Comment le cinéma peut sauver nos entreprises…Et ce n'est pas de la fiction…

Comment le cinéma peut sauver nos entreprises…Et ce n'est pas de la fiction…

Mon voisin est réalisateur et scénariste de cinéma*. Lui qui n’a pratiquement jamais travaillé en entreprise et moi qui y ai passé 20 ans, autant vous dire que nous avons peu en commun... En tous les cas c’est ce que je me disais lors de notre 1ère rencontre…

Puis, nous sommes devenus amis. J’ai vécu la création et la diffusion de son 1er long-métrage*. J’essaie de comprendre son monde et au cours d’une discussion dans le jardin, il me dit « en fait j’essaie de créer la vie ». A partir d’une page blanche, en 1h30, il arrive à nous faire croire à la vie d’humains qui n’existent pas. Croire certes mais surtout pleurer, hurler, se révolter, espérer, nous demander « mais pourquoi fait-il ça !!!!!! ». Le temps d’une séance de cinéma…Il y a quelque chose de complètement irrationnel, de dire à notre cerveau que, ce qui va être projeté sur un écran, en deux dimensions, est réel au point qu’on vibre, qu’on aime, qu’on déteste, au point d’être dans une empathie absolument totale avec les personnages qui ont été eux-mêmes créés de toutes pièces. Personnages eux-mêmes joués par des acteurs qui nous mentent, dans des images qui en dehors du cadre rassemblent une multitude de projecteurs, de matériel, de supports pour faire tenir les décors ; sur un espace qui regroupe les techniciens qui font exister ce « cadre du mensonge ». Qu’est-ce qui nous pousse pourtant à vouloir adhérer joyeusement à ce « mensonge collectif » ?

Il y a, en nous, le besoin de retrouver et d’adhérer à des mythes communs. Comme dans une entreprise…Que fait le cinéma ? il recycle des mythes, des modèles mentaux fruits de la capacité spécifiquement humaine à construire des croyances partagées sur la façon dont « les choses » fonctionnent : moi, les autres, le monde…En effet, comme l’explique Yuval Noah Harari, la spécificité de notre espèce, Sapiens, réside dans notre capacité à collaborer sur des tâches complexes de manière massive. Comment ? En partageant des mythes, des modèles mentaux. Des histoires qui n’existent pas à l’état de nature : l’argent, une entreprise, un marché… C’est le cœur de toute organisation humaine. C’est le socle de tout le cinéma. Le lien entre entreprise et cinéma est donc là : les modèles mentaux.

Alors pourquoi le cinéma pourrait sauver les entreprises ? Nos entreprises meurent de leur incapacité à s'adapter suffisamment rapidement à la réalité. Celle-ci évoluant de manière accélérée et inattendue, il est devenu vital de se poser la question de son rapport à la réalité, c’est à dire, de ses modèles mentaux :

·     Compte tenu de l’accélération des changements, notre photo du monde se périme très vite : Les modèles mentaux deviennent obsolètes. Kodak n’a pas réussi à remettre en cause assez vite son modèle mental « photo = papier » ;

·     Compte tenu de l’incertitude actuelle, les modèles mentaux ont tendance à être « agressifs ». Lorsque nous n’arrivons pas à donner de sens à ce qui se passe, nous avons tendance à « faire plus de la même chose », à plaquer du connu (nos modèles mentaux) sur l’inconnu (le réel). Lorsque le communisme montrait ses limites, il a été appliqué avec plus de vigueur… Jamais les entreprises n’ont autant souhaité l’agilité et jamais nous n’avons vu autant de contrôles, de procédures, de reportings…

Gérer les modèles mentaux est donc devenu aujourd’hui une compétence vitale pour nos entreprises. Or cette compétence est nouvelle et complexe et le cinéma a une longueur d’avance dans ce domaine…

Oui mais comment profiter de l’expertise du cinéma ?

Nous sommes terrorisés par les zombies qui peuvent apparaitre à tout moment. C’est réel, le temps du film. Nous quittons la salle, cette réalité disparaît et notre peur avec. La différence est qu’en entreprise, nous continuons à croire à nos modèles mentaux comme s’ils constituaient le réel… Nous devons donc apprendre à les gérer sinon ce sont eux qui nous gèrent.

Une énorme part des scénarios de films de cinéma se fondent sur les mythes de l’humanité et aussi incroyable que cela puisse paraître, il y a un nombre fini de modèles mentaux, actifs à trois niveaux : individuel, collectif et sociétal. Le cinéma peut donc nous permettre de les appréhender : regarder une deuxième fois le film X-Men en ayant en tête que tout est basé sur le mythe Spinoziste. Pensez maintenant au film de votre de votre organisation : le film Danone, L’Oréal, EDF etc… à votre propre film… ou le film du féminin, de la France etc…Lorsque le cinéaste nous aide à décrypter les modèles mentaux exploités dans les films, il développe notre capacité à exposer les modèles mentaux. Il nous entraine à identifier les modèles mentaux en action et donc demain à les gérer.

Voilà quelques modèles mentaux collectifs, des « histoires » qui circulent depuis longtemps au sein de l’humanité :

  • Une question que se posait déjà Descartes. Et si rien n’était réel, et que tout n’était que tromperie ? … Et vous, ça vous fait penser à un film ? Matrix.
  • Et que se passerait-il si demain un seul être n’avait pas existé ? Profitez des prochaines fêtes pour voir ou revoir La vie est belle de Frank Capra.
  • Est-il possible de changer de vie sans risquer de tout perdre ? Voilà le cœur de Fight Club.
  • Un thème cher à Spinoza : Comment peut-on atteindre sa propre puissance sans détruire tout ce qui nous entoure ? Voilà le dilemme des X-Men.

Les modèles mentaux sont également à la base des archétypes de construction des personnages de fiction : des modèles mentaux individuels. Le plus puissant est l’ange-voyageur. C’est un personnage qui vient illuminer voir sauver la vie de ceux qui croisent son chemin. C’est Omar Sy dans Intouchables. C’est Mary Popins, Crocodile Dundee, Amélie Poulain, Sherlock Holmes. Ou tout simplement le personnage du Père Noël…Ce modèle touche au divin. Il incarne une universalité (un besoin de croire profondément dans la nature humaine) et une dualité profonde. D’un côté il réveille en nous le fantasme que l’être humain est tellement bon au fond de lui-même qu’il n’a besoin de personne pour être sauvé et d’un autre côté la puissance des forces extérieures, le besoin de croire que face à l’absurdité de la vie, on peut être sauvés par les dieux. Il s’agit souvent d’une personne parfaite qui règle les difficultés d’une communauté en difficulté. La communauté est la plupart du temps petite ; une famille, une petite ville (peut-être vous dans votre entreprise :) ). Son but est d’apprendre aux gens à s’amuser et à vivre leur vie avec style. Mais au-delà de l’ange voyageur qui de par sa quasi-perfection se distingue des autres archétypes, ce qui anime un personnage ce sont ses forces et ses faiblesses ; Et toute la dynamique qui prend vie, tiraillée par ces deux pôles. Voici quelques modèles mentaux individuels, tels que les décrit notamment John Truby dans ses écrit sur l’art de la dramaturgie (Vous allez peut-être vous reconnaître ou reconnaître votre CEO…) :

·     L’archétype du roi ou le père. Le Roi Arthur, Zeus, Don Corleone (dommage pour votre CEO:) ), Rick (Humphrey Bogart) dans Casablanca… Sa force : il accompagne sa famille ou son peuple avec sagesse et détermination. Sa faiblesse potentielle : il peut forcer sa femme, ses enfants ou tout son peuple à se plier à un ensemble de règles oppressives, en se coupant de son champ émotionnel…

·     Le vieillard, le sage, le mentor ou le professeur. Yoda, Gandalf dans Le Seigneur des anneaux… Sa Force : il transmet sagesse et savoir afin que les individus puissent améliorer leur quotidien et que les sociétés puissent évoluer de façon positive. La faiblesse qui le guette : il peut obliger ses disciples à penser d’une seule manière ou faire sa propre apologie plutôt que celle des idées qu’il devrait défendre.

·     Un des préférés du public maintenant… L’escroc ! Tootsie, Hannibal Lecter, Verbal Kint dans Usual suspect, Butch dans Butch Cassidy et le Kid … Sa force : il utilise la ruse, la confiance et le pouvoir des mots pour parvenir à ses fins. Sa faiblesse : il peut devenir un menteur compulsif qui ne s’intéresse qu’à lui-même et se perdre dans ses propres mensonges.

Tout ceci est justement très archétypal mais la richesse et la finesse du scénario vient ensuite de la combinaison, de la gestion des modèles mentaux pour développer des histoires et des personnages singuliers. La connaissance et le partage avec le public de ces modèles mentaux, socle de notre inconscient collectif, permettent au cinéaste, avec une simple situation, une réplique ou réaction, de faire exister un pan entier et bien plus large du caractère d’un personnage que l’on ne connaissait pas la seconde d’avant. Cela évite aussi que les films durent six heures ! Vous voyez ici la puissance et l'efficacité des modèles mentaux…

Cela peut paraitre simple. En discutant avec mon ami, j'ai découvert une discipline d’ascète. Pour éviter de proposer des personnages ou des situations qui ne seraient que des clichés (modèles mentaux figés), et dont l’agrégat (le personnage, l’histoire), n’apparaitrait plus comme nouveau ou unique, cela demande de sculpter, de dégrossir, de tailler, de polir dans l’ADN de l’histoire née du vide de la page blanche, pour espérer recréer ne serait-ce qu’un petit bout du plus complexe : la vie.

Une discipline d'ascète cumulée à une immense énergie. Un film c’est en moyenne entre 3 et 7 ans de travail entre la première page d’écriture et la sortie. Un travail colossal. Tous les mercredis il sort entre 15 et 20 films. La plupart des spectateurs vont au cinéma entre une et cinq fois dans l’année, pour certains jamais. Je vous laisse deviner le nombre de films qui restent sur le carreau. La grande majorité. Alors quand on parle d’acceptation de l’échec dans les processus d’innovation en entreprise, l’expérience de mon ami m’a juste cloué le bec... Une grande leçon d’humilité.

Alors pourquoi tous ces efforts quand la probabilité d’échec est aussi élevée ??? Ce n’est pas logique.

Non ce n’est pas logique, c’est vivant. Cela montre la joie que procure la gestion des modèles mentaux, la joie de créer une fiction pour donner du sens. Il y a un vieil adage dans le cinéma qui dit : « ne dîtes pas, montrez ». Et oui, quand il s’agit de donner du sens, c’est pareil, « not sense giving but sense making ». Un spectateur qui vient voir un film, accepte « le mensonge » et remet son état émotionnel entre les mains du film et donc du réalisateur. Il accepte le jeu, « ce pacte » le temps du film. S’il fait son travail avec authenticité, le cinéaste ne dicte pas ce que le spectateur doit penser ou ressentir car ce sont les modèles mentaux du spectateur, son histoire, son état émotionnel de l’instant, ses préjugés aussi, qui produisent, dans sa rencontre avec le film, le sens qui lui est propre. Il est tenu de lâcher-prise lui aussi face à sa création.

Et parfois, la magie opère au plus haut point. Ce sens devient universel et irradie la planète entière. C’est cette mystérieuse recette du succès que pour l’instant personne n’a réussi à décrypter réellement, au-delà de toutes les analyses et de toutes les théories sur la question, et qui fait que le cinéma est un art. Comme peut être finalement le "management"...

Cet article a été pensé et co-écrit avec Olivier Casas. Nous intervenons ensemble en conférence pour sensibiliser à la puissance des modèles mentaux en entreprise (en anglais et en français) – contactez-moi si cela vous intéresse.

PS : Si le sujet des modèles mentaux en entreprise vous intéresse, lisez notre ouvrage « Stratégie modèle mental- cracker enfin le code des organisations pour les remettre en mouvement » co-écrit avec Philippe Silberzahn, publié chez Diateino.

* Olivier Casas - Long métrage Baby Phone sorti en 2017  : bande annonce

Catherine Grunewald

Accompagner l'intelligence Collective

5 ans

Merci Béatrice Rousset pour cette réflexion avec Olivier Casas ! Pour peu qu'on s'entraîne, on trouve les modèles mentaux partout... Une fois qu'on les a exposés, ils nous permettent véritablement d'éclairer nos décisions... et nous offrent l'option de faire différemment 😉 ! Presque magique 🧚♀️🦄🌻 !

Béatrice Rousset - Petit point 💫

Auteure,🫙&petit point, co-fondatrice de SOLAIRE, joueuse de modèles mentaux, conférencière, (dé)formatrice.

5 ans

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