Confinement : je ne te hais point
Nous voici donc repartis officiellement pour quelques semaines de confinement. Jusqu’au 11 mai, a priori.
Il faut bien le dire : ce que nous vivons est un drame immense. Un drame humain, avant tout, pour ces milliers de familles endeuillées. Un drame social pour tant de foyers privés de leur travail, de leurs ressources, du contact de leurs proches. Un drame économique enfin, pour une activité qui ne cesse de s’effondrer au point de remettre en cause le système productif dans son ensemble.
Mais dans ce drame, je dois bien vous l’avouer : ce confinement ne me déplaît pas.
Pour une raison simple, c’est qu’il casse de façon certes abrupte, certes violente, ce train lancé à toute vitesse que nous n’arrivions pas à stopper. Une économie à la poursuite d’une croissance exponentielle, dont personne ne saisit véritablement ni le sens ni l’utilité ; un carcan social qui écrase tant les mal nés et qui laisse si peu de place à l’échec, à l’erreur, à l’égarement ; une vie publique dont les codes ne cessent d’être en décalage permanent avec l’évolution du monde. Cette situation qui rend chacun d’entre nous à la fois victime et coupable d’un système que nous ne parvenons pas à modeler suffisamment vite pour qu’il s’adapte aux enjeux du monde.
Cette épidémie est une chance. Un signal de la nature, pour démontrer une fois de plus que nous sommes si peu. Alors que nous pensions tout contrôler, nous réalisons avec effroi que nous pouvons être, en une poignée de jours, une cible expiatoire d’un tueur invisible, sans cœur, sans yeux, sans pitié. Sanctionnés pour avoir oublié que nous sommes juste de simples habitants d’un monde que nous ne maîtrisons pas, mais que nous nous évertuons pourtant à détruire avec une irrationnelle énergie.
Ce confinement nous ramène à l’essentiel : du temps passé avec nos enfants alors que nous courions chaque jour pour les apercevoir matin ou soir, des plats cuisinés pour redécouvrir les épices, les plantes, les légumes que nous ne nommions même plus, les sons de la nature, des oiseaux, des animaux qui recréent une bande sonore habituellement saturée par le trafic routier et ferroviaire de l’inexorable activité humaine, la lecture ou le visionnage d’œuvres fondamentales de notre culture commune qui nous rappelle notre place dans l’incroyable aventure de l’Homme. Et même une organisation du travail centrée sur les fondamentaux, évacuant par magie réunions et déplacements superficiels, dont la futilité saute soudainement aux yeux.
J’aime ce confinement.
Parce qu’il remet au-devant de la scène ces métiers que nous avons tant dénigrés : hôtes et hôtesses de caisse, éboueurs et ripeurs, agents d’entretiens, infirmiers, facteurs … Ces gens qui « n’étaient rien » selon les mots de nos propres gouvernants, sont désormais les héros de notre vie quotidienne, la première ligne du front, ce sont désormais eux les « utiles » et nous les « inutiles ».
Parce qu’il rappelle à ceux qui l’oublient que la grandeur d’une société se reconnaît à la force de son service public. Et qu’à le sacrifier sur l’autel du court-termisme, on récolte le désarroi, les larmes, les drames.
Parce qu’il bouscule ceux qui écrivaient de longs rapports pour déterminer si la croissance ferait plutôt +1,1 ou +1,3%, si la balance extérieure serait excédentaire, si la pénibilité du travail devait vraiment être un critère dans le calcul des points, et les ramène à une toute autre réalité, angoissante mais tellement vivante.
Parce qu’il redonne à la planète une respiration qu’elle cherchait désespérément. Quel plus beau symbole que de voir des espèces reconquérir les territoires qui auraient toujours dû être leurs, des rorquals à Marseille, des dauphins à Venise, des oiseaux à Pékin, et sans doute la plus forte décroissance des émissions de gaz à effet de serre depuis l’ère pré-industrielle.
Nous avons réussi en 3 mois ce que nous pensions impossible à faire en 10 ans.
Oui, ce confinement est une chance : il nous rend la vue. Il nous amène à nous questionner sur le sens de nos actions, de nos métiers, de notre société.
Critiquer le gouvernement et crier au complotisme n’est pas à la hauteur du moment que nous vivons. Gardons notre énergie pour construire le monde d’après. Ne nous fixons pas de limite. Ne nous imposons pas de règle. Dans l’Histoire, les plus grands progrès se sont construits sur les cendres des combats les plus durs et dans les essences des drames les plus lourds.
Ce virus est notre piqûre de rappel.
Manager - Finance de marché chez Command Strategy Advisory
4 ansMessage rempli de sagesse, à nous de le rendre réaliste collectivement...ce dont je doute malheureusement à court terme : nous serons probablement trop occupé à réparer notre système ébranlé, peut être dans un second temps...
Marketing Director at SLS Barcelona - Ennismore/Accor Group
4 ans👏👏👏 Merci Greg pour ce beau texte; une analyse tres juste que je partage complètement, remplie d’optimisme! Espérons que cette piqure de rappel sera administrée aux bonnes personnes pour faire enfin bouger les choses! C’est notre chance de donner un nouveau souffle, il va falloir la saisir!
Growth and Digital Marketing Consultant
4 ansTrès beau texte Greg 👏 Je partage totalement ton analyse . Le confinement prouve aussi que les Etats sont capables de prendre - au nom de l'intérêt commun - des décisions difficiles et assumées malgré leurs conséquences catastrophiques sur l'économie et la sacro-sainte croissance. Espérons qu'on ne retombe pas dans nos travers et que nous sachions prendre des mesures aussi fortes pour les défis de demain, sociaux et environnementaux notamment.
Bravo Gregoire pour avoir posé les bon mots, ceux du recul de la sagesse et de l apprentissage. Même si cela ne durera pas les postures et les valeurs consacrées ont pris un coup dans l’aile.
Director Practice AI for Business | Head of European Consulting Practice Data&AI | AI France Team Leader
4 ansBravo Gregoire Mialet pour ce beau texte auquel je souscris complètement. Reste désormais à ceux qui auront recouvré la vue durant ce confinement de ne pas se laisser de nouveau aveugler au premier rayon de soleil lors de la sortie de nos tanières.