Quel est le vrai visage d'une organisation ?
Pour une société donnée, il y a en fait autant d'organisations que de salariés au sein de l'entreprise. Chacun apporte son angle de lecture, ses perceptions, ses relations ... C'est assez proche du bouddhisme où l'on a coutume de dire qu'il y a autant de type de bouddhismes que de pratiquants. Cela dit, comment avancer ? Comment trouver un terrain commun à toutes ces approches pour a minima créer une carte de discussion, de partage, d'actions de changement ? C'est le but de ce post, un objectif tout simple que d'aller un peu plus loin que ce qui a été écrit il y a quelque temps. En utilisant l'ethnologie structuraliste entre autre pour comprendre ce qui est à l'oeuvre à l'échelle macro. En rappelant les outils développés par Moreno dans les années 1960, comme la sociométrie, pour comprendre le micro.
Et de se dire que si la carte n'est pas le territoire, c'est au moins une indication des chemins pour évoluer et s'adapter.
L'Organisation c'est la somme des organisations
Un dessin croisé au cours des périgrinations sur le net (pardon pour la référence que j'ai perdue) me semble illustrer le propos de cette dimension prothéiforme de l'Organisation : elle ne peut se résumer à une chart, un organigramme ... ni être encapsulée dans des définitions de postes, des référentiels métiers ... qui ne sont que des symptomes d'une sclérose potentielle pour une entreprise dans cette ère digitale.
Pour cette première approche, tout n'est affaire que de bon sens (ou "sens commun qui n'est pas la chose la plus commune" aurait dit Voltaire). Faites le pour votre service. Et surtout demandez à une autre personne de le faire. Effet garanti : vous n'aurez vraiment pas l'impression d'être (à défaut d'appartenir brrrrrr !) dans la même entreprise ...
Et comme dit précédemment, il y a autant de couleurs que d'individus. Et comme pour Facebook (je rappelle l'étymologie de facebook : trombinoscope), le changement est permanent car les nouvelles interactions crée une nouvelle carte à tous les moments de la journée. Là encore, l'immanence est la règle. L'organisation est un film, un fleuve, une cinématique en changement permanent.
L'apport de la sociométrie
C'est le psychologue Jacob Moreno qui a créé la sociométrie en 1936 pour favoriser le regroupement de prisonnier en fonction de leurs compatibilités. Moreno est le précurseur de tout ce que l'on appelle les graphes sociaux (utilisé dans l'analyse des réseaux sociaux sur internet maintenant). La sociométrie est l'étude des relations entre les personnes d'un groupe à un moment donné. Et c'est le sociographe qui va permettre de représenter les attirances et les rejets des individus au sein d'un groupe, ce qui peut conduire à des actions de réorganisations du travail afin que celui-ci soit efficace. La notion de base utilisée en sociométrie est celle de l'atome social. Elle définit non pas l'individu en tant qu'être seul, mais comme un réseau de relations dont il est le foyer tout relatif. Car chacun est un foyer, bien sûr.
La pratique la plus simple et la plus illustrative de la sociométrie est la matrice suivante où est représentée l'envie de travailler avec un autre membre du groupe pour chacun des membres (source Larousse) :
Et il devient assez facile de faire émerger les leaders réels de l'entreprise, les influenceurs, les suiveurs ... Les applications ont été assez multiples au cours du dernier demi-siècle. Le domaine sportif l'a plébiscité. L'entreprise plus faiblement car beaucoup de vérités dérangeantes sont dévoilées par cette approche. Avec notamment la mise en avant de la différence colossale entre l'autorité de situation (clairement visible sur un organigramme) et l'autorité de compétence (déclarée par tous) : les vrais leaders sont dans cette deuxième partie et ne sont pas "décrétés" ou définis par la hierarchie.
J'avais pour ma part appliqué cette méthode de lecture dans un sous-marin nucléaire lanceur d'engin et le résultat avait été passionnant, surtout pour lire l'évolution tout au long d'une patrouille qui durait 70 jours sans voir le soleil.
Ethnologie : les 4 ontologies ... à l'oeuvre aussi dans l'entreprise
Ce n'est pas un dada mais juste un étonnement sans cesse renouvelé à chaque lecture ou rencontre des écrits de Levy-Strauss et de toute les écoles d'éthnologie et d'anthropologie qui continuent d'alimenter la réflexion sur la lecture des groupes humains.
L'apport de Philippe Descola me semble riche de potentiels pour "lire" et comprendre l'entreprise. Sa pensée procède de 4 modes d'identification disponibles pour l'individu, 4 ontologies qui définissent le rapport de soi avec autrui ... qui est une grande partie de l'environnement de travail (définitions issues d'articles wikipedia). 3 d'entre elles (l'analogisme est moins utile) me semblent intéressantes pour notre propos de compréhension d'une société en marche :
Animisme
L’animisme (pour simplifier) est une croyance dans une force vitale qui est à l'oeuvre dans une société tribale et confère une âme aux objets, aux êtres vivants, aux éléments naturels ...
Je mettrais AirBnB ou Uber dans cette catégorie avec tout le crédo qu'il peut y avoir dans la force de la communauté (plus ou moins vrai quand on plonge dans le détail de ces sociétés).
Totémisme
Le totem est présenté comme le fondement des institutions, un modèle de comportement, un objet de vénération et d'adoration ... mais aussi comme un ancètre.
Apple et Steve Jobs sont des candidats solides à cette catégorie. Google avec son transhumanisme met aussi la barre assez haute
Naturalisme
"Seule la société naturaliste (occidentale) produit cette frontière entre soi et autrui, en introduisant l’idée de « nature » qui sous-tend implicitement une représentation du monde basée sur une dichotomie entre nature et culture. La nature serait ce qui ne relève pas de la culture, ce qui ne relève pas des traits distinctifs de l’espèce humaine, et des savoirs et savoir-faire humains. ... Cette distinction occidentale, récente, résultat d’une histoire particulière, est inexistante dans les autres sociétés, et fonde la difficulté occidentale à appréhender ces dernières".
Intérêt pour nous, pauvres humains à l'oeuvre dans l'entreprise ? C'est surtout de mettre en évidence le partage qui est la règle entre le monde extérieur de l'entreprise et sa vie intérieure. Tout le questionnement sur le rôle des réseaux sociaux et "qui peut parler" pour l'entreprise est là. Reste-t-on isolé avec une belle définition interne-externe ou bien s'intègre-t-on dans un écosystème avec le risque de s'y noyer ?
Se poser la question, surtout collectivement, participe à la fabrication de l'organisation. "Vaste programme" aurait dit de Gaulle.