Conclusions d’appel : quand le dispositif indispose

Conclusions d’appel : quand le dispositif indispose

Même si elle a sollicité la réformation du jugement dans le dispositif de ses conclusions, la partie qui poursuit l’infirmation du chef d’un jugement l’ayant déboutée d’une contestation de la validité d’un acte de procédure doit formuler une prétention en ce sens dans son dispositif.

Civ. 2e, 4 févr. 2021, F-P+I, n° 19-23.615

Appelants d’un jugement du juge de l’exécution, des époux contestèrent la validité d’un jugement de 2006 sur le fondement duquel avait été pratiqués différents actes d’exécution. Leur contestation relative à la validité de la signification, effectuée selon les modalités de l’article 659 du code de procédure civile, fut rejetée par la cour d’appel de Rennes. Devant la cour de cassation, ils reprochèrent le rejet de leur demande de non avenu de ce jugement et, partant, de nullité des actes d’exécution réalisés en vertu de cette décision. Leurs deux moyens de cassation, développés longuement avec précision, se concentraient sur l’absence de diligences suffisantes réalisées par l’huissier de justice qui avait initialement dressé un procès-verbal de recherches infructueuses alors, notamment, qu’il connaissait l’adresse des requis en poste restante. Rejetant le pourvoi, la deuxième chambre civile juge :

« 5. Il résulte de la combinaison des articles 562 et 954, alinéa 3, du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017, que la partie qui entend voir infirmer le chef d’un jugement l’ayant déboutée d’une contestation de la validité d’un acte de procédure, et accueillir cette contestation doit formuler une prétention en ce sens dans le dispositif de ses conclusions d’appel.

6.  Il ressort des énonciations de l’arrêt, se référant aux dernières conclusions d’appel déposées pour M. et Mme X..., que, dans le dispositif de leurs conclusions d’appel, ces derniers se bornaient à solliciter l’infirmation du jugement frappé d’appel, sans réitérer la contestation de la validité de la signification du jugement du tribunal de commerce rejetée par ce jugement.

7.  Il en résulte que la cour d’appel ne pouvait que confirmer le jugement de ce chef. »

Le lecteur qui, au vu de moyens de cassation relatifs à la signification du jugement, développés sur dix pages, s’attendait à un nouvel arrêt sur les exigences imposées aux huissiers de justice par les articles 653 et suivants du code de procédure civile, restera sur sa faim. Et même sur sa fin car la procédure civile a toujours le dernier mot. La deuxième chambre civile, sans égard en effet aux moyens développés, apporte sa solution au visa des articles 562 et 954, alinéa 3 du code de procédure civile. Ledit code permet en effet à la haute cour de rejeter un pourvoi en substituant un motif de pur droit à un motif erroné et de relever d’office un moyen en invitant les parties à conclure sur ce point. La cour d’appel n’avait rien trouvé à redire au dispositif des appelants, mais c’est la cour de cassation qui convoqua la rigueur des principes de l’effet dévolutif (C. pr. civ., art. 562) et du dispositif des conclusions (C. pr. civ., art. 954), pour sanctionner finalement l’imparfaite rédaction des conclusions des appelants. S’ils développaient des contestations relatives à la signification du premier jugement, à son caractère non avenu et à la nullité des actes consécutifs intervenus depuis, ils ne formalisaient aucune prétention d’annulation ou de contestation de validité dans le dispositif des conclusions. L’erreur était d’avoir demandé, dans ce dispositif et comme il fallait impérativement le faire, l’infirmation du jugement du juge de l’exécution, sans y ajouter la prétention de nullité.

Le piège, tendu aux plaideurs, n’en finit plus de s’étendre

Le praticien qui aura retenu la leçon précédente de la cour de cassation est déjà en retard sur la suivante. En effet, dans un arrêt d’une importance capitale, la deuxième chambre civile a estimé que pour tout acte d’appel à compter du 17 septembre 2020, date de son arrêt, les cours d’appel qui n’étaient pas saisies par un dispositif ne formulant pas, dès les premières conclusions, l’infirmation ou l’annulation du jugement, ne pouvaient que le confirmer (Civ. 2e, 17 sept. 2020, n° 18-23.626, Dalloz actualité, 1er oct. 2020, obs. C. Auché et N. De Andrade ; Civ. 2e, 17 sept. 2020, n° 18-23.626, D. 2020. 2046 , note M. Barba ; AJ fam. 2020. 536, obs. V. Avena-Robardet ; D. avocats 2020. 448 et les obs. ; Rev. prat. rec. 2020. 15, chron. I. Faivre, Anne-Isabelle Gregori, Rudy Laher et A. Provansal ; Gaz. Pal., 26 janv. 2021, obs. N. Hoffschir; Procédures, nov. 2020, obs. R. Laffly). Alors que la précision de la réformation ou de l’annulation du jugement (que l’on pouvait croire inhérente à l’appel au regard des termes mêmes de l’article 542 du code de procédure civile) est exigée dans le dispositif des écritures, il faut donc comprendre aussi que la demande d’infirmation ou d’annulation n’est pas suffisante si une annulation, non pas cette fois du jugement dont appel mais d’un acte de procédure, est également sollicitée. Car en l’espèce, les appelants poursuivaient la nullité de la signification d’un premier jugement du tribunal de commerce et des actes consécutifs engagés sur ce fondement et non principalement la nullité de la décision dont appel. Mais, dans les deux cas, puisqu’ils n’attaquaient pas l’exploit introductif d’instance, ils leur revenaient de conclure au fond en raison de l’effet dévolutif de l’appel et de préciser, dans leur dispositif, non seulement l’infirmation du jugement du juge de l’exécution mais encore toute demande de nullité.

Si le cheminement qui a conduit la cour de cassation à assimiler, par cet arrêt du 17 septembre 2020, la réformation ou l’annulation du jugement à une prétention au fond pouvait surprendre, la sanction de l’absence au dispositif des conclusions (relevée d’office par la cour de cassation !) de toute contestation de la validité de la signification du jugement du tribunal de commerce pourrait interroger. On comprend bien sûr, prima facie, le raisonnement de la cour de cassation tant l’on sait son attachement à la qualité rédactionnelle du dispositif. Et rapidement observée, la solution de la deuxième chambre civile ne surprendra pas. Cette position a d’ailleurs été adoptée, très tôt, par les autres chambres : il ne saurait y avoir de contradiction entre le contenu de conclusions et un dispositif qui seul saisit la cour d’appel (Civ. 1re, 24 oct. 2012, n° 11-22.358), une demande de nullité d’une assemblée générale et, par voie de conséquence, de l’ensemble des décisions inscrites à l’ordre du jour, n’autorise pas la cour à annuler la décision portant sur la désignation du syndic dès lors que cette demande précise n’était pas reprise au dispositif (Civ. 3e, 2 juill. 2014, n° 13-13.738, Procédures, oct. 2014, obs. H. Croze), l’absence de la demande d’annulation du jugement au dispositif ne la saisissant pas plus (Com. 22 sept. 2015, n° 14-15.588). Or, on le voit, s’il est parfois aisé de fixer, au dispositif, des prétentions bien « visibles », certaines sont parfois plus « cachées » comme la résultante des autres, notamment au regard d’un article 562 qui s’annonce trompeur : « L’appel ne défère à la cour que la connaissance des chefs de jugement qu’il critique expressément ou implicitement et de ceux qui en dépendent ». On pourrait croire à l’annulation implicite ou par voie de conséquence des actes subséquents en cas de prétention générale d’annulation ou, pour reprendre les faits d’espèce, lorsque la demande d’infirmation du jugement résulte du rejet par le premier juge d’une contestation et de demandes d’annulation d’actes de procédure déjà présentés devant lui. Mais, dans une lecture très stricte de l’article 954, la deuxième chambre civile estime donc que les appelants ne pouvaient se borner à solliciter l’infirmation du jugement frappé d’appel, sans réitérer la contestation de la validité de la signification du jugement du tribunal de commerce rejetée par ce jugement.

Quelle formule retenir pour ne rien oublier dans le dispositif de ses conclusions ?

Délaissant la méthode traditionnelle, le professeur Croze, commentant l’arrêt précité de la troisième chambre civile, se posait la question de savoir s’il ne faudra pas, un jour, conclure à l’envers par précaution. Ce jour est peut-être arrivé. L’idée préconisée serait de présenter le dispositif avant les motifs afin de dire ce que l’on demande avant, pour dire pourquoi ensuite.

Avant, après, pas de formule magique finalement. En matière de (dé)tricotage, l’envers de l’endroit procédural est sans aucun doute le principe de précaution. Le dispositif ne requiert pas de prédisposition : il faut juste être disposé à en dire trop que pas assez, chose plus communément admise chez les avocats que chez les magistrats. Mais dans les deux cas, le dispositif indispose. À l’heure où les magistrats recommandent aux avocats une discipline du dispositif qui ne doit pas devenir fourre-tout, il n’est pas certain que cette jurisprudence les invite à la sobriété. Afin de ne rien oublier, l’idée est plus de semer que d’élaguer.

Publié sur Dalloz Actualité par Romain Laffly


Jacques VITAL DURAND

Selarl d'Avocats VITAL DURAND & Associés

3 ans

“ Il n'est pas de vent favorable pour celui qui ne sait pas où il va. ”

Marie-Catherine VIGNES

Avocat - Ancien Avoué près la Cour d'appel de Paris

3 ans

Commencer par savoir où on veut aller est nécessaire pour y parvenir. j’ai été formée à rédiger en premier le dispositif et après la discussion. et il faut regarder en premier le dispositif des conclusions adverses car souvent il y a des oublis de prétentions donc pas besoin d’y répondre et après 910-4 jackpot

Romain Maymon

Avocat chez CABINET MAYMON

3 ans

Le ridicule tatillon de ces décisions conduira a des formules de style qui ne feront qu'alourdir le dispositif sans rien dire de plus. J'imagine bien désormais commencer mon Dispositif par une formule du style: "Infirmer, annuler et réformer la décision attaquée en toutes ses dispositions objet de la déclaration d'appel". Qu'en pensez vous? Le droit n'en sortira pas grandi mais si nos primes d'assurance non plus ce sera déjà ça de pris!

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