SUR LES LIMITES A LA LIBERTE D'AGIR POUR LES SOCIETES COMMERCIALES DE RECOUVREMENT DES CREANCES
Lorsqu'un créancier impayé fait le choix de son mandataire en recouvrement, il doit prendre en considération plusieurs facteurs qui permettent d'obtenir le paiement au moindre frais. Toutefois la considération purement économique n'est pas toujours la seule à guider ce choix.
Généralement les entreprises privilégient les sociétés privées de recouvrement dans leurs relations avec les consommateurs. En effet, leurs méthodes pour obtenir un paiement spontané du débiteur, et donc pour faire exécuter une obligation pécuniaire, ne requièrent aucunement un titre exécutoire ni même parfois de créance apparemment fondée dans son principe. Elles consistent à faire pression sur le débiteur avant toute action en justice et évitent ainsi au créancier les frais de procédure. Et si les huissiers de justice sont liés par la déontologie professionnelle, et agissent seulement dans le cadre de leurs fonctions décrits par l'ordonnance du 2 novembre 1945, les sociétés commerciales spécialistes du recouvrement amiable ont une plus grande liberté dans la façon de procéder avec le débiteur.
Une liberté plus grande, mais a-t-elle ses limites ? Le droit commun de responsabilité délictuelle interdit tout agissement répété à caractère vexatoire ou dégradant constitutif de harcèlement. Si on se pose du côté du créancier qui tente de recouvrer sa créance, quelle sera la mesure du raisonnable pour faire valoir ses droits face à un débiteur récalcitrant ? Quelle que soit la réponse, lorsque il s'agit d'un débiteur ayant la qualité de consommateur, place à la double prudence. Un rappel en ce sens par un arrêt de la CJUE du 20 juillet 2017 (Arrêt rendu par Cour de justice de l'Union européenne 10e ch. 20-07-2017 n° C-357/16).
Dans cette affaire une société de recouvrement est mandatée pour recouvrer une créance des échéances d'un prêt à la consommation. La CJUE estime que doivent relever du champ d'application matériel de la directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales, la relation juridique entre une société de recouvrement de créances et le débiteur défaillant d'un contrat de crédit à la consommation dont la dette a été cédée à cette société. « Relèvent de la notion de « produit », au sens de l'article 2, sous c), de cette directive les pratiques auxquelles une telle société se livre en vue de procéder au recouvrement de sa créance. À cet égard, est sans incidence la circonstance que la dette a été confirmée par une décision de justice et que cette décision a été transmise à un huissier de justice pour exécution. »
Cette décision mérite d'être saluée car renforce la protection du consommateur en matière du recouvrement abusif et met sur pied d'égalité les acteurs du « marché du recouvrement ». Toutefois, la motivation est mal amenée et on pourrait émettre des critiques à la CJUE pour la formulation.
1) Une formulation maladroite …
La CJEU désigne les pratiques auxquelles se livrent les sociétés afin de recouvrer les créances qui leur ont été cédées par les créanciers initiaux en tant que « produits », qui relèvent du champ d'application matérielle de la directive de 2005 relative aux pratiques déloyales. L'article 3 dispose exactement : « La présente directive s'applique aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs, telles que définies à l'article 5, avant, pendant et après une transaction commerciale portant sur un produit ». A la lecture de ce dernier nous constatons que sont interdites notamment les pratiques trompeuses et agressives, c'est-à-dire, soit contraires aux exigences de la diligence professionnelle, soit susceptibles d'altérer de façon substantielle le comportement économique du consommateur vis-à-vis d'un produit. Il suffit de s'interroger sur la nature de la relation qui lie la société cessionnaire de la créance et le débiteur pour comprendre que la pratique à laquelle cette société va se livrer pour recouvrer la créance ne peut être considérée comme « un produit » sur lequel portera cette relation. Ce « produit » est plutôt l'objet de la relation contractuelle entre la société de recouvrement et le créancier initial. Mais dans ce cas, le consommateur se retrouve en dehors du cadre contractuel, nécessaire pour l'application du droit de la consommation.
La créance est cédée, mais l'objet de cette créance, sa cause, comme on aurait dit avant la réforme du droit des obligations du 2016, n'existe plus entre la société de recouvrement et le consommateur. Force est de constater que la relations entre ces deux sujets relève du droit relatif à la responsabilité délictuelle. Toutefois, l'application des dispositions du code pénal révèlent des difficultés d'application que la présente décision de la CJUE est venue palier.
2)… pour une protection plus efficace
Avant la présente décision de la CJUE une possible sanction du comportement abusif et déloyal d'une société en recouvrement vis-à-vis du consommateur, c’était une condamnation pénale pour les faits de harcèlement définis à l'article L.222-16 du code pénal. Il prévoit, pour notamment les faits d'appels téléphoniques malveillants, une peine de prison de un an et 15.000 € d'amende. Une condamnation difficile à obtenir, car le recueil de la preuve nécessite plusieurs constats d'huissier et le caractère malveillant peut facilement être contesté.
Au contraire, l'article L. 121-1 du code de la consommation, qui résulte de la transposition de la directive européenne en question, contient une liste de pratiques présumées déloyales, ce qui inverse la charge de la preuve et facilite l'action devant la justice pour le consommateur. L'article vise expressément « des sollicitations répétées et non souhaitées par téléphone, télécopieur, courrier électronique ou tout autre outil de communication à distance ». De plus, le consommateur peut saisir la DGCCRF qui saura enquêter à sa place afin de savoir si telle ou telle façon de faire peut relever de la pratique agressive ou trompeuse. Les sociétés commerciales risquent plus fort, puisque la sanction au titre des pratique déloyales passe à deux ans d'emprisonnement et 300.000 € d'amende, assortis d'un possible prononcé de l'interdiction d’exercer une activité commerciale.