Vers une croissance durable
Dans cet article, nous vous proposons notre analyse de l’adéquation entre notre mode de consommation et les enjeux environnementaux. Prenons comme acquis le fait qu’en matière d’écologie, nous faisons face à une épidémie de dissonance cognitive à l’échelle mondiale. Sans faire de litanie des conséquences de notre mode de vie, nous pouvons évoquer les périodes caniculaires qui perturbent l’Europe et les Etats-Unis, les tornades et autres cyclones à répétition, la consommation de ressources en excès des capacités naturelles de génération desdites ressources – selon ONG Global Footprint Network, il nous faudrait 1,7 planètes pour générer les ressources que nous consommons – la montée des eaux, etc. La communauté scientifique et les organisations écologistes ne cessent de lancer des cris d’alarme qui n’entrainent pour autant aucun réel changement des comportements. Nous sommes conscients, sauf quelques irréductibles climato-sceptiques, de la nécessité d’agir mais nous nous refusons à le faire si cela empiète sur notre confort quotidien. NIMB, « Not In My Backyard ». On souhaite le développement des énergies renouvelables mais on s’offusque si un projet de parc éolien venait à « polluer » notre champs de vision ou notre quiétude.
Or, le constat est simple, les actions les plus anodines de notre vie quotidienne provoquent directement ou indirectement chaque jour des dégâts environnementaux substantiels. Nous vivons à une époque où l’excès est la norme, que ce soit en termes de quantité d’eau consommée, d’électricité, de matières premières, des produits manufacturés, de sable, etc. D’autant plus que le réchauffement climatique a d’ores et déjà provoqué l’exode de millions de personnes. Une récente étude de la banque mondiale estime que si rien n’est fait, cet exode pourrait concerner plus de 143 millions de personnes d’ici 2050, entrainant des flux migratoires gigantesques et incontrôlables, de nombreux conflits régionaux et leur déclinaisons terroristes.
Nous ne payons pas aujourd’hui le juste prix de notre mode de vie
Nous ne sommes pas partisans du c’était mieux avant, bien au contraire. Comme le démontre scientifiquement l’excellent ouvrage de Johan Norberg « Non ce n’était pas mieux avant », les révolutions industrielles et les progrès intellectuels (ces notions sont bien évidement indissociables) ainsi que la croissance mondiale ont permis notamment de faire reculer le taux d’analphabètes, a quasiment mis fin à l’esclavagisme, a fait chuter le taux de pauvreté dans le monde et le taux de sous-alimentation, a permis à la majorité des femmes d’accéder au droit de vote et aux enfants d’avoir le droit de ne pas travailler (sans évoquer une amélioration de l’accès à l’eau et à l’électricité, les améliorations techniques, l’allongement conséquent de l’espérance de vie en bonne santé, etc.). Ces évolutions sont le fruit et l’expression de notre nature perfectible. Ne tombons pas cependant dans une conception béate de la mondialisation et de la croissance, car s’il est clair que certains pays ont profité de cette mondialisation heureuse, d’autres, minoritaires, en ont souffert.
Nous souhaitons donc vous exposer notre schéma d’un mode de vie et d’une croissance (pas qu’économique) durable, au sens du rapport de Bruntland de 1957, à savoir qui n’endiguerait pas la capacité des générations futures à connaitre ce même développement.
La conception libérale classique conduirait à dire que l’individualisation et la responsabilisation alliées à un retrait total d’un pouvoir centralisé essayant de réguler nos modes de vie et la non remise en cause du principe suprême de la propriété privée suffiraient à créer les conditions d’harmonie entre l’homme et son environnement. La conception dite écologique ou radicale assure, elle, qu’un mode de gestion centralisé pourrait défaire les lourds impacts qu’inflige l’homme à son lieu de vie.
L’urgence écologique, n’ayons pas peur des constats, nous conduits à affirmer que ces deux modèles, bien qu’attrayant philosophiquement (surtout le premier), ne sont pas réalistes. Notre objectif n’est donc pas d’ériger un grand principe théorique qui permettrait de venir à terme du déclin écologique, nous n’en n’avons pas la prétention, mais bel et bien de réfléchir à comment concilier nos modes de vie, la croissance et la recherche constante du progrès, avec nos ressources.
Nous sommes conscients que la technologie ne peut pas non plus résoudre tous nos problèmes. L’enquête passionnante menée par Guillaume Pitron et ses équipes dans « La Guerre des métaux rares » nous met face à une réalité déconcertante, qui fait écho à la dissonance cognitive évoquée plus haut qui aveugle et distord nos comportements de consommateurs et plus largement de citoyens. Y est mis en scène un monde où pays occidentaux, ne souhaitant pas prendre en charge l’extraction des métaux rares, essentiels à tous nos produits technologiques (téléphone portables, batteries, automobiles, ordinateurs, et mêmes les panneaux photovoltaïques, les éolienne et certaines technologies médicales), car très polluante, ont transféré depuis plusieurs décennies ce rôle à des pays dits moins développés, en têtes desquels la Chine, des pays d’Amérique Latine et certains pays d’Afrique. Or, bien qu’invisible depuis l’Occident, l’extraction de ces terres rares est très polluante et remet même en question le bilan énergétique d’une voiture électrique face à une voiture à moteur diesel. A titre d’illustration, la fabrication des batteries a un cout écologique tel, qu’il faut à une voiture électrique avoir parcouru entre 50 000 et 100 000 km pour commencer à être moins émettrice de CO2 qu’une voiture thermique classique. En plus de quoi nous perdons notre indépendance et donnons un pouvoir quasiment divin à la Chine et consœurs. Il s’agit donc de considérer l’organisation de l’ensemble de la chaine de production pour analyser la durabilité de notre modèle.
Or notre constat est que notre organisation est typiquement anti-libérale. L’information ne circule pas (ou est dissimulée), le consommateur final ne paye pas les vrais coûts, incluant les dommages écologiques, les Etats subventionnent la production de certaines énergies censées être vertes, etc. La conséquence de cela est que signal du prix est alors totalement distordu et ne permet pas une prise de décision rationnelle et en cohérence avec les objectifs environnementaux. A ceux qui arguerait que cela reviendrait à faire inexorablement monter les prix pour le consommateur final, nous leur rétorquons que le dictat du prix bas est globalement néfaste et leur rappelons bien volontiers que les acteurs économiques peuvent se montrer très inventifs face à une situation apparemment contradictoire. Le concept Schumpétérien de destruction créatrice (nous préférons la création destructrice, car c’est bien la première qui entraine la seconde) est à ce titre éclairant.
Il est aujourd’hui évident que nous n’avons plus le temps d’attendre une hypothétique prise de conscience qui n’arrivera peut-être jamais, ou forcément trop tard. Parier que la raison suffira à changer les choses sera-t-il notre seule échappatoire ?
Face à l’urgence de la situation, nous pensons que nos gouvernements doivent adopter une vision à long terme, une nouvelle stratégie conciliant les intérêts des générations futures et actuelles. Nous sommes conscients des enjeux électoraux et du courtermisme dont peuvent faire preuve les gouvernements et les votants. C’est à ce titre que Machiavel nous est utile. Nous pensons qu’un gouvernement peut, et doit, une fois en place, imposer une politique que tout le monde souhaite au niveau global mais que personne ne souhaite au niveau individuel. Et c’est là que la vraie liberté prendra alors effet. En termes rousseauiste il s’agira donc qu’une force extérieure nous impose une loi, force extérieure que nous avons élue en tant qu’êtres raisonnés.
Quand bien même l’acteur publique mais aussi les acteurs économiques se mettraient en défaut de son électorat ou de ses usagers, à court terme à tout le moins, cela ne nous parait pas empiéter sur nos libertés mais bien au contraire permet de pleinement les faire s’exprimer, en corrigeant notre indicible penchant pour le court terme.
Afin d’illustrer cela, prenons l’exemple du mariage homosexuels. Même si nous sommes totalement opposés au terme mariage, qui renvoie à une institution religieuse qui donne aussi des droits civils alors que ces deux devraient être strictement dissociés dans une société laïque, nous pensons qu’il s’agit d’une avancée de nos sociétés, bien qu’au moment de son application, la majorité des citoyens était contre. Comme lors de la décision d’accorder le droit de vote aux femmes, ou encore d’abolir l’esclavage.
Nous sommes pertinemment conscients que cela revient à donner un pouvoir et une responsabilité immense à un acteur central, notamment le Président de la République en France. Bien que libéraux, nous ne sommes pas aveugles face à la situation actuelle et ne pensons pas que les citoyens soient capables, tant individuellement que collectivement, d’affronter les problèmes environnementaux seuls. C’est donc la prise en compte de nos modes d’organisation qui nous mène à cette conclusion.
Imposons le libéralisme
De notre point de vue, nous l’avons déjà évoqué, la croissance est la meilleure chose qu’il soit arrivé à l’homme. Nous voulons proposer un modèle qui permette de continuer à progresser, de profiter des bienfaits de la croissance (on s’oppose donc aux idées du club de Rome prônant une croissance zéro) afin de permettre à l’homme de répondre à ses besoins tout en prenant en compte la problématique écologique.
Pour se faire, il nous parait évident que les états doivent imposer un réel libéralisme. Aussi paradoxal que soient ces deux concepts a priori, c’est selon nous la seule solution applicable dans les faits pour atteindre notre objectif de modèle durable et de continuité du progrès. Rappelons ici que le progrès se dissocie de l’innovation en ce sens que le progrès se tourne vers un idéal, idéal qui bien sûr est le reflet des volontés propres et collectives dans un lieu et à un moment donné. L’innovation n’est-elle que la découverte de nouveaux procédés. La bombe A est une innovation, pas un progrès.
Pour corriger le marché de son manque de libéralisme, il nous parait nécessaire que chaque acteur, notamment économique, se voit internaliser par le Droit toutes les externalités positives et négatives qu’il produit. Et seul un état est légitime pour le faire. Ces externalités doivent être basées sur des faits scientifiques. Ainsi, il est aujourd’hui possible de calculer précisément des seuils qui, une fois dépassés, remettent en cause la capacité de notre planète à régénérer ses ressources, peuvent atteindre la santé d’un nombre plus important de personnes dans le monde qu’il ne permet d’en faire vivre, etc. Que cela prenne la forme d’une taxe, d’un droit à polluer ou d’un autre mécanisme, il s’agit d’individualiser jusqu’à la personne morale et physique les conséquences de nos agissements. Nous pensons qu’il faut marginaliser notre analyse des contributions positives et négatives à notre environnement. Mécaniquement, ce modèle fera converger les intérêts a priori divergents de préservation de la planète pour que l’homme puisse continuer à progresser et de l’assouvissement nos besoins/désirs. Les ressources générées par ces éventuelles taxes doivent être redirigées vers le développement de projets rentables (les acteurs privés seront donc les premières parties prenantes) et durables. Cette fiscalité pourrait s’alourdir au fur et à mesure des progrès technologique pour mettre un terme définitif et radical aux productions qui, grâce au progrès, seront devenues moins compétitives si l’on inclut tous les couts qu’elles font peser sur la société.
Des exemples sont légions qui permettraient de mieux faire concilier nos désirs de consommation, le progrès et notre environnement. A ce titre, l’économie bleue, premièrement exposée par Gunter Paoli est particulièrement utile.
L’économie bleue, contrairement à l'économie verte, repose sur la viabilité économique d'un projet et sur les bénéfices pour toute la société, pas seulement sur le profit immédiat. Il s’agit de considérer l’ensemble de la production et de mettre un terme à la logique de surspécialisation qui nous a conduit à ne pas s’attarder sur les externalités. Ainsi, ce modèle propose de multiplier les sources de revenus autour de la production d’un bien, en combinant scientifiquement et selon des propriétés naturelles la production de plusieurs biens en utilisant efficacement les déchets d’une production pour en nourrir une autre. Par suite, le biomimétisme - concept par lequel l’homme se considère comme partie intégrante de la nature et interagie avec celle-ci dans le sens de ses lois (littéralement, il s’agit d’imiter la nature) - mis en avant nous semble être une voie possible pour doper notre croissance et améliorer note bien-être et celui des générations futures. Nous regrettons toutefois le manque de considération des intérêts globaux dans cette théorie. En effet, Gunter Pauli s’échine à comptabiliser le nombre de production d’emplois locaux grâce à un tel modèle mais ne prend pas en compte la destruction au niveau mondial. Il faut donc élargir cette conception pour qu’elle puisse être sensée. Il en va de même pour la rentabilité marginale que Gunter Pauli remet en cause. Nous pensons au contraire que la maximisation de la rentabilité marginale est vertueuse pour l’environnement et le progrès, et doit donc être maintenue, une fois toutes les externalités internalisées dans les couts de production.
Parallèlement à ces changements, il nous parait aussi important d’améliorer l’information des consommateurs sur l’empreinte écologique de leur consommation. Bien que, nous l’avons dit, nous soyons convaincus que cela ne suffira pas au niveau individuel pour faire infléchir les comportements, cela pourra néanmoins y participer et faire accepter, contre la satisfaction de ses besoins immédiats, la nécessité de telles actions.
L’objectif ultime étant d’avoir un coût environnemental individuel, attaché à la personne donc, qui devrait être modifié sous peine de sanction lorsque celui-ci dépasserait un niveau calculé scientifiquement qui remettrait en cause nos capacités à progresser. Rien n’est statique donc, car la technologie, la science et notre compréhension de l’univers sont très mouvants. Et c’est cette adaptation constante aux évolutions scientifiques, écologiques et sociales qui permettront de garantir la viabilité du modèle, son efficacité et sa pérennité.
L’échelle européenne
Il semble évident que l’échelle d’une nation, surtout de la taille de la France, n’est pas la bonne pour espérer de réels changements. Nous nous accorderons à dire que le défi écologique ne se résoudra pas à l’échelle de l’individu, pas même d’un état. Seule l’union des nations à travers un consensus mondial, tant politique qu’économique, aura un impact réel sur les bouleversements environnementaux.
Mais comment créer un tel consensus ? Accorder tout le monde n’est pas chose aisée, preuve en est du retrait des Etats-Unis de l’accord de Paris et la politique climato-sceptique prônée par le président Américain. Un consensus nécessiterait une réelle intégration que seule une Europe politique telle qu’en rêvait Churchill lors de son discours à Zurich en 1946 pourra initier. Nous devons songer à une Europe souveraine qui aura la légitimité et l’influence nécessaire pour mettre en place une politique environnementale crédible, s’appuyant sur une autorité politique clairement identifiée. Ce fédéralisme européen n’est pas une utopie et a été récemment remis à l’ordre du jour par le Président Emanuel Macron lors de son discours face au parlement européen le 17 avril 2018 à Strasbourg. L’Europe se doit d’avoir une position politique globale et cohérente qui ne soit plus seulement l’agrégation des communications de chacun de ses 28 états membres. Cette Europe doit parler d’une seule voie, outrepassant ainsi les divisions politiques et culturelles. Il n’est par ailleurs pas insensé de dire que cette Europe politique est devenue la condition nécessaire à la transition écologique durable. Reste encore à nos dirigeants d’avoir le courage politique d’entamer les mesures nécessaires et d’accepter un transfert de souveraineté sans précédent.
Nous pensons que l’homme est arrivé à une sorte de paroxysme d’une croissance tous azimuts. Après des milliers d’années de quasi-stagnation, nos sociétés ont connu un développement considérable. Or, comme toute phase d’euphorie, pour qu’elle ne se transforme pas par suite en récession, elle a besoin d’être contenue. Tout comme une relation amoureuse commence avec une phase d’euphorie, des concessions doivent être acceptées par les deux parties pour que cette histoire ait un lendemain, que l’on s’impose parfois contre notre volonté instantanée (la fidélité en fait partie) pour répondre à des enjeux de long terme. Encore une fois, il s’agit de respecter la loi que l’on s’impose en tant qu’être de raison, concept qui vous l’aurez compris nous est très cher.
La seule échappatoire, si nous échouons, sera de nous tourner vers le transhumanisme (encore faut-il qu’il soit à un niveau assez avancé), et de s’en remettre pleinement à la technologie et accepter de détruire notre environnement pour en recréer un autre. Nous ne sommes pas opposés à cette idée, mais continuons tout de même à idéaliser la vie sur notre planète et la préservation de la biodiversité.
Migwel Perrin
Jad Skandri
Contrôleur de gestion chez HDF
6 ansJessica PERRONI