Sois jeune et tais-toi : Emploi & Travail
« Il est trop facile de stigmatiser la jeunesse en la traitant d'incapable, d'inculte et de geignarde, tout en oubliant que les politiques publiques lui tournent le dos, qu'elle rencontre des difficultés plus rudes que ses aînés à l'entrée dans la vie professionnelle, que le chômage la guette même à la sortie de longues études, que le changement climatique compromet son avenir et que la dernière pandémie lui a volé ses années étudiantes. Autrement dit, quand certains clament que la jeunesse : « c'était mieux avant » ils oublient que le contexte l’était peut-être également »
Ce paragraphe de conclusion résume très bien le livre de la journaliste Salomé Saqué.
Elle y mène sa propre enquête sur les jeunes français de 18 à 29 ans. S’appuyant sur les critiques régulièrement formulées envers la jeunesse, elle s’attaque à différentes dimensions : l’emploi, la « méritocratie », les politiques publiques pour la jeunesse, la relation à internet, la culture, l’information, la politique, l’engagement citoyen et évidemment l’éléphant au milieu de la pièce : le changement climatique ( et la transition écologique que la jeunesse attend toujours).
Soulevant les clichés et préjugés, elle les démystifie pour exprimer les voix multiples de la jeunesse.
Son objectif n’est pas de dresser jeunes contre boomers, une voie tentante mais stérile. Au contraire, il s’agit de mieux comprendre la jeunesse pour tendre la main vers les autres générations. D’ailleurs ces catégories utiles pour l’analyse sont perméables, il y a des jeunes aux comportements de boomers et l’inverse est vrai aussi.
Malgré son intention, la jeunesse ne changera pas le monde seule. Elle n’en a ni le poids démographique, et donc politique, ni le poids décisionnel, ni les moyens financiers. Il s’agit de s’allier avec tous ceux qui voudront mener et réussir cette transition écologique pour dépasser déni et paralysie.
Je résumerai ici deux orientations liées à l’environnement professionnel : l’emploi et le travail.
Emploi : entre chômage, précarité et pauvreté
La fainéantise supposée des jeunes est un cliché. « De mon temps on se retroussait les manches », oui mais en ce temps-là régnaient les 4 p : Paix, Prospérité, Plein emploi et Progrès. Le contexte a changé.
La massification de l’enseignement supérieur ne s’est pas accompagnée d’une augmentation d’emploi. Résultat de nombreux diplômés ne trouvent pas chaussure à leur pied, ils enchainent des jobs précaires en-dessous de leurs compétences.
Et ceci au grand désespoir et à l’incompréhension de leurs parents. Ces derniers ont réalisé des sacrifices pour permettre à leurs enfants de réaliser une ascension sociale, qui ne vient pas.
Au-delà des jobs précaires, d’autres ne sont ni en étude, ni en emploi, ni en formation. Ces grands perdants du système seraient environ 1 million en France. Leur triple statut « ni » les exclut de toute une série d’aide. Direction : la précarité.
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La prétendue fainéantise des jeunes se heurte donc à un contexte économique fort différent des générations précédentes. Cette précarité dès le départ pour de nombreux jeunes impacte fortement leur départ dans la vie active.
L’engagement politique par le travail
Rupture fondamentale avec les autres générations, l’argent n’est plus la motivation principale des jeunes. Le temps réservé à la vie privée, le sens et l’éthique sont devenus des critères déterminants dans le choix du métier et de la carrière.
Attention, ce raisonnement ne vaut que pour les couches privilégiées de la jeunesse. Une fracture sociale marque ici les jeunes. Quelques témoignages sont fort parlants : « A quoi bon gagner beaucoup d’argent lorsqu’on participe activement à détruire la planète ? » « Mon métier n’aurait plus […] de sens si je savais qu’il contribuait d’une manière ou d’une autre à dégrader […] notre planète ».
Cette cherche de sens et d’éthique se traduit par un appel à la désertion des futures élites. Plusieurs promotions de diplômés (ingénieurs, agronomes,…) ont ainsi appelé à revoir les programmes d’enseignements de leurs filières et à ne pas contribuer aux entreprises qui causent la catastrophe écologique.
La relation au travail a donc changé. Le désaveu du travail n’est pas pertinent, il s’agit d’un renoncement à un type de travail, une volonté de contribuer au collectif.
Pourquoi le lire ?
Si ce bref exposé des arguments de l’autrice vous séduit ou encore mieux vous fait bondir, c’est l’occasion de découvrir son enquête.
J’ai repris ici quelques traits généraux. Le livre de 300 pages présente plus de finesse et de nuances.
Une occasion d’adopter le point de vue de la jeunesse pour tisser des liens, dépasser nos peurs respectives et construire ensemble le futur.
Salomé Saqué, Sois jeune et tais-toi, Petite Biblio Payot, 2024 (édition de poche)