Métamorphose

Février 2017. « J’ai le plaisir de vous indiquer que nous avons retenu votre candidature. » l’extase, le choc, la libération, la victoire. Après plus de 80 CV envoyés par internet, 16 par lettre postale en recommandé, des entretiens partout en France, j’atteins enfin le saint-Graal : être recruté dans l’un des plus grands cabinets de conseil du monde ! Voilà, j’ai réussi ma vie ! Enfin ! Après ces années de classes préparatoires, de concours, de grande école, j’ai enfin réalisé mon rêve. Je vais pouvoir me reposer, tous ces efforts méritent bien de gagner sa vie sans trop en fournir, non ? C’est ce qu’on m’a toujours dit à l’école ! Si tu travailles bien, tu vas réussir ta vie, eh bien c’est chose faite !

Décembre 2017. Levé à 6h30, je me lave, j’enfile mon costard-cravate, pas le temps pour manger je le ferai au bureau, je fais un bisou à ma copine, je prends ma vachette, je pars pour la journée, je rentre à 20h00. Je n’ai qu’une envie, comment faire plus d’argent afin d’avoir plus de temps pour moi ? Je découvre la crypto-monnaie, parfait. J’investis ce que je dégage de mon salaire en bourse, je travaille dans l’espoir de dégager assez d’argent en investissant afin de pouvoir me la couler douce d’ici peu. Les jours passent, le temps me presse de plus en plus. Je rentre de plus en plus tard chez moi, et je travaille avant de me coucher car j’ai des choses à finir, mais c’est normal, tout le monde fait ça dans cette boîte !

26 Décembre 2017. Je rentre du bureau, je sens que je dois marcher, quelque chose ne tourne pas rond. « Allons au cinéma ! » me dit ma copine, je me dis « Parfait ! », ça va me changer les idées. J’y vais. Aucune émotion. Rien. Le néant. Le film était nul de toute façon, c’est normal après tout quand on n’aime pas, on ne va pas se forcer ! Je me dirige donc vers un bar « e-sport » après le film, pour boire un coup,je n'y suis jamais allé auparavant, mais j'ai besoin d'être dans un lieu où je sens que je vais aimer l'ambiance. Mais rien n’y fait, je n’ai plus de plaisir, je ne comprends pas. Je suis dans mon lit, j’essaie de dormir mais ne reconnais rien. Je ne sais même pas ce que je fais ici, pourquoi suis-je dans ce lit, pourquoi ne suis-je pas près de mes proches ? C’est bizarre… Je ne dors qu’une heure ou deux, et je vais au travail.

27 Décembre 2017. « Tu peux m’envoyer le rapport de ta mission d’hier ? » me dit mon supérieur, j’essaie, mais je n’y arrive pas, impossible d’appuyer sur une touche de mon ordinateur. Ma tête le veut, mon corps refuse, et désobéit. Il veut voir le soleil. Pour la première fois, je ne vais pas à la pause-café de 10h30. Les grandes baies vitrées de cette salle aseptisée m'entourent, je regarde le soleil fixement, sans cligner, hypnotisé, comme si ma vie tenait à ce rayon, totalement soumis et avide de cette source de chaleur rayonnante, transperçant mon corps glacé et inerte.

Sans plus réfléchir, je vais voir mon n+2 « Je ne me sens pas bien, je rentre, je ne sais pas quand, ou si je vais revenir. ». Je pars. Une fois rentré à l’appartement, je fais part de mon état à ma copine, nous allons faire un tour à pied. Dehors, le soleil m’éblouit, le vent m’agresse, me fait peur, l’ombre me tétanise.Je m'oblige à boire, mais l'eau me dégoûte, je me force à avaler une banane, mais la dégurgite. Je n'ai pas mangé pendant 48h, à peine bu, et je viens d'en prendre conscience. Mes sens ne font plus sens. Je comprends que le temps m’est compté. Je rentre chez mes parents en voiture, à 330km d'ici. Chaque kilomètre est une petite victoire, une course contre la mort, je fonce à 130 km/h et je sais qu'un rien me permettrait de me libérer de ma folie. J'arrive, je pleure comme je n'avais jamais pleuré auparavant. Ma famille ne comprend pas. Tout est irréel, je peine à les reconnaître, impossible de distinguer le vrai du faux.

       Janvier 2018. Mon médecin fait son diagnostique, puis écrit « burn-out professionnel ». 6 mois passèrent sans que je sois capable de faire quoique ce soit. Un vrai légume, à l’image des perfusions de soupe que mes parents m'administraient. Je suis passé d’un jeune adulte indépendant, bientôt autonome, à un être tributaire. Plus d’appartement, plus de travail, et plus de copine. Pourquoi rester avec quelqu’un ? Me disais-je. Je suis un poids pour mes parents, c’est déjà bien assez. Mais plus le temps passe, plus il m'est insupportable de rester chez eux, je dois partir. J’emménage avec mes plus proches amis dans leur colocation, heureusement.

Je décide d'aller voir des médecins, des psychologues, pour avoir d'autre avis, ils m'ont recommandé d'aller voir un psychiatre, que je prenne des médicaments. Je refuse, je me dis que je suis le premier responsable de cette situation, et que je serai donc le premier responsable de ma guérison. Et que si jamais je sentais des signes de guérison venir, même infimes, je m’y accrocherai, car je saurai qu'ils sont réels, qu'ils sont là sans artifice, que ma guérison a bien commencé, aussi lente soit-elle.

Je décide de me battre, je fais au moins 1h de sport par jour, je ne mange plus de viande, et ne fais que des actions que je juge bénéfiques pour moi à long terme. Plus de mensonge à moi-même, et à chaque montée d’angoisse, je respire, je regarde l’orage passer, je ne refuse pas toutes ces idées noires, horribles, inimaginables, inadmissibles. Je me dis que si elles sont là, il doit bien y avoir une raison. D'abord absorbé pendant des mois par les recherches liées à la dépression, aux troubles du comportement, de l'humeur, de la personnalité; je finis par me lasser, car je n'y trouve pas de solutions. Je décide donc de m'intéresser au bonheur, j’en comprends une chose : le bonheur, c’est pour beaucoup la qualité des relations avec les autres.

Juin 2018. Durant l’été je tente l’expérience de la finance en entreprise, cette fois dans un cadre plus « cool », car je me dis qu'au fond, c'était le temps le problème, mais le travail m’ennuie, et je retombe dans mes travers. Deux mois plus tard, c’est la rechute. Cette fois, je sais que je n’ai plus le choix : si je veux continuer à vivre, je dois changer.

              Novembre 2018. « Bonjour, je vous laisse ce message vocal pour savoir si vous étiez à la recherche d’un entraîneur ? Je débute mais je suis super motivé pour m’investir ! » je fais cet appel dans un cagibi entouré de chaussures, ça sent la sueur et l'alcool, car depuis peu je travaille en tant qu’employé polyvalent dans une salle d’escalade. Je mets les couverts, sers les repas et la bière, nettoie les verres, accueille les clients... Ce travail me glace le sang, me suis-je vraiment donné tout ce mal pour être ici ? Non pas que ce travail ne soit pas noble, mais j’avais d’autres ambitions. Les jours passent, finalement le club que j’ai contacté me rappelle, je n’ai pas le temps de répondre, trop de choses à faire, l’air est surchargé de magnésie, j’étouffe, mais continue. « Salut Vivien, es-tu prêt à faire un essai mardi soir ? », hourra, oui tout à fait. Dans le même temps, j’avais commencé à faire du conseil en sport, et avant d’aller travailler, j’aidais des personnes à commencer la pratique de la course à pied, pour une misère. Je me souviens parfaitement de la première fois où j'ai eu 10€ pour une séance d’1h30. Jamais je n’avais été aussi fier, jamais je ne m’étais dit qu’un jour, je pourrais être payé à faire ce que j’aime. À ce moment, j'ai su que c'était le début. On célèbre souvent l'aboutissement d'une chose, trop rarement la naissance.

C’est dans cette succession d’événements que j’ai fini par m’orienter vers le coaching sportif. J’ai tout de suite accroché au rôle d’entraîneur, j’ai fait d’autres essais, finalement le Club de Volley-ball de Milly-la-Forêt me propose un service civique, je démissionne de mon poste pour la 3ème fois en 1 an, et m'engage au CVBM en novembre 2018. Après 20 mois, les plus belles étoiles de ma vie s'alignent enfin.

Septembre 2019. Je signe en CDI au sein du CVBM, la plus belle structure dans laquelle j’ai travaillé. Ici, je revis, je m’exprime comme j’en ai l’envie, j’aime ceux qui croisent mon chemin comme ils sont, et vis versa, je le sais, et je le sens.

Ici, je me relie aux fondements de la vie, je côtoie des tous petits, des vieux, des jeunes, des adultes; le vivant m'entoure, et chaque jour est pour moi une bénédiction. Dans ce métier, tout me paraît sacré, divin, les pleurs, la violence, la haine; la victoire, l'explosion de joie, le relâchement, la paix... Car ici, les excès sont tolérés. Ici, le présent a repris ses droits. J'en ai enfin fini avec cette sensation de fuite en avant sans fin.

Enfin, j’entre en formation au sein de l’IFSVB pour devenir animateur sportif, grâce à un BPJEPS APT, c’est-à-dire un diplôme d’État me permettant d’exercer mon métier. Car aujourd’hui mon but est de rendre la vie un peu plus douce grâce au sport.

              Infiniment reconnaissant de tout ce qui m’est arrivé dans ma vie, je remercie tous ceux qui m’ont soutenu, et tous ceux qui m’ont laissé tomber, parce qu’ils ont participé, d'une manière ou d'une autre, à cette métamorphose.

Thomas TROUCHKINE

PhD, Hardware Security Expert at ANSSI - Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information

4 ans

Félicitations !

Jules Edouard

Consultant en transformation IT chez BearingPoint | Transformation digitale

4 ans

Je te souhaite beaucoup de réussite dans tous tes projets à venir Vivien 🙂

Emilie Driutti

Formatrice et coach-facilitatrice pour une société plus juste, durable, inclusive

4 ans

Merci Vivien pour votre témoignage sincère et inspirant. J'adore le concept de célébrer la naissance de votre nouvelle voie... trop souvent, on n'a pas conscience de ce qui se trame réellement à cet instant là ! Les enjeux de la reconversion me touchent et je viens de lancer un podcast sur le sujet : Reconverse. Votre histoire me fait penser à celle de Rachel, interviewée récemment. Je serais ravie de vous accueillir pour parler de votre expérience. Faites moi signe si ça vous interesse :) encore merci pour votre post.

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