Zone CEMAC et Politique actuelle de contrôle de changes
Cette année, les accords de Bretton Woods, qui ont fondé la Politique monétaire de bon nombre d’Etats africains, fêtent leurs 75 ans. En effet, en juillet 1944, alors que le débarquement venait de rompre l’hégémonie de l’Allemagne hitlérienne, les Alliés se préparaient à l’après-guerre « économique, financier et monétaire », sous l’égide des États-Unis afin d’éviter de faire revivre à l’économie mondiale les conséquences de l’après-guerre telles que connues post-première guerre mondiale.
Pourquoi évoquer cet anniversaire ? Les accords de Bretton Woods ont également fondé la base monétaire des anciennes colonies françaises d’Afrique Sub-saharienne. Sous l’appellation « Franc des Colonies françaises d'Afrique », le futur Franc CFA, est né quelques mois après cette conférence internationale.
Or, alors que la logique historique de cette monnaie commune était de permettre un échange aisé intraet extrazone, une nouvelle règlementation – principalement basée sur un repositionnement institutionnel de la Banque centrale – est venue perturber cet équilibre par le biais d’une rupture dans cette liberté de circulation monétaire. Un réel contrôle des changes est dorénavant appliqué dans la zone CEMAC, malgré l’existence d’un règlement précédent abrogé par conséquence.
Règlement 02/2018/CEMAC/UMAC/CM portant réglementation des changes dans la CEMAC
Ce Règlement, qui est entré en vigueur le 1er mars 2019, dispose en son article 193 que « Les agents économiques, y compris les intermédiaires agréés, disposent d'un délai de six mois à compter de la date d'entrée en vigueur du présent Règlement pour se mettre en conformité́ avec les dispositions de celui-ci ».
Ses 8 titres et 195 articles sont spécifiquement conçus pour définir les rôles, les missions et les attributions des différents acteurs économiques.
Notons, dès le départ, que l’article 184 évoque le caractère d’ordre public des dispositions du règlement, ce qui impose, en cas de contrat non-conforme, une obligation d’adaptation sur base du fait du prince ou de toute autre clause équivalente.
Dans le contexte du présent commentaire, il est possible d’identifier les éléments suivants.
La Compliance comme acteur essentiel
Toute la règlementation repose sur une triple obligation.
D’une part, comme le fonde l’article 4 « Toutes les transactions visées par le présent Règlement doivent être conformes à la réglementation en vigueur dans la CEMAC en matière de prévention et de répression du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme et de la prolifération. Cette obligation, dont plus spécifiquement l’origine des fonds, est reprise à différentes occasions dans la règlementation.
D’autre part, les agents économiques – et plus particulièrement les institutions financières – doivent se doter d’une « compliance » plus lourde afin de respecter les missions de contrôle et de vérification imposée par la règlementation nouvelle.
Enfin, face à leurs politiques internes (ouverture de compte, politique d’acceptation de clients, de fonds, etc.), une refonte générale semble nécessaire afin de se conformer aux nouvelles attentes prudentielles et ce, sous l’égide de la Compliance et de l’audit interne.
Rôle de la Banque centrale (BEAC)
Le rôle de la Banque centrale est précisé et renforcé. Si l’on tient compte des Statuts de la BEAC, ce rôle est assez légitime : « La BEAC a pour missions de (…) conduire la politique de change de la CEMAC ».
Dans ce cadre, la nouvelle règlementation confère à la BEAC un rôle d’interlocuteur systématisé, principalement pour l’octroi « d’autorisations » préalables à la mise en œuvre de certaines transactions ou ouvertures de comptes.
Quelques impacts au niveau du commerce cross-border
Au niveau des devises (dont l’EURO)
L’article 37 indique que « les résidents cèdent à leur établissement de crédit domiciliataire tous les revenus ou produits encaissés en devises à l’étranger ou versés par un non résident au titre de leurs transactions avec l'extérieur ».
En somme, une centralisation sur compte des devises devient la règle pour les résidents de la zone CEMAC.
L’article 39 précise que « les devises visées à l’article 37 (…) concernent notamment les recettes d'exportation de biens et services, les emprunts, les avances en comptes courants. les revenus, les dons, les investissements directs ou de portefeuille ainsi que les transferts sans contrepartie ».
Au niveau des comptes de résidents
L'ouverture d'un compte en devises hors de la CEMACest interdite aux personnes morales résidentes. Ceci engendre un problème majeure.
L’article 41 précise néanmoins qu’une dérogation est possible moyennant l’autorisation préalable de la BEAC.
Néanmoins, cette autorisation est notifiée au Ministère compétent de l’État membre de résidence, ce qui permet un « fichage » des sociétés concernées. Ceci est également le cas pour les personnes physiques résidentes dont les comptes ouverts à l’étranger devront faire l’objet d’une déclaration à la Banque centrale.
Enfin, l'ouverture d'un compte en devises dans la CEMACau profit d'un résident n'est pas autorisée. Néanmoins, la BEAC peut autoriser une telle ouverture pour les personnes morales, exclusivement. En outre, comme le précise l’article 44 « le compte en devises ouvert dans la CEMAC ne peut être crédité́ ni de versements en Franc CFA ni par le débit d'un compte en Franc CFA (…) ». Il s’agit d’une mesure réelle de contrôle de change.
Au niveau des comptes de non-résidents
Une libertéexiste pour les non-résidents qui désirent ouvrir des comptes en devises dans les établissements bancaires de la zone.
A niveau des transactions : les exportations et les importations de biens
Comme sous le régime précédent, les exportations de biensfont l’objet d’un reporting aux autorités compétentes et les transactions liées à ces exportations sont domiciliées auprès d’un établissement de crédit de la CEMAC (threshold présent). Les recettes d'exportation des biens sont recouvrées et rapatriées à travers la banque domiciliaire via la Banque centrale.
Les opérations de crédit-bail portant sur l'exportation d'équipements ou de matériels sont assimilées à des exportations à paiement différé et sont soumises à l'obligation de domiciliation bancaire.
L'exportateur dispose d'un délai maximum de 150 jours, à compter de la date effective de l’exportation pour encaisser et rapatrier le produit des exportations résultant des ventes fermes.
Les importations de biensdans la CEMAC sont libres, sauf exception.
A niveau des transactions : les exportations et les importations de services
Ceci fait partie des grandes nouveautés de la nouvelle règlementation : les services (« prestation immatérielle fournie par un résident pour un non-résident et vice-versa »).
Tout comme pour l’exportation de biens, les transactions avec l’extérieur sont domiciliées auprès d’une banque de la CEMAC (avec le même threshold).
Une précision – dans la lignée des règles en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux – est apportée quant aux contrats sous-jacents : « Le contrat de service comporte obligatoirement les mentions ci-après :
- la dénomination des parties contractantes et leurs adresses ;
- l'objet, la nature et l'étendue des prestations à fournir;
- la rémunération convenue et ses modalités de règlement ;
- la date de conclusion du contrat et sa durée. »
Enfin, comme pour les biens, « les recettes d'exportation des services sont recouvrées et rapatriées par l'exportateur à travers sa banque domiciliataire par l'entremise de la Banque Centrale ».
Au niveau des importations, une même importance du contrat, de sa substance et de sa réalité économique est précisé à l’article 71 « toute importation de service est matérialisée par un contrat aux termes duquel un non-résident s'engage à fournir à un résident une prestation de services ou une assistance technique, ou à lui concéder notamment le droit d'utilisation d'une enseigne, d'une marque de fabrique ou de commerce ». Ceci vise à éviter des importations de services dont les ressources seraient disponibles localement (mesure protectionniste).
Cette volonté de « compliance » et de lutte contre le blanchiment de capitaux est également présent en ce qui concerne les importations : « Les importations de services sont effectuées sous la responsabilité de l'entité concernée et doivent consister en des prestations de services effectives correspondant à des besoins réels des entités résidentes et rémunérées à leur juste prix, sous peine de rejet des règlements des transferts y afférents. Les établissements de crédit procèdent, pour ces opérations, à desvérifications spécifiquessuivant les conditions et modalités précisées par Instruction de la Banque Centrale.
Affirmation du principe de pleine concurrence dans les transactions intra-groupes (« arm’s lenght principle »).
Sur base d’une tendance mondiale généralisée (ex. BEPS), l’article 73 impose pour les services importés en intra-groupe, le respect des règles en matière de prix de transferts : « Toute assistance technique ou importation de service intra-groupe, ainsi que toute contribution financière des sociétés résidentes aux frais de gestion et de recherche développement engagés par leurs maisons mères ou actionnaires est soumise au respect du principe de pleine concurrence ».
Autres transactions courantes
Enfin, il est aussi possible de noter que pour les établissements de transferts de fonds, un cahier des charges sera établi par la Banque centrale afin de préciser comme cette activité peut être réalisée.
De même, les transferts vers l'étranger d'un montant supérieur à 100 millions de Francs CFA, sont déclarés à la Banque Centrale et au Ministère en charge de la monnaie et du crédit, 30 jours au moins avant leur réalisation.
Transferts de dividendes, intérêts et redevances des non-résidents hors de la CEMAC
Ces transferts sont libre moyennant des pièces justificatives.
Conclusion
Cette réforme du régime CEMAC du change est une révolution à bien de égards. Le contrôle renforcé est, sans aucun doute, lié à une nécessité de renforcer les mécanismes de lutte contre la criminalité organisée, l’évasion fiscale ou encore la perte d’une capacité de travail pour les prestataires locaux en faveur des étrangers.
Cette réforme imposera une plus grand diligence des acteurs économiques concernées, et plus particulièrement des départements de conformité.
Certains points seront encore à éclaircir. Pensons au « netting ». Du point de vue pratique, en matière de marchés des changes, le « netting » permet à un résident de conserver ses revenus et produits réalisés avec l’étranger , dans un compte ouvert à son nom à l’étranger et d’utiliser ces avoir pour effectuer des payements par compensation. Le netting correspond donc au mécanisme juridique d’extinction des obligations que constitue la compensation tel qu’appréhendée en droit civiliste occidental, savoir, « le mode d’extinction de deux obligations réciproques jusqu’à concurrence du montant le plus faible ». En présence d’un droit d’ordre public, ces conventions seront à revoir ou … à abandonner ?
Enfin, regrettons l’absence de mesure en matière de Zones Franches ou de Zones Économiques Spéciales. Tenant compte de l’article 184, qui expose cet ordre public - « le présent Règlement s'applique à l'ensemble des agents économiques, sans préjudice des Traités et Accords de coopération monétaire en vigueur dans la CEMAC, qui sont d'ordre public et particulièrement de l'obligation de rapatriement intégral et sans exclusive des recettes d'exportation. A cet effet, ni les États ni la Banque Centrale ne peuvent y déroger dans leurs règlementations respectives ou par Convention » - il nous semble peu probable que ces Zones puissent bénéficier d’un régime spécifique et dérogatoire. Ceci sera un handicap important face à l’émergence de telles Zones dans les pays frontaliers.
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