Comment parler racisme à travers un miroir médiatique qui diffuse une image brouillée ?
L’humoriste Fary fait des parallèles entre le mouvement Me too et celui contre le racisme, qu’a généré la mort de George Floyd aux États-Unis et dans de nombreux autres pays. Leur point commun : la libération d’une parole, inaudible jusque-là.
Quand Dominique Strauss Kahn a été arrêté à New York en 2011, le décalage était total entre le traitement médiatique américain, où c’était lui le coupable, et celui des médias français. Sur les plateaux télé de ces derniers, des mâles de son âge en faisaient une victime de ses pulsions pour mieux relativiser ses actes. Depuis, la parole sur les abus commis par diverses personnalités et des hommes ordinaires sur de très jeunes filles ont été révélés et l’ampleur de leurs traumatismes reconnue. C’est toujours compliqué, comme l’a montré la Cérémonie des Césars 2020 autour du cas Roman Polanski, mais la vague #MeToo qui a pris une ampleur planétaire depuis 2017, a permis de faire comprendre qu’un très grand nombre de femmes sont victimes d’abus plus ou moins graves.
Progressivement, les médias ont commencé à tendre un autre miroir à la société comme le montre le documentaire « Féminicides, l’affaire de tous ». Diffusé le 2 juin, il a réuni près de deux millions de personnes. Ce score était officiellement un peu décevant mais quand les micros se tendent enfin vers ceux ou celles à qui l’on dénie le droit au respect et à l’intégrité et que les abus dont ils sont victimes sont enfin reconnus publiquement, alors les choses commencent à changer.
Parviendra-t-on au même résultat avec les manifestations qui suivent la mort de George Floyd ? C’est ce qu’espèrent ceux qui manifestent, ces 20 000 jeunes aux « ADN bigarrés » rassemblés le 3 juin dernier devant le Tribunal de Paris, pour protester contre les violences policières et parler du racisme. Depuis les manifestations se sont multipliées en France devant les caméras étonnées mais, sur les plateaux, la parole est donnée massivement aux procureurs, comme l’explique Samuel Gonthier dans sa chronique de Télérama.
La parole de ceux qui expérimentent le racisme reste toujours beaucoup plus rare. "Quand on parle du racisme et des violences policières, la première réponse qu’on nous renvoie, depuis des années, c’est la victimisation", explique Fary. "Cela devient une arme imparable pour détourner le débat. On part du principe que la personne exagère et donc que ce n’est pas un sujet. Il n’y a ni interrogation, ni remise en question".
Avant la mort de George Floyd, il y a eu d’autres occasions manquées d’ouvrir le débat. Souvenez-vous, il y a quelques mois en septembre 2019, Eric Zemmour, encore et toujours, focalise l’attention. Après avoir parlé en direct sur LCI dans son discours de la Convention des droites des "immigrés colonisateurs", les journalistes protestent et il semble impossible de laisser une tribune quotidienne à un polémiste condamné pour incitation à la haine raciale.
Pourtant Cnews passe outre et mise sur l’audience qu’il rassemble: plus de 400 000 téléspectateurs. Ce nombre important est en cohérence avec le volume de messages racistes en provenance de « haters » sur les réseaux sociaux ! Mais alors que le racisme est un délit pour lequel Eric Zemmour a été condamné, il monopolise le traitement du sujet et confisque la parole de ceux pour qui le racisme est un préjugé dont ils sont quotidiennement victimes.
Pourtant dans un pays où un tiers de la population aurait des ascendances étrangères, il serait urgent de parler du racisme tous ensemble : noirs, blancs, métis de toutes origines pour déconstruire les préjugés raciaux. C’est le programme proposé par l’historien Francois Durpaire. Reste à trouver un # aussi efficace que #metoo.