Vous vous souvenez, 2007-8 ?
« Les produits dérivés ont fait des ravages dans le secteur financier. Prenons ici un exemple où les acheteurs de produits toxiques appartenaient à la sphère publique. La presse française s’est fait l’écho des emprunts toxiques contractés par 1 500 collectivités publiques (communes, départements, hôpitaux) auprès d’intermédiaires financiers tels que Dexia (spécialiste de ces prêts, qui par ailleurs dut être renfloué par les États belge et français)2. Premier problème, assez fréquent : ces emprunts comme souvent3 spécifiaient des taux d’intérêt très bas au début du prêt et remontant fortement par la suite. S’agit-il de prêts toxiques ? Pas forcément, à condition que la collectivité épargne pendant la période bénie initiale afin de pouvoir sereinement rembourser les échéances élevées par la suite ; ce qu’une collectivité locale le plus souvent ne fait pas (sinon, l’épargne compenserait l’économie faite au début du prêt grâce au taux de bienvenue [teaser rates], et ce dernier n’aurait aucun effet, et donc aucune rationalité). L’utilisation de taux de bienvenue permet précisément à la collectivité de garder un équilibre budgétaire factice pendant une période de dépenses ou de recrutements publics importants. Cette pratique est évidemment favorable au responsable politique en place, car il peut faire valoir à l’occasion de l’élection suivante une faible charge de la dette et un équilibre des finances de la commune ou du département. Pour gagner le marché, les institutions financières entrent en connivence avec les collectivités concernées et vont au-devant du souhait des responsables politiques locaux en leur proposant des arrangements à paiements différés dans l’avenir. Les hommes politiques, si enclins à condamner les taux de bienvenue des prêts subprime, font malheureusement trop souvent de même dans la structuration des prêts à leur collectivité locale. Il y a bien en France un contrôle exercé par la Cour régionale des comptes, mais ce contrôle intervient ex post, souvent quand il est trop tard. Certains préfets ont aussi mis en garde les collectivités contre ces prêts toxiques, mais ils n’ont pas toujours été écoutés. »
Par ailleurs,
« Tentez l’expérience suivante : si l’un de vos amis vous tient un discours sur l’effet néfaste de la grande spéculation internationale qui vend ses actifs grecs et refuse de prêter à l’État grec, privant ainsi d’oxygène l’économie grecque (ce qui est le cas), demandez-lui s’il a investi, ou s’il compte convertir son livret A ou son assurance vie en obligations de l’État grec. Ou encore, si nous achetons notre maison avec l’idée que les prix de l’immobilier dans le quartier se maintiendront (ou auront augmenté quand nous la revendrons), alors nous faisons un pari sur le prix d’un actif, et nous spéculons. La vérité est que si nous disposons de la moindre épargne nous tous, particuliers, entreprises, institutions financières ou États, plaçons notre argent avec pour but d’au moins le protéger, voire d’optimiser son rendement (moyennant un compromis entre risque et rendement selon notre appétence au risque). »
Jean Tirole ; Économie du bien commun ; Presses Universitaires de France - 2016