Accompagner les trajectoires professionnelles : ce que la recherche peut apporter aux praticiens
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Accompagner les trajectoires professionnelles : ce que la recherche peut apporter aux praticiens

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L’article intéressant de Pierre François du CSO et Sébastien Dubois de NEOMA Business School, publié dans la revue AIMS en décembre 2020 peut intéresser les praticiens du CEP (conseil en évolution professionnelle), dans leurs enjeux de suggestions possibles à proposer aux actifs pour gérer leurs carrières, rebondir et peut-être se reconvertir vers les secteurs en tension. L’enjeu est crucial pour chacun d’être correctement aidé dans ses décisions de (ré-)orientation professionnelle, crucial même pour les actifs impactés par la crise #COVID et les ruptures qui s’annoncent pour nombre de #seniors. 

L'idée centrale de l’article est que « le concept de frontière peut nous aider à comprendre la forme sociale que prennent les carrières. »

Il existe ainsi des « patterns », des modèles identifiables aux carrières des individus selon leurs professions : ce qui parait sous l’effet du hasard ou de la seule singularité irréductible à chaque carrière professionnelle, l’est en fait moins que nous le pensons

Cette connaissance est fort précieuse pour penser la stragégie RH, des politiques publiques ou structurer des offres de service d’accompagnement. 

Les auteurs élaborent ainsi une typologie de 6 cas qui conjuguent deux variables : l’existence ou non de schémas de carrière fixes et l’existence d'une conscience individuelle, partagée ou collective de ces schémas.

L’intérêt de mettre en évidence des régularités dans des déroulements de carrières apparemment singulières est testée sur une « profession » considérée comme hautement individuelle et unique : les poètes. Les auteurs montrent qu’y compris pour les poètes, qui ne sont pourtant pas insérés dans des organisations marchandes (entreprises) ou non-marchandes, leurs carrières sont régulées par des « frontières » - pourrait-on les comprendre comme des règles du jeu ?

Une telle approche appliquée au conseil en orientation et évolution professionnelle serait probablement éclairante pour agir dans les secteurs confrontés à de très fortes tensions de recrutement et pourtant très concentrés en termes de sociologie des publics, comme la plupart des métiers du numérique, des transports, du BTP, du médico-social (selon le niveau de poste). Il y a sans doute de nombreuses « frontières » méconnues qui laissent les employeurs réticents à recruter des personnes qui viennent de se former ; en miroir qui rendent ces métiers et les formations associées peu attractifs pour des publics sous-représentés dans ces métiers (frontière de genre par exemple dans le numérique).

Il serait également utile de connaître les « frontières » qui agissent pour faire carrière dans ces professions, ainsi que pour les métiers que perdent des nouveaux demandeurs d’emploi : selon les caractéristiques personnelles de son parcours et les éléments constitutifs des carrières de son métier perdu, faut-il conseiller à la personne de rechercher dans son métier, en jouant des "frontières" de son secteur (désormais élucidées et transmissibles pour aider à la décision, à la manière de Newton permettant de "jouer" avec la loi de la gravitation une fois établie), ou de s’ouvrir rapidement ses horizons professionnels

Les recherches académiques pourraient-elles par ailleurs trouver bénéfice à manipuler des #bigdata sur les trajectoires des actifs, pour collecter rapidement des données massives sur les carrières, identifier les données qui seraient utiles à analyser au vu des théories, confronter les points communs apparents des carrières aux variables portées par les hypothèses en vigueur, affiner en ciblant les enquêtes qualitatives à développer ? 

Il est remarquable qu’à ce jour les promesses du big data et de l’ #IA peinent à s’appliquer au champ de l’orientation en général et du CEP en particulier. 

  1. Est-ce dû, d’une part à une disponibilité de données massives très récente, partielle et éparpillée encore ; actuellement non utilisée à des fins de meilleure connaissance des fonctionnements du marché du travail (la déclaration sociale nominative, les données collectées nouvellement via les comptes personnels formations, les données d’inscription sur les listes de demandeurs d’emploi, AGORA et la digitalisation croissante des fiches de paie pourraient-elles ouvrir un champ des possibles ?)? 
  2. Est-ce dû d’autre part aux limites de la démarche inductive propre au fonctionnement des suggestions liées aux algorithmes tels qu’ils sont actuellement pensés sur internet, qui pourrait toucher ici ses limites en disant le réel mais pas ce qui le « structure ». Les suggestions de livres ou de films ou autres produits ou services à des fins commerciales ne s’appuient ainsi pas sur des hypothèses liées à des théories ; le fonctionnement des « algorithmes » permet de manière assez frustre, finalement, de contourner le sujet, l’individu en cherchant uniquement les correspondances entre ce qu’il manipule ou consomme (les livres, les films, les services). C’est d’éclairages plus subtils dont les praticiens du CEP et de l’accompagnement des reconversions ont besoin, du type de ceux que cette recherche peut apporter. 

L’article met par exemple en lumière une donnée essentielle des parcours de carrière des poètes : la réputation qu’ils se construisent au travers de qui les éditent, qui en parlent, etc. La réputation est essentielle dans de nombreuses autres professions, comme le notent les deux auteurs. 

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Il serait aussi passionnant, sans doute, de regarder si LinkedIn et d’autres réseaux sociaux modifient les variables qui contribuent aux carrières, s’ils contribuent à développer l'importance de la variable de la réputation dans les carrières. Ou à l’inverse, ceux qui sont sur LinkedIn, recruteurs comme actifs, sont-ils liés à des métiers dans lesquels la réputation ou la visibilité jouent un rôle clef - réel ou supposé par eux-mêmes ? Les applications professionnelles pourraient être fructueuses, par exemple : quand est-il pertinent de conseiller à un actif le réseautage sur internet (qui prend du temps, nécessite de développer des ressources et compétences diverses, etc. ? à qui et à quel moment de sa carrière?).

A quand des données de compréhension et des outils de suggestions pour les professionnels du CEP et pour les individus eux-mêmes, qui faciliteraient l’identification et la prévision de succès dans telle ou telle carrière ou réorientation professionnelle ? 




Christian Kostrubala

Psychologue du travail chez France Travail

3 ans

Une solution d'avenir ? Vincent de Gaulejac, en 1994, dans son ouvrage majeur "La lutte des places" questionnait visibilité et réputation : "une lutte d'individus solitaires contre la société pour trouver ou retrouver une « place », c'est-à-dire un statut, une identité, une reconnaissance, une existence sociale." L'IA permettrait-elle aujourd'hui de retrouver plus facilement cette place ? La promesse est séduisante. Merci Audrey pour cette réflexion.

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