Aussi inédit et puissant soit-il, France 2030 n’y suffira pas…

Aussi inédit et puissant soit-il, France 2030 n’y suffira pas…

Dans le vie de notre pays, les élections présidentielles sont des moments particuliers. Ils marquent des ruptures ou des continuités. Ils sont des instants de bilan et aussi de perspectives...


1-     Retour sur deux ans de « Renaissance industrielle »…

Sur les deux dernières années, je perçois trois évolutions profondes qui soutiennent notre réindustrialisation : Depuis quelques mois, l’industrie est au cœur des discours politiques. En fait tous les bords, tous les partis ont fait leur notre réindustrialisation. Les maux et les blessures, « l’erreur fondamentale » que fut la désindustrialisation et ses presque 3 millions d’emplois détruits, la perte de compétences, de savoir-faire et de souveraineté, etc. commencent à être assumés, même s’il reste de nombreux esprits brillants pour s’opposer toujours et encore à cette prise de conscience. J’en ai croisé un récemment dans une émission TV 😉

Plus récemment un autre verrou a sauté : industrie et environnement ont destin lié ! Leur opposition fut frontale pendant des décennies et il ne faut nier ni la prévarication passée et présente des ressources naturelles pour assouvir les besoins de la production de masse adossée à la consommation de masse, ni l’hypocrisie d’avoir délocalisé notre pollution en même temps que notre production, ni même le long chemin qu’il reste encore à accomplir. Mais désormais une dynamique est en marche, une grosse minorité (?) est convaincue que nos défis environnementaux ne trouveront d’issues et de solutions sans puiser dans le répertoire du génie industriel… le seul à assurer une optimisation économique et une capacité native de passer à l’échelle.

Nous sommes encore trop peu nombreux à être convaincus qu’un outil productif est d’abord au service d’un projet de société et son design sera différent selon le projet dans lequel l’Europe et notre nation s’inscrivent. Mais doucement cette idée s’installera, elle est, en fait, freinée par la très grande gêne de constater que nous ne disposons pas, ou pas encore, de l’énoncé d’un projet collectif. Bien qu’il soit, je le crois, à notre portée.

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Si ce projet collectif nous fait cruellement défaut, certains enjeux sous-jacents semblent désormais incontournables

L’environnement : encore une fois, sans nier l’impact, passé et encore présent de l’industrie, cette renaissance sera source de solutions face à nos enjeux environnementaux. Ces solutions ne s’arrêteront pas à la seule décarbonation, mais aussi l’économie circulaire et les pollutions seront concernées… bref nous sommes en train de basculer d’une volonté de dominer la nature par la technique et l'industrie, au souhait de vivre en symbiose avec elle, une très profonde transformation. Si l'industrie fournira évidemment des solutions techniques aux enjeux de décarbonation et d'économie circulaire, c’est notre éthique qui alignera les intérêts en matière de pollution : la fin de l’hypocrisie de délocaliser notre pollution en même temps que notre production… Comme nous l’intuitions dans « Vers la renaissance industrielle » (2020) un dernier sujet continuera structurellement à tendre la relation entre « industrie » et « environnement » : la biodiversité et la préservation des espaces naturels. Dans les mois qui viennent, la mise en œuvre des textes réglementaires sur la ZAN (« zéro artificialisation nette ») donnera lieu à des arbitrages sensibles pour la disponibilité du foncier. C’est désormais, avec la carence de compétences, un point clef de la réussite de notre #RenaissanceIndustrielle

La souveraineté : notre souveraineté industrielle dispose de deux faces. D'abord la souveraineté économique avec la sécurisation des approvisionnements notamment mais pas seulement les approvisionnements stratégiques (dont nous n’avons pas encore une liste « officielle » ou même partagée !). Et puis la souveraineté technologique (avec des technologies permettant de nous différentier dans les rapports de force entre les puissances) … bref basculer d’un statut de dépendances subies à celui de dépendances choisies car nous resterons pour partie dépendants d’autres parties du monde, inévitablement

La cohésion : notre modèle économique a produit un monde fragilisé par ses fractures internes, la répartition de la richesse entre les territoires notamment mais aussi et surtout le sentiment d’avoir été décroché du récit national… bref basculer d’une logique de concentration de la richesse à une logique d’inclusion. Si l’industrie n’est pas en soi suffisante pour refaire la cohésion de notre société, elle en sera un outil nécessaire, incontournable, notamment pour la cohésion territoriale.


Je voudrais ici énoncer un constat récent : ces enjeux sont aussi des injonctions contradictoires. La reconquête de notre souveraineté technologique, avec ses rapports de force entre puissances et leur exacerbation jusqu’à la guerre en Europe, va poursuivre l’esprit de conquête de l’industrie du XIXème siècle : toujours plus, plus puissant, plus vite, etc. Tandis que la recherche d’une symbiose avec l’environnement nous conduira à l’orientation inverse celle du toujours moins : moins d’énergie, moins de déchets, moins de ressources naturelles prélevées, moins de consommation…

Il n’y aura pas un récit unique de notre renaissance industrielle mais plusieurs récits qui cohabiteront...alors que pendant les années gaullo-pompidoliennes, un récit unique fondé sur l’indépendance technologique et industrielle s’auto-suffisait.


Autour de ces concepts qui doivent être enrichis (intelligence économique au service de notre souveraineté, propriété intellectuelle,  etc.), se compose une grammaire de plus en plus partagée… Et désormais (même il reste encore du travail 😉), la question, elle-aussi, bascule. Désormais ce qui va compter, sera le « qui ? » et le « comment ? ».

Pour prendre une image : c’est comme si nous avions tracé une nouvelle portée, posé sa clef de sol et désormais nous attendons l’écriture de jolies musiques… de belles histoires de réindustrialisation, de relocalisation, de développement... Leurs acteurs seront les nouveaux « héros » de cette Renaissance industrielle. Nous basculons très vite d'une attente de conceptualisation à celle de sa réalisation...


2-     En France, nous comptons beaucoup sur l’Etat. Trop ?

C’est notre culture de politique, notre histoire administrative… il y a aussi un principe de réalité : la sphère publique capte 45% de la richesse créée dans notre pays, par divers mécanismes.

La verticalité des dispositifs d’accompagnement

Si 40% des facteurs de succès des PMI et ETI sont territoriaux (Source Fabrique de l’industrie), 175 mds € d’aides publiques de développement économique sont entre les mains de l’Etat (pour moitié des aides fiscales pour l'autre moitié des interventions directes) tandis que les collectivités territoriales en disposent de 5 à 8 mds € (Source France Stratégie). Notre répartition des moyens publics est le reflet de notre organisation administrative…

C’est dans cette logique que furent conçus puis mis en œuvre France Relance et France 2030 et la verticalité de leurs principaux moyens de mise en œuvre (les appels à projets et les appels à manifestations d’intérêt) a été décriée… Les PMI n’y ont pas réellement accès, ces moyens sont de facto privilégiés pour les groupes avec une ingénierie de recherche de subventions et les start-ups pour lesquelles le financement externe est un modèle (ne générant pas encore elles-mêmes de résultat 😉)

Les moyens des ambitions ?

Selon nos estimations, le potentiel de création d’activités industrielles est très très significatif, 430.000 emplois directs et indirects (rang 1 seulement) d’ici 2030, 100 mds € d’investissements productifs (privés et publics) supplémentaires, 70 mds € de valeur ajoutée annuelle et industrielle additionnelle…


Nos hypothèses sont conservatrices, car les moyens dispensés ne suffisent à lever nombre de freins sur la route de notre réindustrialisation : l’acceptation des nouveaux sites industriels, l’attractivité des métiers de l’industrie et des territoires dans lesquels ils se développent, la carence prononcée de compétences, la disponibilité de foncier productif…

Quand bien même nous serions plus « offensifs » nous parviendrions sans doute au maximum à combler la moitié de notre retard à l'actuelle moyenne européenne… sans compter que nos voisins européens eux aussi s’organisent pour accueillir la régionalisation des chaines d’approvisionnement et donc rapatrier des productions.

Las, nous partons de si bas après 40 ans de désindustrialisation avec une part manufacturière du PIB à 10%, que ces efforts, aussi significatifs soient-ils, permettraient seulement d’atteindre 12% soit de rattraper un tiers du retard à la moyenne européenne se situant à 16%. La France resterait l’un des pays européens les plus désindustrialisés. Nous passerions de la part manufacturière dans le PIB de la Grèce… pour atteindre celle du Portugal.

Ainsi, le potentiel de ces programmes, fussent-ils inédits et très conséquents, semble insuffisant pour répondre aux ambitions placées dans notre renaissance industrielle. En creux, cette étude démontre que nous n’avons pas réellement pris le temps d’énoncer notre niveau d’ambition.


3-     La nécessité d’une démarche complémentaire ?

Si France 2030 est fondé sur des défis technologiques, ceux-ci ne sont pas l’alpha et l’oméga de notre renaissance industrielle. Certes, ces défis font partie des incontournables autant dans les rapports de force, économiques et technologiques, que dans notre imaginaire collectif…

Mais à côté de la DeepTech (innovation technologique de rupture), il existe d’autres types d’innovations (d’usage, de modèle économique, etc.). Ces innovations-là ont leur contenu technologique mais ne reposent pas sur des brevets dernier-cri, ni sur les recherches les plus récentes. Elles assemblent des briques technologiques existantes, quasiment sur étagère, pour concevoir et produire à moindre coût afin de permettre une relocalisation, pour optimiser un cycle matière, pour fournir une expérience client différente, pour donner du sens à un produit…

Actionnons ce type d’innovations, plus propices à irriguer les territoires, dans lesquelles je classe les Jeans à 50 € de Mulliez autant que Bob le lave-vaisselle de Daan Tech. C’est le complément nécessaire à nos ambitions « institutionnelles »

Cette activation nécessitera moins de moyens publics, mais « seulement » d’autres organisations. Il s’agit davantage de questions de « tuyaux », d’envie, d’engagement que de nouveaux programmes et crédits publics :

  • Mobiliser l’épargne des ménages français pour notre outil productif, 3-4% de cette dernière serait amplement suffisante
  • Territorialiser les outils de formation, car la faible mobilité des Français est un fait et qu’il faut former dans le bassin d’emploi pour le bassin d’emploi. Les Ecoles de production répondent à une attente, à ce besoin, c’est la clef de leur succès
  • Mobiliser la demande des consom’acteurs vers le #MadeInFrance, les achats inter-entreprises vers de l’achat responsable, les achats publics vers de la commande publique « intelligente »… c’est « seulement » de la conviction, de la méthode, de l’ingénierie, des outils
  • Développer les coopérations et les solidarités territoriales entre les entreprises d’un même territoire, en complément des filières

Et surtout, surtout, oser un récit autour de ces entrepreneuses / entrepreneurs, qui sauvent et développent les savoir-faire dans nos territoires, les emplois des femmes et des hommes qui les détiennent, les territoires qui les accueillent…

Cette seconde démarche, davantage fondée sur les savoir-faire que sur les défis technologiques, sur les entrepreneu.se.rs de nos territoires que sur les institutions devrait avoir le potentiel, en complément de France 2030, de nous faire rejoindre la moyenne européenne… au moins.

Elle sera peut-être portée par l’Etat ou la puissance publique… ou peut-être pas ?

Anne-Laure FESNEAU

Directrice du développement économique et touristique chez Communauté d’agglomération de Blois - Agglopolys

2 ans
Stéphane Claeys

Expert Simulation Thermomécanique chez LEM

2 ans

C’est quoi la « renaissance industrielle »? Donner des millions de primes d’ARGENT PUBLIC à des sociétés françaises pour les « aider » à venir remettre leurs usines en France alors que ça fait 40 ans qu’elles font des milliards de bénéfices en exploitant la main d’œuvre low-cost étrangère ? Que donne-t-on aux industriels qui, patriotes, ont toujours résisté aux sirènes de la mondialisation ? Ont toujours produit en France. Quand va-t-on arrêter de faire croire comme une idée géniale de récompenser en réalité avec notre argent… les mauvais élèves ! Personnellement j’aimerais qu’on donne des milliards à ceux qui n’ont jamais abandonné leur foi en l’industrie de notre pays !

Olivier Lluansi

Professeur au Conservatoire National des Arts et Métiers « Omnes docet ubique » | Enseignant Ecole des Mines de Paris | Senior Fellow ESCP |

2 ans

« special tribute » à Anaïs Voy-Gillis pour les échanges d'idées qui depuis deux ans permettent d'enrichir et de consolider le concept de #renaissanceindustrielle et sa diffusion auprès de dizaines d'initiatives territoriales et aussi des jeunes générations (et des moins jeunes) via les podcasts comme ThinkerView, Vlan Podcast et bien d’autres…

🧩Véronique GRICOURT🧩

Déléguée générale Collectif Startups Industrielles France ➰ Administratrice indépendante certifiée emlyon ➰ Influstrielle➰ Responsabilité territoriale des entreprises ➰ Projets industriels innovants et circulaires

2 ans

👏👏"Cette seconde démarche, davantage fondée sur les savoir-faire que sur les défis technologiques, sur les entrepreneu.se.rs de nos territoires que sur les institutions devrait avoir le potentiel, en complément de France 2030, de nous faire rejoindre la moyenne européenne… au moins". A nous tous de faire bouger les lignes !

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