Ski de Boss (2/5)
Et si les années 2010 avaient sonné le glas du Powerpoint, des référencements auprès des services achats et des salons BtoB qui sentent la naphtaline ? Et si le networking 2.0 consistait, quand on est directeur marketing, à se faire inviter au Club Med par une batterie de fournisseurs, en échange de la promesse de signer plusieurs contrats ?
En contrepoint de l'avis des annonceurs, il me semblait important de recueillir le témoignage imaginaire d'un de ceux qui paient les gougères, au retour de la sortie en raquettes, à savoir un fondateur de start-up.
Pierre-Antoine D. (co-founder d’une start-up spécialisée dans l’I.A. et le deeplearning appliqué au drive-to-store)
« Ma société est l’un des poneys les plus prometteurs du new retail. (ndlr : à l’instar des licornes qui désignent les start-ups valorisées plus d’un milliard d’euros, les « poneys » s’appliquent aux jeunes pousses de taille moyenne (valo inférieure à 10 millions d’euros), soit celles situées entre les baudets (<1M€) et les canassons (<100M€))
Nous proposons des stories personnalisées sur Instagram, qui permettent aux retailers de se passer intégralement de catalogues papier, de cartes de fidélité et même de parkings. Cette solution, qui a gagné une centaine de prix depuis 2017, est reconnue par tous comme l’une des plus disruptives d’Europe et m’a même permis de faire des selfies avec Marc Simoncini et Michel-Edouard Leclerc en 2018.
La communication des start-up est un travail de fourmi. Remplir des dossiers de candidature pour des cérémonies de récompenses proposées par des concurrents, les inviter à notre tour à s’exprimer dans des livres blancs que personne ne lit. Les néophytes pensent que le social selling des start-up consiste à poster des photos du concours de « pull moche » ou des résultats sur Mon Petit Gazon. Mais la réalité est bien loin des clichés, moins glamour et plus business.
Le community manager passe sa journée à commenter sur LinkedIn avec des « bravo à toute la team », à publier des photos du moindre meeting prospect avec des « merci pour le formidable accueil » (mon cul, oui, la plupart du temps, on a 30 minutes et à peine un café) et à féliciter les jeunes pousses au moindre article sponsorisé dans Forbes ou au moindre passage payant sur BFM Business. Ce qui revient à se poster devant une boulangerie pour féliciter ceux qui en sortent, d’avoir réussi à convaincre la boulangère de leur offrir un pain au chocolat (chacun sachant très que la viennoiserie a donné lieu à une transaction, mais faisant mine de ne pas le voir). « Bien joué, à toute l’équipe !!! ».
Le biz dev est donc un sport de combat. Et le chemin est long pour se faire un prénom comme Michel et Augustin et finir par poser en couverture de Management. Tout le monde n'a pas la chance d'inventer des produits qui changent le monde ou des déos biodégradables.
Pour en revenir aux événements festifs de networking, ils ne sont pour moi que l’adaptation au monde moderne de principes séculaires. La tradition veut que lors d’un déjeuner entre fournisseur et client, le fournisseur règle la note, comme une forme de « galanterie » dans la relation commerciale. Alors certes, un voyage au ski avec Harry Roselmack coûte un peu plus cher qu’un ceviche de daurade, mais le principe reste le même.
Le plus simple est de voir ça comme un voyage d’intégration, dans lequel les start-up seraient les bizutés et où le BDE ne serait pas vraiment bénévole. Ou comme une cousinade, le digital étant une grande famille, dans laquelle les Boboss (ndlr : c’est ainsi que Pierre-Antoine désigne les annonceurs) seraient ce vieil oncle qui tente de rester « branché ». Et c’est avec beaucoup d’affection, avec une tendresse quasi-familiale, que nous charrions, entre nous autres, agences et start-ups, ces CMO du CAC 40 qui pensent encore que l’inbound est une pratique SM et le Data Lake, la capitale des mormons.
Payer pour rencontrer des « Décideurs », qui sont rémunérés par leur employeur, pour nous recevoir gratuitement le reste de l’année, peut paraître un peu bizarre. On ne va pas se mentir, la plupart du temps, dans les « speed datings », pour filer la métaphore du flirt, on croise surtout des ex ou des « copains de copains ». Les « start-ups » qui ont les moyens de sponsoriser ces événements ont en général la taille suffisante pour apparaître dans les mappings de veille des stagiaires du département marketing. Et ce serait une faute pour un CDO de ne pas les connaître.
La vraie révolution tient ici à l’intermédiation de la « gratitude », via un astucieux pot commun. Le fournisseur n’arrose plus directement le signataire chez son client (c’est d’ailleurs interdit, je crois), mais paye son écot à l’organisateur, qui se charge de redescendre « les témoignages de gratitude » (invitations et autres gratuités) sur les signataires des contrats. Tout le monde s’y retrouve et le biz dev est toujours plus efficace avec un pot-de-vin, on le sait depuis la corruption de la pythie chez Hérodote.
Cette approche systémique du « backchich » pourrait paraître mafieuse à certains philistins. Le plébiscite de ces événements pourrait suggérer qu’il n’y a plus d’autre moyen de signer avec un grand compte que de l’arroser. Mais je trouve exagéré qu’on parle de racket. Les sponsors viennent de leur plein gré et nous dépensons avec plaisir l’argent de nos tours de tables.
Nous nous sentons comme des Robins des Bois qui prennent l’argent des fonds d’investissement pour le réinvestir dans l’économie locale, à Courchevel ou Marrakech ».
Journaliste chez Radio Classique, chroniqueur au Parisien WE, podcast Perles de Culture
4 ansC’est très drôle ! Et vrai. Comment échapper à ce billard à trois bandes ? Nationaliser les évents ! L’enfer...
Head of Western B2B Field Marketing chez Adobe France
4 ansToujours cet humour ravageur et brillant. Hâte de lire la suite!
Co-founder at Five Lives - « Add Life to Years ». Brain health and lifestyle coaching for the 50+
5 ans“Nous nous sentons comme des Robins des Bois qui prennent l’argent des fonds d’investissement pour le réinvestir dans l’économie locale, à Courchevel ou Marrakech” magnifique.
Directeur Général et Finances expérimenté | Transformation Digitale | Management Ops, Sales & DAF | Expert Finance & Opérations | Management de transition
5 ansTu as l’air en forme :-) on attend l épisode 3
(dans la foulée de mon post d’hier, 14 experts Linkedin m’ont approché en MP pour me proposer leurs services et m’envoyer leurs « 10 conseils gratuits pour mieux performer sur le réseau » - j’ai essayé d’ « être plus concernant pour favoriser l’engagement » en posant des questions appelant à laisser des commentaires. N’hésitez pas à me dire ce que vous en pensez, demain je vous mets plein d’emojis parce que ça aide à être impactant)