il m’a répondu : « C’est mon médecin qui m’a dit que si je ne maigrissais pas j’allais mourir ».
Je lui ai dit : « Donc vous ne vouliez pas mourir. En disant non à mourir, vous avez dit oui à quoi ? »
Il me répond un peu surpris : « Ben, j’ai dit oui à vivre ».
A partir de là, j’ai continué à parler à Yan le héros qui sait mener un combat et le gagner. J’avais en face de moi quelqu’un que je sentais à présent capable de trouver un emploi à 52 ans et du coup lui commençait à y croire aussi. Yan était sur le rivage. On a pu commencer à aborder son projet de trouver un emploi. Et ce n’était plus la même histoire.
Voilà les autres questions que j’ai posées à Yan pour enfin aborder son projet :
ü C’est quoi vivre pour vous ?
ü Donc pour vivre vous êtes prêt à mener un combat ?
ü Est-ce que trouver un emploi c’est vivre aussi pour vous ?
ü Qu’est-ce que le fait de trouver un travail va vous permettre de vivre demain ?
ü Quelle pourrait être la première étape ? etc….
Dernier exemple, Karine s’est présentée à moi pour créer sa propre marque de vêtement. Elle venait de passer plusieurs années comme styliste chez de grands couturiers et souhaite aujourd’hui réaliser son rêve de créer sa marque. Cette fois-ci j’avais directement l’héroïne en face de moi pour démarrer l’accompagnement.
Nous avons eu deux belles séances pour démarrer son projet. A la 3ème séance, je me retrouve face à une Karine qui ne croit plus à son rêve. Le doute s’est invité et installé en elle. Elle me dit : « Je crois que j’ai rêvé trop grand. C’est toujours comme ça quand j’ai un projet. Je ne vais jamais au bout de mes projets. Il y a toujours un moment où je ne contrôle plus rien. Je manque de volonté ».
La victime a volé la vedette à l’héroïne. Je dis à Karine : « De quoi avez-vous besoin concernant cette séance ? » Elle me répond : « J’ai besoin de regagner en confiance sur ce projet ».
Alors pour tenter de retrouver l’héroïne, je demande à Karine : « Karine, quand vous vous retournez sur votre vie, aussi loin que vous vous souveniez, quelles sont les décisions que vous avez prises ou su prendre qui allaient dans le sens de prendre soin de vous et de vos projets ? »
Karine a formulé trois réponses :
ü A 17 ans elle a pris la décision de quitter des parents toxiques, pour aller vivre chez une tante qu’elle aimait bien.
ü Elle voulait, contre l’avis de ses parents, être styliste. Elle est styliste
ü Il y avait trois couturiers avec qui elle rêvait de travailler. Elle a réussi à travailler avec les trois.
Après chacune de ses réponses on s’arrêtait un peu pour voir ce que cela dit d’elle, de ce qui est précieux pour elle, de ce qu’elle a su mobiliser en elle.
Après notre discussion, j’ai demandé à Karine où elle en était. J’ai su que l’héroïne était de retour à sa réponse. Elle m’a dit : « je m’aperçois que j’ai toujours eu foi en la vie ».
A l’issue de notre séance Karine a repris son projet.
Pour terminer je dirais que s’intéresser au héros aide l’accompagnant à ne pas se laisser recruter par les histoires de problème de son client et aide notre client à se refasciner par sa vie et par là-même à retrouver son pouvoir d’agir.
N’oublions pas que c’est notre client qui choisit la destination mais l’accompagnant a toujours le choix du chemin à prendre pour y arriver.
Dina Scherrer
*David Denborough – Thérapeute et travailleur social australien. Son livre « redécouvrir les histoires de notre vie » Satas
*Arbre de vie – méthode métaphorique d’accompagnement issue des Pratiques Narratives initiée par Ncazelo Ncube et David Denborough
Révélatrice de potentiels (Oriente-tes-sens) & Accompagnement des créateurs d'entreprise (Initiative SGRV)
2 sem.Une pratique fabuleuse ✨
Infirmière spécialisée en santé mentale, Coach certifiée
1 moisC'est très intéressant d'aborder à la première rencontre les ressources antérieures mobilisées ! Merci Dina Scherrer pour le partage de votre grande expérience.
Médiateur et Coach d'équipes | Déployer le plein potentiel de vos équipes | Expert en Collaboration et Qualité Relationnelle
1 moisUn grand merci Dina pour ce moment de partage.
Coach professionnel certifié et Mentor auprès des entreprises Alimentaire et Beauté
1 moisMerci Dina Scherrer pour ce partage tout en générosité et merci à toi de rendre tellement humaine la pratique de l’accompagnement. J’admire la précision dans la simplicité de tes questions . Profond respect 🤗
Executive Coaching - Leadership & Development Lead - Care and performance
1 moisDe très bons conseils