Transversal toi-même !

Transversal toi-même !

Demande d’un manager en charge de plusieurs équipes :

- Je veux que nous développions notre transversalité. Chacun a le nez dans le guidon, et nous ne savons pas vraiment ce que font les gens des services à côté.

- Quel est l’objectif visé ? je demande.

- Fluidifier les échanges, créer de la cohésion, me dit-il.

- A quelles fins exactement ?

Et là, un blanc.


Se parler, se connaître, c’est très plaisant. Ce n’est pas moi qui vais lui reprocher ce qui semble partir d’une excellente intention. Cependant les organisations ne fonctionnent pas sur des intentions, mais sur des logiques d’intérêt (au sens le plus large de ce mot). Certains sont évidents : la réussite de certains projets, des enjeux de profitabilité ou de développement. D’autres sont plus souterrains, enjeux de pouvoir, enjeux symboliques, etc. Si on ne s'appuie pas sur des intérêts précis et partagés, on se paie de mots, et on ne peut rien construire de durable.

Il me faut donc annoncer au manager une mauvaise nouvelle : la transversalité, ça ne se décrète pas. Si les gens se « silotent », comme il dit, ce n’est pas de la mauvaise volonté, ou du mépris pour la BU d’à côté. C’est tout simplement qu’ils se concentrent sur les interlocuteurs dont ils ont besoin pour accomplir leur tache, sur les projets qui sont en tête de liste de leurs priorités. Et leurs journées ne sont pas extensibles ! Est-il réaliste de leur demander d’aller passer la tête dans les couloirs de l’étage du dessus, juste pour faire coucou ? « Hello, les gars de la logistique, je suis venu vous dire bonjour, il paraît qu’il faut faire de la transversalité ».

Transversalité, dans les grandes organisations, est devenu l’un de ces mot-valises par lequel on essaie d’éviter de penser. A leur décharge, les organisations demandent aux managers de moins en moins de réfléchir, ou ne leur en laissent pas le temps. On exige de l’habileté manœuvrière (et politique), de l’initiative, de l’énergie, de la constance, de l’abnégation, mais on valorise peu la pensée. Alors, la tentation est forte de plaquer des concepts flous sur des situations dont on n’a pas étudié les caractéristiques. Au moins je serai dans l’air du temps, et ça fera classe sur mes slides.


Que peut-on viser, par la transversalité ?

  • Une compréhension des enjeux des autres services, qui aide à se situer dans une chaîne de fonctionnement
  • Lever des malentendus, des incompréhensions, d’éventuelles animosités et frictions liées à l’historique de l’entreprise
  • Clarifier la représentation que l’on a de l’organisation et des modes de fonctionnement d’un autre service, pour pouvoir ensuite s’adresser aux bons interlocuteurs
  • Tisser un sentiment d’appartenance à un corps social plus large (pas seulement le marketing ou les ventes, mais l’entreprise X, qui les englobe)
  • Harmoniser et enrichir certaines pratiques communes à tous les services (pratiques RH, par exemple)
  • Inciter et faciliter une polyvalence de compétences, la mobilité entre les services
  • Préparer des regroupements, des réorganisations
  • Etc. (je vous laisse en identifier d’autres, les objectifs sont par nature contextuels)


La transversalité, un moyen, pas un objectif en soi

Autrement dit, la transversalité n’est qu’un moyen. Il faut un but qui en vaille la peine : à cette condition, on pourra proposer un ou plusieurs dispositifs visant à construire de la (re)connaissance entre collaborateurs au-delà des frontières naturelles de leur équipe et de leur mission.

Car, à ce manager, il me faut annoncer une deuxième mauvaise nouvelle. Non seulement, il va lui falloir penser le pourquoi il veut développer de la transversalité, et l’exposer clairement à ses équipes, mais en plus il va devoir y consacrer des ressources, être inventif. Pour se connaître, pour tisser du lien, pour échanger sur des pratiques et les harmoniser, pour identifier des initiatives communes, il faut de l’espace d’échange. Des temps collectifs adaptés, un suivi, une stratégie : bref, un dispositif, dont le format et les modalités seront à inventer, encore une fois, selon les objectifs et la culture de l’organisation – mais aussi et surtout en s’appuyant sur tout ce qui existe déjà, sur toutes les opportunités de vivifier des temps collectifs existants, mais peu effectifs (la réunionite, ça vous dit quelque chose ?).


De l'incantation à l'action

Bref, on se méfiera de tous ceux qui sautent sur leur chaise en criant « transversalité ! transversalité ! » (car les collaborateurs auront vite fait de considérer ce mot d'ordre comme une lubie de la direction, une de ces incantations artificielle et à la mode dont les entreprises ont le secret). De même, on voudra échapper à cette double contrainte qui est un grand classique : demander aux gens d’être plus « transversaux » tout en les chargeant d’encore plus de taches « verticales ». Ca vous rappelle quelque chose ?

Transversal, horizontal, ouvert sur les autres collaborateurs et services de l'entreprise, voire au-delà ? Mille fois oui. D’un point de vue écosystémique, c’est un facteur de résilience et d’adaptation de l'organisation. C’est, évidemment, plus intéressant humainement, plus riche. Mais aller dans ce sens demande de ne pas s’en tenir à la bonne volonté, et d’identifier à la fois des intérêts précis qui, seuls, permettront la mobilisation des énergies individuelles et collectives au juste niveau, et des moyens concrets d'aller dans ce sens en tenant compte des contraintes du réel.

- Ah, au fait, je demande au manager, que diriez-vous de la transversalité dans votre comité de direction ? Et comment est-ce que vous faites pour la développer ?

marc traverson

coaching pro • équipes • co-développement • psychothérapie • auteur "les énergies de l'hypnose" (Albin Michel)

7 ans

Merci Gaël pour cette remarque. De fait certains services/directions ont par essence une fonction transversale. Et l'expérience montre que ce sont souvent eux qui se confrontent à la difficulté de communiquer avec des "silos" qui se protègent des intrusions. Mais justement le challenge est passionnant !

Gaël RENAUX

Responsable groupe : Eau, Optimisation et Travaux Neufs

7 ans

Certains services sont dans l'obligation d'être transversal... merci le service QSE de m'offrir l'opportunité d'avoir cette souplesse

Karine DAL CANTON

Coach consultante senior

7 ans

Faire de la transversalité un objectif sans vraie finalité , comporte un risque d'épuiser les ressources et la motivation des équipes, et les éloignent du sens

marc traverson

coaching pro • équipes • co-développement • psychothérapie • auteur "les énergies de l'hypnose" (Albin Michel)

7 ans

Merci Didier-Yves, la transversalité (qu'on pourrait aussi nommer "décloisonnement") est une nécessité ! Mais la renforcer ne peut se faire "dans le vide". Cela suppose, au-delà des injonctions de principe, un cap, des objectifs intermédiaires, des ressources (du temps!). En somme, un projet pour plus d'intelligence collective. Bien à toi

Didier-Yves Racapé

Co fondateur de VOLENTIS, membre du groupe Exponens expert-comptable & commissaire aux comptes, entreprises et notaires

7 ans

Ok Marc je partage ton analyse Mais il demeure que cette transversalité est et sera un outil ou moyen bien utile pour faire évoluer nos collaborateurs Je pense que ce sera essentiel pour que demain, l'homme dispose, sans dopage, d'une intelligence augmentée et adaptée aux évolutions technologiques Amitiés

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