Audition mouvementée au Congrès américain sur la hausse abusive du prix des médicaments
« Difficile d’accepter que ces imbéciles représentent le peuple. » Les « imbéciles », ce sont les membres du Congrès, selon Martin Shkreli. « L’homme le plus détesté d’Amérique », comme l’a surnommé la presse, a encore soigné sa réputation, jeudi 4 février, à l’issue de son audition devant une commission de la Chambre des représentants en envoyant ce tweet rageur.
L’ex-dirigeant du laboratoire Turing Pharmaceuticals s’était fait connaître en août 2015 en faisant bondir le prix de médicaments contre la toxoplasmose et le paludisme de 5 400 % sans aucun scrupule. Un scandale qui survient alors que les dépenses de médicaments sur ordonnance ont augmenté de plus de 12 % en 2014 aux Etats-Unis, la plus forte hausse jamais enregistrée depuis plus de dix ans. Les parlementaires attendaient des explications sur les pratiques de Turing, mais celles-ci ne sont jamais venues.
« Je décline respectueusement »
Tout au long de son audition, M. Shkreli ne s’est pas départi d’un rictus moqueur, répondant à chaque question des parlementaires par la même phrase : « Sur les conseils de mon avocat, j’invoque le cinquième amendement et je vais [donc] décliner respectueusement de répondre à votre question. » Cet amendement de la Constitution américaine permet à quelqu’un d’éviter toute déclaration susceptible de l’incriminer. Le « respectueusement » n’était évidemment que de pure forme : « Je crois que je n’ai jamais vu la commission être traitée avec un tel mépris », a déclaré John Mica, un représentant républicain de la Floride, à l’issue de la séance. Celle-ci a fini par être écourtée au bout de cinquante minutes étant donné l’absence de coopération de M. Shkreli. Ce dernier, dans le cadre d’une autre affaire, a été inculpé en décembre 2015 de fraude et de détournement de fonds, le poussant à démissionner de son poste.
Ensuite est intervenue la directrice commerciale de Turing, Nancy Retzlaff, qui a affirmé que, en réalité, les patients ne payaient pas les prix évoqués et que l’entreprise perdait de l’argent sur le Daraprim, le médicament qui a déclenché le scandale. « Vous faites de l’argent à la pelle ! », s’est énervé Jason Chaffetz, le représentant républicain de l’Utah, soulignant que Turing avait récemment augmenté le salaire de ses employés et avait même organisé une réception sur un yacht pour un coût de 20 000 dollars. « Ne me dites pas que vous perdez de l’argent ! », s’est-il emporté.
Le patron de Valeant, un autre laboratoire également dans le collimateur des parlementaires sur ce sujet de la hausse abusive du prix des médicaments, a été plus conciliant que M. Shkreli. Après avoir acheté les brevets de deux médicaments, le Nitropress (traitement contre l’hypertension et les attaques cardiaques) et l’Isuprel (traitement contre l’arythmie cardiaque), le groupe avait augmenté leur prix un an plus tard de, respectivement, 200 % et 500 %, provoquant de vives protestations des hôpitaux.
Le PDG par intérim du groupe, Howard Schiller, s’est justifié en soulignant que ces médicaments n’étaient pas vendus directement aux patients mais aux hôpitaux. Leur augmentation n’a donc pas contraint les malades à des sacrifices mais a seulement pesé sur les profits des établissements.
Un thème de campagne pour Mme Clinton
Néanmoins, il a déclaré avoir « entendu très clairement les inquiétudes du Congrès et du public », tout en soulignant que son laboratoire avait mis en place tout un système d’aides financières pour certains patients. Toutefois, ce type de soutien ne peut légalement s’adresser à des malades couverts par des assurances fédérales comme Medicaid (destinée aux Américains à faible revenus) ou Medicare (réservé aux plus de 65 ans). M. Schiller a demandé que ces rabais ne soient plus limités aux assurances privées. Le problème est que ce système d’aide contribue à créer une spirale inflationniste pour le système de santé américain.
Valeant s’est également justifié en mettant en avant le fait que les médicaments incriminés allaient rapidement entrer en concurrence avec des génériques beaucoup moins chers. Lors de son audition, Mark Merritt, le président de la Pharmaceutical Care Management Association, a appelé le régulateur du secteur de la santé à accélérer, justement, les procédures d’homologation pour les molécules tombées dans le domaine public afin de limiter les abus en termes de prix. Cette association représente les « pharmacy-benefit managers », c’est-à-dire les organismes qui négocient le coût des médicaments dans l’intérêt des compagnies d’assurance et des entreprises pour faire baisser les prix auprès des laboratoires.
Ce thème de la hausse abusive du prix des médicaments est devenu un thème de campagne pour Hillary Clinton. Il y a quelques semaines, la candidate à l’investiture démocrate pour l’élection présidentielle a promis qu’en cas de victoire elle obligerait l’industrie pharmaceutique à modifier ses pratiques.
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