Sommes-nous vraiment malheureux ?

Sommes-nous vraiment malheureux ?

Je suis né en 1904 dans un petit village français. J’ai de la chance, car tout juste trente ans avant, une loi a été votée interdisant le travail des enfants de moins de 12 ans, le travail de nuit pour les filles mineures et pour les garçons de moins de 16 ans. De plus, le repos du dimanche devient obligatoire pour les ouvriers âgés de moins de 16 ans.

En 1906, j’ai deux ans, et le dimanche devient repos dominical. La France n’intègre plus l’Alsace et une partie de la Lorraine depuis la guerre de 1870, et la moitié des Français travaillent dans les champs. On ne mange qu’un repas par jour et la cheminée sent mauvais parfois dans la maison.

Le 28 janvier 1910, j’ai six ans. Mon père me dit qu’à Paris, la Seine à inondé 20 000 immeubles et des centaines de rues sont envahies par une eau insalubre car les égouts refluent.

Le 2 août 1914, j’ai dix ans, ma mère a hurlé quand elle a vu l’ordre de mobilisation affiché sur le fronton de la mairie. Elle a couru prévenir mon père qui s’occupait de la moisson avec nos voisins. Ils doivent tous partir à la guerre. Je deviens l’homme de la maison, même si je n’en ai pas envie. À l’école, la maîtresse nous a dit que la guerre avait commencé parce qu’un archiduc austro-hongrois avait été assassiné à Sarajevo par un Serbe. Je ne comprends pas vraiment pourquoi mon père doit aller se battre pour ça. À l’école, l’été il fait chaud, mais ce n’est rien à côté de l’hiver quand le poêle à bois au fond de la classe est chauffé au rouge mais que ça ne change rien. On passe notre temps à lever les pieds pour qu’ils ne touchent pas le sol gelé. Heureusement, ma mère vient d’apprendre par la voisine que les épouses de mobilisés recevront une allocation de 1,25 Francs et 50 centimes de plus par enfant de moins de 16 ans.

En 1916, j’ai 12 ans. Les femmes font la queue pendant des heures pour avoir du charbon dont le prix à quadruplé, car les Allemands bloquent l’extraction du nord de la France pour leur consommation. La farine manque beaucoup, car la production de blé à baissée de 58% en deux ans.

En 1918, j’ai 14 ans et il faut que j’aille travailler, car mon père ne reviendra pas. J’ai trouvé un travail dans une manufacture pour 60 heures par semaine. Heureusement que je ne suis pas un adulte sinon je devrais travailler 12 heures de plus.

En octobre, la grippe espagnole frappe le pays et tue 400 000 Français. On doit se laver les mains souvent et porter un masque de coton. Ça tient chaud, donc je le supporte.

En 1919, on fête la victoire, mais il y a 760 000 veuves et autant d’orphelins. Je n’ai pas le cœur à la fête et on m’attend au travail. Il y a tellement de travail à faire et si peu d’hommes, que nous voyons arriver beaucoup de Polonais, d’Italiens et de Portugais qui enfin vont nous aider à relancer l’économie du pays.

En 1927, j’ai 23 ans et je m’enthousiasme pour l’atterrissage de Charles Lindbergh à Paris le 21 mai. Il a traversé l’atlantique d’un seul coup et en solitaire. Quel exploit !

En 1928, Poincaré dévalue le franc des 4/5eme de sa valeur, on doit rapporter à la banque nos pièces de 20 Francs Napoléon qui pèsent bien trop lourd maintenant.

En février 1929, j’ai 25 ans et on ne peut pas aller travailler, car la neige bloque tout le pays avec des températures qui descendent sous les -30 degrés dans certaines régions. J’ai réussi à acheter un poêle à charbon pour ma mère, mais c’est comme si nous n’avions rien. J’arrive à maintenir tout juste 8°c dans la salle à manger en chargeant le poêle et la cheminée. Et le problème c’est l’eau ! En 1929, seulement 23% des français possèdent un réseau de distribution d’eau potable à leur domicile. Nous, il faut aller à la fontaine, mais elle est gelée. On casse des morceaux de glace qu’on fait fondre sur la cuisinière à charbon qui vient renforcer le poêle et la cheminée. Heureusement, les édredons sont épais pour dormir au chaud. La même année, on apprend le krach boursier aux Etats-Unis, mais c’est loin les Amériques.

En 1931, j’ai 27 ans et la livre sterling est décrochée de l’étalon or et plonge le monde dans un choc économique plus grave encore. Le chômage touche 15% des actifs en France, et 44% en Allemagne. Je suis licencié de mon usine. Je travaille de petits boulots à la journée contre 20 francs « nouveaux ».

En 1933, j’ai 29 ans et j’ai retrouvé du travail mais c’est au tour du dollar de décrocher de l’or et les prix à l’épicerie ont augmentés de 30%, pas mon salaire !

En 1936, le Front populaire dévalue une nouvelle fois le Franc de 30 à 35%. La dévaluation qui suit le départ de Blum redonne momentanément des couleurs à l’activité.

En 1939, j’ai 35 ans et ce n’est plus mon père qui est mobilisé, mais c’est moi. Ma mère est inconsolable de me voir partir. 530 000 civils sont évacués de l’Alsace et de la Lorraine.

En 1945, j’ai 41 ans quand je reviens, mais je parais 50. Ma mère ne m’a pas reconnu, et moi-même l’image que me renvoi le miroir ne m’évoque qu’un vague souvenir. J’ai vu du sang, des râles, des cris, des pleurs. J’ai vu des choses qu’aucun homme ne devrait voir.

En 1954, j’ai 50 ans et l’hiver me rappelle ma jeunesse. En deux jours il tombe 85cm de neige à Perpignan, et 30cm à Montpellier. Les cours d’eau sont tous gelés. Heureusement on a l’eau courante dans la maison. Ma mère s’est endormie et ne se réveillera plus.

En 1968, j’ai 64 ans et à Paris ce sont les barricades. On compte 8 millions de grévistes dans toute la France. Moi je ne travaille plus à cause de ma blessure de guerre, et j’ai des douleurs nocturnes. J’en ai parlé à mon médecin qui me dit que ce sont les souvenirs de la guerre qui viennent me chatouiller la nuit. Il m’a donné des pilules. Je ne les prendrai pas.

En 1971, j’ai 67 ans. C’est la fin des accords de Bretton Woods et toutes les monnaies du monde sont décrochées de l’or, même le dollar. Plus aucune monnaie n’a de référence. On m’a dit que c’était les temps modernes. Moi je suis content d’avoir gardé les pièces de 20 francs Napoléon de mon père dans la petite boite en bois coincée derrière l’armoire. Il n’y a que mon petit-neveu, le petit-fils de ma sœur, à qui j’ai donné le secret. Quand il vient me voir il m’offre des dessins et me dit que je sens le pépé.

J’ai 67 ans et demi, et c’est l’âge d’espérance de vie pour un homme en 1971. Le chauffage central de ma maison est agréable et il fait 20°C partout, même en hiver. Plus besoin d’édredon épais pour s’endormir profondément...


Auteur : Régis Chaperon

Protégez-vous contre l'inflation !


 

 

Azzedine HELAL

Conducteur d'opérations

4 ans

Aaaaah, ça m'énerve, mon voisin se gare devant chez moi...il a 3 voitures !!! En plus, il faut chaud la journée et le matin faut mettre un pull. Fait ch...r, la baguette de pain a encore augmenté...c'est la faute de ce gouvernement... En plus, à la boulangerie j'étais tout seul avec mon masque...avant y en avait pas maintenant on en a trop...c'est la faute des chinois, avant on avait nos virus bien français. ... Carpe diem.

Que dire après avoir lu ceci ??? Arrêtons de nous plaindre pour rien!!!

Identifiez-vous pour afficher ou ajouter un commentaire

Plus d’articles de Régis Chaperon

  • Le Web3 c'est le futur ? Alors parlons du Web6 !

    Le Web3 c'est le futur ? Alors parlons du Web6 !

    On entend partout (enfin..

    7 commentaires
  • Je suis écolo et je suis sceptique sur les rapports du GIEC. C'est possible ça ?

    Je suis écolo et je suis sceptique sur les rapports du GIEC. C'est possible ça ?

    Je suis écolo et je suis sceptique sur les rapports du GIEC. C'est possible ça ? Je ne sais pas si c'est possible, mais…

    42 commentaires
  • Sortie officielle en juin 2021

    Sortie officielle en juin 2021

    Année 2095. Depuis 15 ans, la fonte du permafrost a libéré d'anciens virus et d'anciennes bactéries en sommeil depuis…

  • L'attaque

    L'attaque

    Après une minute d’existence, Welcome reset possédait 2 X 1028 microprocesseurs infectés. Ordinateurs, routeurs…

  • Tout commence par une graine

    Tout commence par une graine

    D'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours eu un sentiment amer vis-àvis de notre système de consommation. Il y a…

  • Nous ne sommes que des jeunes pousses sur un arbre centenaire

    Nous ne sommes que des jeunes pousses sur un arbre centenaire

    Nous voilà à l'approche d'un week-end bien mérité. J'écris mes romans le soir, mais exceptionnellement cette semaine…

    19 commentaires
  • Trouver sa place

    Trouver sa place

    J'avais à peine 18 ans. J'avais quitté mon lycée sur un coup de sang, suite à une remontrance en cours d'Espagnol.

    1 commentaire
  • Quand l'entreprise est malade

    Quand l'entreprise est malade

    Il y a quelques années, dans une très grande entreprise française, j'ai fait partie d'une équipe projet sur un…

    7 commentaires
  • LinkedOut : LinkedIn dans la vraie vie

    LinkedOut : LinkedIn dans la vraie vie

    Ce matin-là, je m’étais levé tôt et préparé avec soin. J’avais mis mon plus beau costume et une cravate neuve pour…

    27 commentaires
  • L'écologiste Michael SHELLENBERGER s'excuse d'avoir répandu la peur climatique

    L'écologiste Michael SHELLENBERGER s'excuse d'avoir répandu la peur climatique

    "Au nom des écologistes, je tiens à m’excuser pour avoir répandu la peur climatique" Michael Shellenberger est…

    6 commentaires

Autres pages consultées

Explorer les sujets