TUER LA MAISON Chapitre 1
Je n’aurais jamais imaginé être là un jour, non jamais. J’en avais rêvé pourtant, mais cela ne pouvait être qu’une chimère. Le cauchemar ne cessa pas comme cela. Il dura longtemps, trop longtemps. Pas le temps qui file, celui qu’on ne voit pas passer, non, l’autre, le lâche qui s’amuse de ne pas avancer, celui cruel défilant à la vitesse d’un régiment de légionnaires. Il nous reste l’espoir, la résilience, la Terre. Il nous reste la Terre. Il nous reste nous. Je suis là, j’en reviens toujours pas.
Cela fait maintenant deux ans que les événements ont éclaté. Les événements, la grande rébellion, le grand débarras. Une déflagration qui résonna au même moment sur toute la Terre, on n’allait pas la laisser tomber comme cela, il croyait quoi l’Homme ? Aveuglé par sa vanité il n’a rien vu venir ! Il est là, derrière cette porte, il va bientôt pénétrer la pièce, remplir cette salle de sa présence. Il n’est pas loin, je sens déjà sa mauvaise odeur. Et là, son avocat, le seul, le solitaire, le Loup, on a dû le tirer au sort, personne ne voulait s’y dévouer. Pourtant, tout justiciable a le droit à un avocat, au moins un. La partie civile elle, sera bien garnie, une triplette de stars du barreau, le gratin mondial. Il y aura l’Ours, celui qui ne perd pas souvent, sa voix caverneuse et ses colères font de son seul nom un client de choix pour le petit écran. On retrouvera aussi le Babouin, lui qui a mis la guillotine au chômage, le chômage cette fois-là étant plutôt une chance pour la tête, lui qui ne lâche jamais rien, et pour compléter le trio, on a choisi la Jument à la robe grise, celle qui a la dentition parfaite, bien soignée par les meilleurs vétérinaires Américains, elle se demandera bien ce qu’elle fait là, loin des milliards qu’elle a l’habitude de gérer entre le FMI et la Banque Centrale Européenne. Je sens l’excitation de la foule, je la sens monter. Les murmures se transforment en chants, les chaises qui claquent, les portes qui grincent, les flashs qui s’entraînent, comme pour être sûr d’avoir un éclair de lucidité le moment venu. Il faut dire que c’est tout de même un procès historique, c’est la première fois dans toute l’histoire de la Terre qu’un tel événement a lieu.
Je m’appelle Oscar, je suis reporter au journal Planète, je suis de la race des félins, la race des seigneurs, je suis chat. Oh, je ne vais pas trop la ramener, je vais essayer, je vais être professionnel. Je sens que l’accusé va bientôt rentrer, je le sens qui arrive. La porte de la salle d’audience, une véritable battante, s’ouvrit en fracas, et le voici, mains liées entouré de deux gardiens Chimpanzés, il donnait le tempo une dernière fois. La salle avait cessé son brouhaha, tout le monde voulait le voir, tout le monde voulait l’entendre. Voici l’Homme, le dernier Homme.
Mon ami Gérard, le Perroquet dessinateur avait déjà commencé ses croquis. « T’as vu sa sale gueule ? » me dit-il. C’est vrai qu’il en faisait une sale gueule ! Pas rasé depuis plusieurs mois, sa barbe le rapprochait un peu plus de nous. L’Homme avait réussi à inventer tout un tas de systèmes plus ou moins barbares pour supprimer les poils, rasoir, cire, laser, crème, car l’Homme cela lui rappelait qui il était, il voulait oublier l’Homme, il avait tellement oublié. Je ronronnais de plaisir. Un mammifère, un simple mammifère. Il avait oublié d’où il venait l’Homme, perdu dans ses turpitudes, il s’était pris pour Dieu sur Terre. Cela ne marche pas comme cela, non pas du tout, faut pas croire, il y a forcément une procédure de sauvegarde, une espèce de reset pour relancer la machine, réchauffement climatique qu’il disait l’Homme, fermant les yeux et continuant comme s’il ne se passait là rien d’important. Punaise faut quand même être sacrément con pour en arriver là ! Intelligent qu’il se dît l’Homme ! Faut être sacrément con ! S’il avait regardé un peu plus loin que son argent, il l’aurait vu, l’Homme, s’il avait regardé un peu plus loin que son image, il l’aurait vu, l’Homme, s’il avait un peu plus écouté, il l’aurait entendu…
Gérard était vraiment un dessinateur hors pair, il avait déjà fait deux croquis de l’Homme, seul devant cette foule. Cette foule multicolore, descendante des siècles passés, héritière des ancêtres disparus, nous ne sommes tous que l’héritier de quelqu’un ou quelque chose. Tous. Il avait un talent extraordinaire Gérard, c’était un spécialiste de la couleur, il savait rendre une ambiance de quelques coups de crayon. La couleur de la Nature, la seule qui n’a pas à rougir de ce qu’elle est, c’est l’originale. La foule, elle, commentait pour l’instant, observait, on sentait toute sa haine transpirer, dégouliner le long des bancs où sont installés les spectateurs, car c’est de cela dont il s’agit, un spectacle, les jeux du cirque, il allait voir ce qu’il allait voir l’Homme. Le Président et ses acolytes ne devaient pas tarder, le procès allait enfin pouvoir commencer. L’Homme s’était assis, tout refermé sur lui-même, comme écrasé par cette situation qui le dépasse, bien rentré dans sa coquille, il ne nous voyait plus, ce qu’il voyait, ce qu’il percevait, ce qu’il entendait était bien trop inimaginable pour pouvoir l’accepter. Son avocat, le Loup, avait pour habitude de chasser en meute, mais cette fois-ci, il devrait se débrouiller seul, il devrait faire valoir tous ses talents, qui voudraient encore l’aider l’Homme après tout ce qu’il nous avait fait, après tout ce qu’il était capable de destruction, d’écrasement, de captation. Le Loup, lui avait prodigué ce premier conseil, la sobriété, il lui avait fait enfiler un costume deux pièces, simple et froid, l’accusé ressemblant à un croque-mort comme cela. La sobriété, cela lui changera à l’Homme.
Je sortis mon carnet commençant à prendre des notes, fallait pas que j’oublie que j’étais là pour le travail, ma moustache frisait encore un peu, et je perçus une nouvelle fois la foule et son envie de l’écraser là, direct sans procès, comme un vulgaire Poussin de batterie. Mais on n’est pas comme cela nous, non, il allait y avoir droit à son procès, l’Homme, il le méritait, il devait entendre les chefs d’inculpation, cela serait trop simple de finir écrasé par la foule, mon Hippopotame de voisin suffirait pour cela, où même un simple coup de patte de l’Ours, là en face de moi, échappé de sa montagne il n’avait pas voulu louper l’événement millénaire. Son admiration pour son congénère l’avocat cathodique était sans failles. Ils étaient tous là de toute façon, tout le règne animal qui avait pu se déplacer et qui surtout était encore vivant siégeait dans cette salle du tribunal pénal international pour la Terre.
Les autres étaient derrière leurs écrans, leurs radios, leurs Smartphones, partout ce qu’il restait du monde s’était arrêté, le crime d’Ecocide Humanis allait enfin être jugé pour la toute première fois. Le Président fit son entrée. Mes moustaches frisaient encore un peu plus, j’étais tout excité, mais la chaleur dans la pièce me faisait transpirer à grosses gouttes. Nous étions au Brésil, à la porte de l’Amazonie, le poumon de la terre, le TPI pour la Terre se réunissait au tribunal de Manaus. Nous n’avions pas trouvé de lieu plus symbolique, nous les animaux pour que se déroule ce procès, le poumon de la terre !
Comment as-tu pu faire cela l’Homme, comment ?
#Tuerlamaison
Chapitre 1
Droits d’auteur @Juillet 2020
Benoît Le Vourc’h
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Ecrivain. Parolier. Professeur de mécanique. Multipass Podcast LE REEL DE L'IMAGINAIRE Ausha, Spotify, PodMust
4 ans#Tuerlamaison Le texte à découvrir dans la série d'articles.