Télétravail et confinement
Une personne absente peut avoir une influence sur nos émotions. Un proche disparu, quelqu’un que l’on aime et dont on est éloigné, ou un chef qui nous stresse. En ce qui me concerne, j’ai la chance de travailler pour un employeur super ouvert, et en même temps orienté résultats, au service d’un public vulnérable. A situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles. C’est pourquoi pour rester accessible au public, nous avons décidé de toutes et tous passer en télétravail.
Dans mon cas comme pour beaucoup d’autres personnes, cela signifie être confiné à la maison avec les enfants. Je ne peux pas me plaindre, on a un espace extérieur, et c’est vrai que je ne me suis jamais senti aussi proche d’eux et passé autant de temps avec eux, sauf peut-être juste après leur naissance lors de mon congé de paternité. Malgré les conditions, la contrainte d’exercer un temps-plein et un mi-temps tout aussi exigeant en parallèle, les enfants ont l’air super heureux d’être avec leurs parents (ils ont 7 et presque 4 ans).
Le télétravail est l'occasion d'explorer d'autres modes de fonctionnement en équipe.
Par exemple, la visioconférence en entreprise, ou même en milieu associatif est un outil qui peut faire gagner un paquet de temps, probablement le bien le plus précieux dont nous disposons après la santé. On subit dans une ville comme Bruxelles un engorgement de circulation pénible à certaines heures de la journée, l’air que l’on respire y est mauvais. Le télétravail et les réunions à distance contribuent à améliorer la situation dans ce cadre. Il y a d'autres avantages.
Pour l'employeur, des économies d’échelle (locaux, frais fixes...), un management par évaluation des performances et des réalisations, et non basé sur le présentéisme, une flexibilité accrue. Une frustration peut naître du fait qu’il ne peut surveiller ses troupes de la même façon que si elles se trouvent au bureau. Comme lu ici et là, l'erreur consisterait à penser que l'on va répliquer exactement les modes de fonctionnement habituels et les transposer en mode télétravail. Ce nouveau mode d'établir des relations de travail entre collègues, collaborateurs et superviseurs modifient parfois jusqu'à la nature du travail. Beaucoup d'employeurs dont l'organisation n'avait pas du tout ou très peu de télétravail en place, y voient, à juste titre, une opportunité.
Pour les employé.e.s, cela signifie moins de temps perdu dans les embouteillages, une flexibilité qui permet d’être présent.e chez soi de façon mieux choisie. Si c'est bien mis en place et maîtrisé, une meilleure autonomie et la responsabilisation qui va de pair.
Limites
Le cadre n'est pas totalement idyllique. Notamment une part non négligeable de personnes se plaignent du fait que leur travail est rendu quelque part invisible, en raison du lien rompu entre l'employé.e et son employeur, ou ressenti comme tel. Nous n'avons par exemple plus tous ces moments informels qui permettent d'apaiser les tensions naturelles qui peuvent surgir au sein d'une équipe. Certaines tensions vont même parfois s'exacerber.
Le corps humain n’est pas fait pour rester assis toute la journée. On est bien d’accord, ceci est valable à la maison comme au bureau. Mais les conditions offertes par un service prévention (PPT) ne sont pas garanties de la même façon à domicile ou sur le lieu de travail. J’ai vu aussi de nombreuses personnes n’en sortant pas de problèmes techniques à répétition, dus au matériel à disposition et une incroyable charge mentale à domicile. D’autres se plaignent de l’absence de coupure travail-privé.
Ainsi, le télétravail est même une source de détresse pour près de la moitié des salariés selon une étude Opinion Way commandée par le cabinet conseil Empreinte Humaine, spécialisé dans le bien-être au travail (1). Un quart seraient en risque de dépression en raison du télétravail lié au confinement. Près de 20% manifestent des troubles anxieux, voire dépressifs, avec une augmentation si les personnes sont en couple ou avec enfants. Les femmes déclarent davantage en souffrir. Ceci n’est pas nécessairement en lien total avec le télétravail, il serait intéressant de mettre ceci en exergue avec les observations relatives à la santé mentale au travail (tout court), mais le phénomène s’aggrave selon cette étude en cas de combinaison du confinement et de télétravail.
Télétravail et emploi délocalisé
Le grand défi ce n'est pas que la moitié des travailleurs travaillent de chez eux et viennent un jour sur deux à Bruxelles. L’enjeu serait plutôt une relocalisation de l’économie et des emplois. Au niveau bruxellois où le taux de chômage est de 13% (30% chez les moins de 24 ans), cela signifie faire plus confiance, d’une part aux jeunes, et d’autres parts aux personnes migrantes.
La relocalisation des emplois, c’est trouver les ressources humaines dont on a besoin à moins de 10 km du lieu de travail, en tout cas à Bruxelles et en périphérie. Bien sûr, parfois on n’a pas le choix que d’aller chercher telle ou telle perle rare plus loin, pour la constitution d’une équipe performante. C’est parfois le cas de personnes qui maîtrisent par exemple une combinaison de langues ou qui cumulent une série d’expériences et de compétences uniques.
Mais relocaliser une partie des emplois, cela suppose plusieurs niveaux de mesures et de changement de mentalité :
- Tout d’abord une lutte sans merci contre toute forme de discriminations : il s’agit non seulement d’une question de droits humains fondamentaux, mais aussi d’une question économique et dans le cadre de la relocalisation, environnementale.
- Changer notre point de vue et se baser lors des recrutements sur les aptitudes potentielles plutôt que acquises, c’est un talent en soi que d’arriver à identifier les potentialités.
- Et enfin quelque chose qui tient plus de l’introspection : faire confiance et se faire confiance.
---------------------------------------- (1) Le télétravail, une source de détresse pour près de la moitié des salariés, selon une étude. https://www.franceinter.fr/societe/le-teletravail-une-source-de-detresse-pour-pres-de-la-moitie-des-salaries-selon-une-etude