Covid-19 - Un français à Milan (suite)
J’avais commis deux articles en mars et avril dernier sur la quarantaine d’un français à Milan ….
Que dire aujourd’hui durant ce nouveau confinement ?
Il est comme ailleurs plus léger que le premier (l'Italie reste au travail) , mais la situation reste lourde et pénible. Elle est partagée par toute l’Europe (Sud, Nord et Est) et pratiquement le reste du monde : Il n’y a plus de spécificités italiennes.
L’amélioration est réelle mais progressive : il nous faudra attendre quelques semaines pour nous rassurer plus sérieusement. Force est cependant de constater qu’en Italie comme en France des mesures de confinement respectées apportent des résultats.
Comme partout l’ambiance est morose devant cette situation qui perdure. La compréhension que cela va durer et que le retour à la normale n’est pas pour demain matin, est probablement l’élément le plus pénible : il faut accepter, s’adapter et pratiquement hiberner pour quelques mois encore. On ne chante plus et les mouvements de solidarité avec les personnels médicaux sont de plus en plus réduits… puisqu’on ne veut plus entendre parler de ce drame en cours. Une certaine tension est palpable ici également.
Nouveauté, cette fois-ci, c’est l’Italie qui est entrée en 2nde vague avec retard ( 15 jours) et a cette fois regardé avec hauteur la France qui s’enfonçait … alors que les mêmes causes y ont produit ensuite les mêmes effets : un relâchement pendant la période de vacances a ravivé la contagion…. Le retard italien est probablement dû à des vacances françaises plutôt situées entre mi-juillet et mi-août, alors que les italiens culminent les leurs le 15 août et ont une rentrée scolaire plus tardive.
Comme ailleurs, la pandémie a cette fois couvert le pays dans sa totalité et plutôt épargné les zones antérieurement très touchées : pression forte sur Sud de l’Italie, Piemonte, provinces de Como, Varese, Monza et Milano en Lombardie. Les provinces de Bergame, Brescia, Lodi, … sont relativement épargnées en raison probablement de l’effet combiné d’une prudence supérieure et peut-être d’une autoprotection après la 1ere vague.
Habitant la Lombardie, une région qui a durement subi la Covid-19 avec plus de 20.000 décès – soit 40 % des chiffres italiens - pour une population à peine supérieure à 10 millions d’habitants (chiffres terribles, supérieurs à ceux de la Belgique considérée recordman d’Europe), il reste intéressant de faire un point de la situation, rappelant qu’il s’agit d’une des régions les plus dynamiques, riches et modernes d’Europe. Contrairement à la France centralisatrice, la Région Lombarde a une certaine autonomie, en particulier sur la Santé dont elle a la responsabilité. Nous y sommes également dans un monde de PMI et TPI, où l’attente envers l’État est plus faible que chez nous.
Je me contenterai de quelques remarques issues de la confrontation entre nos deux pays :
- Le monde médical a souffert et en sortira physiquement et moralement épuisé et transformé. Il a sans doute redécouvert la partie humaine et parfois tragique de sa fonction (non la médecine n’est pas uniquement technique). Il faudra des deux côtés repenser beaucoup de choses dans l’organisation et la formation. Ceci concernera en particulier le rôle fondamental de la médecine de base (médecins généralistes) et la relation indispensable entre secteurs publics et privés. Notons que la régionalisation de la Santé a amené de fortes disparités en Italie (succès du Veneto et de l’Emilia-Romagna pourtant gérés par des partis opposés, inefficacité notoire de la Lombardie) en particulier sur organisation médecine de base et rôle du public. Notons que la régionalisation a permis au cœur de la crise des accords de terrain rapides et efficaces entre hôpitaux publics et privés (transferts provisoires de responsabilités et personnels).
- Dans nos deux pays, la Science a présenté deux aspects distincts. Le premier est sa réactivité qui a permis de lancer dans des temps record de nouveaux vaccins, mais aussi la mise au point de traitements plus efficaces combinant cortisone, anticoagulants, oxygène, … réduisant sensiblement le taux de mortalité. Elle en sort grandie. Le second est plus troublant avec partout l’apparition de nouvelles vedettes médiatiques intervenant à tous vents et annonçant tout et son contraire (que n’avons-nous pas entendu cet été sur la fin du virus !). Nous avons tous bien compris que la situation était peu claire et que personne n’avait l’explication ou réponse miracle : sérieux, prudence, clarté et pragmatisme sont là aussi des vertus.
- Dans nos deux pays, les hommes et femmes politiques au pouvoir (État, Régions, Communes, …) ont sans doute traversé la période la plus difficile de leur vie publique. Ils en sortiront usés et marqués, et n’auront sans doute pas la reconnaissance de leurs administrés. Que de décisions difficiles à prendre et endosser sur des thèmes inédits, alors que les oppositions – où qu’elles soient – n’ont pas eu ces angoisses et ont souvent pratiqué la critique facile et systématique – souvent contradictoires - de toutes les décisions douloureuses pour s’assurer la sympathie de catégories souffrant, même si cela allait contre l’intérêt général évident. Intéressant de voir les réactions de certains politiques locaux, demandant des actions fortes, mais ne souhaitant pas les assumer en faisant semblant de subir des décisions nationales dures qu’ils sollicitaient quelques jours auparavant. On peut logiquement se demander ce qu’aurait fait une grande formation populiste au pouvoir en Lombardie si elle avait été au pouvoir au plan national.
- Les notions d’« Intérêt Général » et « Respect de l’autre » semblent avoir disparu des valeurs de nos démocraties avec la seule défense des catégories et intérêts particuliers. Il est évident que la Covid-19 a des effets terribles pour de nombreuses catégories et à tous les niveaux : les jeunes, les anciens, les femmes, les petits commerçants, les bars restaurants, les spécialistes de la culture, du sport, des voyages, de l’événementiel, du ski, …. Il y a et il y aura des situations horribles pour lesquelles nos États doivent poursuivre et accroître les efforts de protection. On aimerait cependant souvent moins de bavardages clientélistes de la part de spécialistes autoproclamés de tous genres qu’ils soient scientifiques, journalistes, influenceurs, écrivains, vedettes, …. Chacun vit un moment difficile, mais personne n’est le centre du monde et doit simplement reconnaitre qu’il n’y a pas un choix entre Santé et Economie, Jeunes et Vieux, … Nous avons besoin de tous et devons agir tous pour passer les prochains mois sans arrêter l’économie comme c’est l’objectif partout pour préserver et préparer l’avenir. Vivant en Lombardie, je voudrai seulement rappeler à certains bavards que dans les provinces de Bergame et Brescia, beaucoup ont perdu 3, 4 et jusqu’à 7 personnes de leur famille (grands parents, oncles, …), qu’ils n’ont pas pu les saluer, ni les accompagner au cimetière, en ayant parfois le doute terrible de la responsabilité de la contagion… Je vous assure que cela est pire que beaucoup d’autres souffrances actuelles et que cela devrait relativiser certaines prises de parole. Par ailleurs, en France comme en Italie, le meilleur avenir des jeunes est dans la reprise rapide sans nouvelle période de confinement. Tout cela vaut quelques efforts de… distanciation provisoire.
- Des inégalités croissantes qui vont laisser des traces : beaucoup vont perdre leur emploi et leur patrimoine (commerçants, petits entrepreneurs, indépendants, travailleurs au noir du Sud, …), voir leur salaire se réduire (chômage partiel), leur futur plus improbable (jeunes) alors que beaucoup d’autres (travailleurs publics, la plupart des salariés des grandes entreprises, …) n’auront pas souffert au plan financier. Idem entre cols bleus (au travail exposé) et cols blancs (en télétravail). Des professions auront été en 1ere ligne, et attendront une certaine reconnaissance puisqu’ils ont été indispensables. Seront-elles écoutées ? Intéressant de voir en Italie les nouvelles attentes vers l’État et l’Europe pour des aides financières auxquelles le pays n’est pas habitué (certains au Nord demandaient plutôt en général la réduction des impôts). Si la réponse est efficace, cela peut modifier beaucoup de choses (je pense en particulier à l’Union Européenne) dans l’organisation de nos pays (responsabilités mieux partagées entre Union Européenne, États nationaux et Régions)..
- Une poursuite en Italie et en France de la juridicisation de la société : les responsables politiques sont désormais régulièrement attaqués en justice pour leurs actions et décisions avec un certain activisme des juges. C’est une vieille tradition en Italie, mais tout y prend beaucoup de temps, cela me semble plus récent en France et pourrait devenir dangereux en freinant des décisions indispensables mais dures.
- Une réactivité assez remarquable des PMI italiennes : soucieuses de leur survie, elles ont repris rapidement le travail au 2eme trimestre et accéléré la reprise au 3eme trimestre, acceptant souvent de travailler durant le mois d’août (contrairement à beaucoup de groupes français) : il est vrai que dans un pays plus industriel dans lequel les services sont plus réduits, cela a amené une reprise plus importante que celle qui était prévue. L’activité industrielle est finalement assez peu concernée par le reconfinement actuel qui concerne surtout le commerce, les services et le tourisme (très important dans certaines régions).
- Des changements et réorganisations indispensables dans les entreprises provoquées par la Covid-19 : comme en France, on ne connaît pas encore les conséquences finales, mais elles seront importantes, et concerneront sans doute plus d’importance donnée au local, à l’encadrement intermédiaire avec le développement du télétravail, un intérêt majeur vers des produits locaux, proches et propres (écologiques), des relations locales … mais aussi un besoin nouveau de fonds propres et partenariats industriels ou commerciaux inclus souvent européens. Une concentration de certains marchés est attendue.
- Des opportunités de business réelles : une large part de la population n’a pas souffert, et a beaucoup moins dépensé. On constate une augmentation des déports des particuliers dans le système bancaire de l’ordre de 8 à 10 % ce qui représente environ € 150 MIA. Ces sommes seront en partie dépensées dés que la situation sera meilleure et représentent des opportunités de business.
- Des secteurs vont se développer et montreront de bons potentiels de développement : en particulier tout ce qui est lié aux infrastructures (inclus santé) et dépenses que va financer l’Union Européenne dans le cadre de son Recovery Plan dont l’Italie sera le 1er bénéficiaire.
Beaucoup de chantiers à ouvrir par ou pour ceux qui le souhaiterons
Nicolas Diers Consulting
Strategy & Finance
Milano
Directrice Conseil chez Cicommunication : relations médias, communication digitale, conseil en réputation - Secteur gestion d'actifs, finance, assurances, private equity
4 ansUne vision des choses qui me paraît tout à fait juste et qui se démarque des commentaires agressifs et biaisés que l'on voit trop souvent.
Bel article Nicolas ! Un éclairage intéressant, approfondi et un propos nuancé!! Merci A bientôt à Milan !
DOTTORE COMMERCIALISTA
4 ansCher Diers, comment allez vous ? J’ ai lit avec intérêt votre analyse que je trouve tout à fait adhérent à la réalité . Toutes comparaisons entre la France et l’ Italie , même sur un argument dramatique, sont toujours non seulement intéressants mais aussi stimulantes. Voir mes deux dernières post sur Linkedin concernant l’Administration fiscale française. .A la prochaine , Alberto Crosti
DOTTORE COMMERCIALISTA
4 ansCher Diers, , bonjour. Comment allez vous ? J’ ai lit avec intérêt votre analyse que je trouve tout à fait adhérent à la réalité . Toutes comparaisons entre la France et l’ Italie , même sur un argument dramatique, sont toujours non seulement intéressants mais aussi stimulantes. Voir mes deux dernières post sur Linkedin concernant l’Administration fiscale française. .A la prochaine , Alberto Crosti
Treasury Manager at Corcym Holding SA
4 ansBravo Nicolas! J’ai bien apprecié ton analyse.