Craindre la vérité avec un grand V. (2/10)

Craindre la vérité avec un grand V. (2/10)

Depuis sa naissance après-guerre le commerce moderne a subi les changements radicaux. Rien n’est, en 2020, comme en 1950 ; ni les clients, ni les fournisseurs, ni la technologie, ni les concurrents. Il n’y a donc aucune raison valable de penser que les stratégies de 1950 puissent fonctionner encore aujourd’hui.  

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Il est indispensable de connaitre ces classiques. Il est nécessaire de savoir que Wall Mart a construit un empire avec un slogan EVERY DAY LOW PRICE. Il est important de se rappeler que E. Leclerc à démarrer dans un petit magasin avec un choix très, très court d’articles a des prix incroyables, par rapport aux monopoles en place, après-guerre. Mais vouloir appliquer la même recette de nos jours, sous prétexte que ça a fonctionné en 1950, c’est oublier l’essor de la concurrence ; l’évolution des consommateurs ; les révolutions technologiques, entre autres, parmi les phénomènes impactant l’efficacité de la promotion. Il n’existe pas de Vérité Absolue, mais uniquement une option moins mauvaise ici et maintenant 

Tous les dirigeants ont entendu ce discours lors de colloques et de sommets professionnels. De retour dans leur état-major, le biais d’habitude reprend le control : Ce qui a fonctionné doit continuer à le faire. On ne compte plus alors les planogrammes des opérations promotionnelles qui sont des copier-coller de ceux des années précédentes. La seule initiative tolérée, consiste à déplacer la date des fêtes lunaires, Pâques et Ramadan.

Prenons le problème à l’envers et raisonnons par l’absurde. Posons comme hypothèse qu’il existe la Stratégie Idéale et Unique, comme il n’existe qu’une seule trajectoire parabolique pour un objet pesant ; lance en l’air. Depuis bientôt 100 ans, avec la débauche de moyens financiers dépenses, quelqu’un aurait déjà trouvé l’équation qui optimise le format ; la pagination, la taille des images, la police de caractère, le niveau de remise, la couleur du prix, l’assortiment, pour garantir le succès économique. Si cette équation existait elle serait appliquée par tous. Viendrait-il l’idée a un constructeur aéronautique de négliger les équations de la mécanique de fluides ? Et pas conséquent toutes les communications promotionnelles du monde devraient être uniformes. Force est de constater que cette hypothèse doit être rejetée. Quand des stratégies concurrentes se ressemblent c’est plus par plagiat que par raisonnement. Par conséquent le concept même de Stratégie Vraie et Juste tue le concept de la stratégie.

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Dans la décennie 2000 Auchan a appliqué une stratégie promotionnelle disruptive en Russie, Ukraine et Roumanie, avec beaucoup de succès : Zéro promotion papier. !! L’audace stratégique a payée !!

Dix ans plus tard, la gestion du prix des promotions sur point de vente est théorisée, et systématisée. La moyenne pondérée du prix d’un panier moyen est toujours moins cher qu’à la concurrence. Mathématiquement imparable !! Mais il n’existe pas de consommateur moyen qui fasse une moyenne pondérée des prix de ses achats. Et que les clients sont devenus des chasseurs de promotion dans les magasins de proximité. Une stratégie gagnante peut devenir perdante en moins de 10 ans.

Les stratèges militaires disent même que les bonnes recettes d’hier peuvent se révéler des pièges pour demain. Connaitre ses classiques est nécessaire mais pas suffisant :

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Deux cents ans avant JC, Hannibal Barca, général carthaginois mène la deuxième punique contre Rome. Après avoir traverse toute la péninsule ibérique, le sud de la Gaule, les Alpes et toute la botte romaine du nord au sud, les Carthaginois font face aux légions romaines, près de la ville de Cannes dans les Pouilles. Le rapport des forces et d’un pour deux a l’avantage du Consul romain Varron. Et pourtant Hannibal va déployer une stratégie gagnante. Il oppose aux trois grands rectangles de 25 000 romains disposes en profondeur, une longue ligne unique de fantassins. Quand les Carthaginois du centre reculent aux coups de butoirs les 12 légions, les Romains profitent de l’avantage et continuent d’avancer sans se méfier des longues ailes de la formation punique. Le piège se referme sur les Romains, comme une mâchoire, et la défaite est sévère.

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Deux mille ans plus tard le général von Schlieffen a étudié la stratégie d’Hannibal à l’école de guerre de Berlin. Le modèle a traversé les âges, et fait partie du corpus classique de la formation des officiers. Des 1905, un projet d’invasion de la France, est l’occasion unique et exceptionnelle pour passer du « kriegspiel » au théâtre des opérations. Comme une mécanique bien huilée, von Moltke, va exécuter le plan en 1914, sur une échelle gigantesque : Selon l’imaginaire de von Schlieffen, les forces françaises allaient se ruer vers l’est pour récupérer l’Alsace et la Lorraine, perdues en 1870. Et les ailes allemandes se déploieraient à travers toute le Luxembourg et la Belgique. Puis dans un mouvement enveloppant vers le sud, elles enfermeraient les Français dans un piège comme le Consul Varon à Cannes. Les éléments les plus avances à l’ouest, devaient même fondre directement sur Paris. Mais le stratège du Kaiser n’avait pas lu Héraclite : On ne se baigne jamais deux fois dans un même fleuve. Le théâtre des opérations était beaucoup plus vaste que le champ de bataille romain. Les troupes allemandes se sont épuisées à parcourir ces grandes distances, et les Belges ne les ont pas laissé passer sans réagir. Ce qui était valable dans le Sud de l’Italie en 200 avant JC ne fonctionna pas en 1914.


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