Trump, président : quelles conséquences pour les Balkans ?
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Trump, président : quelles conséquences pour les Balkans ?

Donald J. Trump vient d’être officiellement investi 45ème président des Etats-Unis d'Amérique. Invité surprise de l'année précédente, il doit son élection à une campagne pleine de promesses fracassantes, aussi bien sur le plan intérieur que sur le plan extérieur. Sa volonté d'isolationnisme, de refonte des alliances traditionnelles, appellent une redistribution des cartes à l'échelle mondiale. La Chine, l'Iran, le Mexique, la Russie sont les pays qui ont été le plus souvent cités ces derniers jours. Les Balkans, traditionnel espace de conflit d’intérêts, scrutent également de très près les déclarations, inclinaisons, des proches de la nouvelle administration présidentielle.

Le repli annoncé par Trump semble sonner le glas définitif du quart de siècle unipolaire reflété dans les relations internationales par l'hégémonie américaine : si les Etats-Unis demeurent être la première puissance diplomatique, économique, militaire, celle-ci aujourd'hui n'est plus comparable à celle exprimée au cours des années 1990 en Irak ou encore en Yougoslavie. La contestation grandissante au début du siècle des décisions de l'administration Bush sur la scène internationale ont amorcé une réduction du gap entre les Etats-Unis et leurs poursuivants. L'hégémonie américaine ces dernières années a été remise en cause par les réactions chinoise, iranienne, russe. Plus significatif encore, la guerre civile syrienne a vu le retrait progressif de Washington au profit de l'étonnant consortium irano-russo-turc.

Ce désintérêt croissant s'explique par des campagnes successives peu probantes, aggravées par un bilan comptable désastreux : sur les trois dernières décennies, les treize guerres auxquelles ont participé les Etats-Unis ont coûté 14,2 billions de dollars. Pendant ce temps-là, bon nombre d'infrastructures entre Pacifique et Atlantique sont tombées en désuétude. C'est en incriminant la mondialisation que Trump a obtenu la voix des laissés pour compte, des populations abandonnées par la capitale fédérale. C'est à ce titre que le milliardaire a déclaré lors de son discours vouloir "transférer le pouvoir de Washington au peuple".

A contre-courant dans un appareil républicain traditionnellement russophobe

La région des Balkans est traditionnellement partagée entre les intérêts occidentaux d'une part (britanniques, français au début du XIXème siècle; allemands et américains aujourd'hui) et russes, sans oublier les acteurs périphériques de la zone que sont les chinois et les turcs. Traditionnellement, le peuple local le plus russophile est le peuple Serbe, partagé entre Serbie, Bosnie, Kosovo et Monténégro. Par opposition aux Serbes, Albanais, Bosniaques et Croates sont arrimés aux intérêts de l'Occident, représenté par le duo OTAN-Union Européenne. Les acteurs locaux, sponsorisés par des acteurs mondiaux donnent une ampleur planétaire aux conflits.

L'admiration à peine cachée de Trump pour la personnalité de Poutine a suscité des espoirs non seulement en Russie mais aussi chez les partisans de l'option moscovite à travers les Balkans. Au-delà des pays peuplés par des Serbes, le soft power Russe remet progressivement en question la politique étrangère de pays comme la Bulgarie, la Grèce, membres de l'OTAN. Il faut dire que les déclarations peu aimables de Trump à l'encontre de l'OTAN (déclarée "obsolète" à Der Spiegel) et de l'Union Européenne ("vouée à se disloquer après le Brexit") créent l'euphorie chez leurs contestataires de tous bords à travers l'Europe.

Ces déclarations représentent un tournant à 180 degrés dans la politique étrangère américaine. Alors qu'Obama a jusque dans les derniers instants de son mandat adopté une posture résolument offensive à l'encontre de Moscou (déploiement de 4000 soldats américains à la frontière orientale de la Pologne), Trump vient en rupture. Ainsi, a-t-il évoqué un allègement puis une suppression des sanctions à l'égard de la Russie, si cette dernière participait à la réalisation des intérêts américains définis par la nouvelle administration présidentielle parmi lesquels figure "l'éradication du terrorisme islamiste".

Un premier pas a été effectué par Trump en nommant Rex Tillerson, d'Exxon Mobil, un proche de Poutine. Néanmoins, le magnat a indiqué lors de son audition devant le Sénat que la "Russie représentait un danger". Déclaration d'usage ou réflexion sincère ? A l'image de Rex Tillerson, il est difficile de cerner les intentions de l'entourage proche de Trump et de ce dernier lui-même pour une raison simple, qui tient à la tradition hostile de la politique étrangère américaine vis-à-vis de la Russie, héritée de la guerre froide. Une hostilité bipartisane, où l'on trouve des démocrates, mais aussi des républicains comme John McCain ou Ted Cruz, influencés par Brzezinski. Si Donald Trump peut sincèrement penser que la Russie a la capacité pour être une alliée, la question se pose néanmoins de savoir s'il aura la marge de manœuvre nécessaire pour imposer ses vues en matière de politique étrangère, tant les ramifications de cette dernière sont nombreuses à travers l'OTAN et autres lobbyings.

Des dirigeants régionaux prudents mais à l’affût

Le lobbying Albanais est réputé pour être particulièrement efficace, preuve en est récemment avec la tournée d'Hashim Thaçi aux Etats-Unis. Dans le cadre d'une visite officielle débutée le 9 janvier dernier, le premier ministre kosovar a pu s'entretenir avec plusieurs hauts-secrétaires, sénateurs, congressmen, dirigeants de think-tank; dont Joe Biden, l'ancien vice-président (spécialiste des Balkans), et Robert Dole, républicain membre de l'équipe de transition de Trump, qui avait en son temps plaidé pour le bombardement de la Yougoslavie en 1999. Au total, quatorze entretiens, afin de s'assurer de la bienveillance de la nouvelle administration. On peut également citer les entretiens réalisés avec Jim DeMint (réputé être le sénateur républicain le plus conservateur), et le président du think-tank Heritage Foundation. Cette tournée stratégique a été couronnée par des discussions avec Michael Turner, président du groupe parlementaire de l'OTAN.

C'est de manière beaucoup moins transparente et plus laborieuse que la présidente Croate, Kolinda Grabar-Kitarović, a effectué cette tournée à Washington, s'attirant les foudres d'une opinion qui doute du contenu officiel du voyage. Malgré les critiques, l'ancienne diplomate a des contacts bien ancrés au sein de l'OTAN car elle a été pendant trois ans (de 2011 à 2014) secrétaire générale adjointe de l'organisation pour la diplomatie publique. A la suite de quoi, elle s'est présentée aux élections présidentielles qu'elle a remporté face au président sortant, Ivo Josipović. Les élections parlementaires récemment remportées par le HDZ ont fait de la Bosnie-Herzégovine, la priorité de la politique étrangère croate : Zagreb souhaite à tout prix inclure le pays dans l'OTAN afin de repousser la menace, selon la Croatie, d'une éventuelle indépendance de la République Serbe de Bosnie. Ce choix provoque non seulement la désapprobation de Banja Luka mais également celle des Croates de Herzégovine, ces derniers estimant que l'obsession Serbe de l'Etat Croate se fait au détriment de l'affirmation de leurs droits constitutionnels. Ils se sentent en effet minorisés par la majorité bosniaque.

Les Serbes de leur côté, n'agissent pas à l'unisson : alors que Vučić à Belgrade joue la carte de la stabilité et de l'équilibre entre Bruxelles et Moscou, Milorad Dodik (leader de la RS) joue celle de la sécession. Au-delà du référendum sur le jour de la République, le dirigeant du SNSD parle ouvertement d'une sécession de l'entité représentant 49% du territoire Bosnien. Ces derniers jours, il a même fait l'objet de sanctions de la part des Etats-Unis, l'interdisant de se rendre à Washington pour l'inauguration du mandat de Trump, à laquelle il a été invité. Cette invitation est-elle la marque d'une bienveillance du nouveau président à l'égard d'une sécession de l'entité ? Impossible à dire. Le sponsor principal d'un tel scénario est sans surprise la Russie. Cette dernière est le principal partenaire énergétique de la RS et a tout intérêt de voir éclore un Etat au cœur de l'Europe qui pourrait freiner les avancées de l'OTAN. Mȇme si la Serbie s'est déclarée opposée à une adhésion à l'OTAN, les velléités de Dodik embarrassent Vučić, dont les actions sont suivies de près par l'Occident.

Pas de changement ... dans l'immédiat

Les Balkans ne sont pas une priorité pour Donald Trump : l'éradication du terrorisme islamiste, la Chine, l'Iran, ou encore Israël seront les principaux dossiers de la politique étrangère. Néanmoins, plusieurs analystes, dont Siebo Janssen, n'hésitent pas à affirmer que dans le cadre d'un "pacte tacite", les Balkans seront "laissés" aux intérêts russes en raison de la faiblesse de l'Union Européenne, dont les membres sont incapables d'adopter une position unique à l'encontre de l'indépendance (ou non) du Kosovo. En effet, Chypre, l'Espagne, la Grèce, la Roumanie et la Slovaquie ne reconnaissent pas l'indépendance de ce que Belgrade considère être sa province méridionale. Un éventuel retrait des Etats-Unis de l'OTAN irait dans le sens d'une telle hypothèse.

Néanmoins, il est trop tôt pour dire si, à long-terme, les Balkans connaîtront de profondes modifications politiques, voire territoriales. La présence de Brian Hoyt Lee jusqu'à nouvel ordre au sein du Secrétariat d'Etat indique qu'une politique pour la région n'a pas encore été définie. Selon Srećko Latal, "les diplomates américains depuis plusieurs années s'auto-excluent des actualités bosniennes, quelles que soient leur teneur. Leurs déclarations n'ont plus aucune teneur économique ou politique importante qui amèneraient une amélioration de la situation".

Les récentes actualités prouvent que la paix dans la région est précaire : ainsi, Tomislav Nikolić a menacé le gouvernement de Pristina d'une guerre si jamais les forces kosovares venaient à assassiner des Serbes au nord de l'Ibar. Les tensions demeurent également vivaces entre Zagreb et Belgrade. Quid également de l'adhésion du Monténégro à l'OTAN malgré la signature de l'avenant protocolaire. Les prochains mois donneront la tendance ou non de ce qui pourrait être, l'avènement d'un nouvel ordre régional.

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