De la raison d’être de notre système alimentaire
La raison d’être des entreprises est un sujet qui a pris de l’ampleur depuis la promulgation de la loi PACTE en 2019. Un axe structurant des entreprises qui d’une part, s’est retrouvé rapidement confronté aux exigences du capital, et qui d’autre part apparaît bien trop limité dans son périmètre pour entamer une véritable transformation économique et sociétale. Agriculteurs, mais aussi consommateurs, ne devraient-ils pas eux aussi se donner un statut à « missions » pour embarquer les entreprises, et l’ensemble du système alimentaire, dans cette grande transformation ?
Difficile de maintenir un cap quand des forces incontrôlables viennent souffler des vents contraires. Ce n’est pas un prolongement de la compétition du Vendée Globe dont nous parlons, mais le cas d’une entreprise comme Danone dont le PDG Emmanuel Faber vient d’être évincé à la suite de la fronde des fonds d’investissements détenteurs d’une partie –non majoritaire- du capital du groupe. Moins d’un an après s’être doté d’une raison d’être et de missions centrées sur la durabilité de son modèle de croissance, l’implacabilité du capital face à l’érosion des performances financières du groupe fait vaciller cet objectif de responsabiliser les activités de l’entreprise et de ses parties prenantes. Parties prenantes auxquels les actionnaires appartiennent, mais sans réellement désirer ce changement d’orientation stratégique de l’entreprise. La comptabilité environnementale et sociétale, sujets certes émergents, ne semblent pas encore pris en compte dans les calculs économiques du capital et dans la performance des entreprises. Un ancrage qui rappelle les propos du prix Nobel d’économie Milton Friedman dans les années 1970, pour qui la seule responsabilité sociale des entreprises est de faire du profit pour les actionnaires. Après ces cinquante années d’immobilisme de la doctrine actionnariale, comment opérer un véritable changement, alors que tous les éléments semblent pourtant converger vers un nouveau paradigme, et plus précisément concernant notre système alimentaire ? C’est tout l’enjeu ici d’attribuer des « missions » à ce système et à ses parties prenantes.
Inclure les agriculteurs dans l’équation
De la raison d’être du système alimentaire, il nous faut donc aborder la place des autres parties prenantes en amont et en aval de la chaine de valeur, que sont respectivement les agriculteurs et les consommateurs. Les adhérents-coopérateurs sont déjà soumis à cette question de la définition de leurs missions, dans le sens où certaines structures coopératives, dans le sillage de la loi PACTE, ont adapté leur statut juridique pour intégrer les nouvelles exigences environnementales et sociétales dans leur projet stratégique. Cela n’empêche pas de constater certaines dérives, notamment avec l’exemple récent de Tereos où la perte de contrôle de la structure par les adhérents au profit du board des dirigeants a provoqué une crise de gouvernance historique. Ceci vient nous rappeler les transformations, anciennes et plus récentes, des coopératives qui tendent à se structurer comme des entreprises capitalistiques avec un élargissement du périmètre d’activité et une dilution des revenus vers des intérêts autre que ceux des coopérateurs. La maîtrise des décisions par les adhérents est donc centrale, dans un souci de cohérence et de légitimité des « missions » des coopératives, puisqu’elles détermineront les nouveaux objectifs productifs aussi bien de l’outil industriel de production que des exploitations des anciens et nouveaux adhérents à titre individuel.
Ce qui peut paraître comme une lapalissade n’est pas à négliger, puisque, qu’elle soit individuelle ou sociétaire, l’exploitation agricole se doit elle aussi de se doter d’une orientation stratégique liée à des « missions ». La durabilité de son outil de production qu’est la terre, l’entretien de la biodiversité et de l’environnement, la production d’une alimentation saine etc… tombent sous le sens. L’inscription de « missions » dans les statuts des exploitations permettrait sans doute pour les agriculteurs de moins subir ces évolutions et d’être plus proactifs face aux évolutions réglementaires. Ceci enverrait également un message fort aux pouvoirs publics qui seraient incités, à le prendre en considération et non à imposer un nouveau périmètre d’actions.
Des missions pour les consommateurs ?
Les consommateurs sont sans nul doute une puissante force motrice du système alimentaire, impulsant ces dernières années de nouvelles tendances de consommation alimentaire ayant des répercussions importantes sur l’amont de la chaîne de valeur. Difficile pourtant de fédérer plus de 60 millions de consommateurs autour d’un objectif commun, tant l’archipel de la consommation est fragmenté avec des aspirations contraires. Les consommateurs ont pourtant des responsabilités dans leurs actes d’achat, de par les exigences qu’ils placent sur les marques et les producteurs, et qui ne se traduisent pas nécessairement par une disposition à payer en adéquation avec leurs revendications. L’implication des citoyens dans la question tant débattue de la répartition de la valeur alimentaire, si elle paraît difficile à mettre en œuvre, est pourtant essentielle pour assurer une cohérence entre les actions (et donc les missions) de chaque maillon de la chaîne de valeur. C’est une clé de voute essentielle pour lever les obstacles d’une juste répartition de la valeur, et promouvoir l’idée d’une « raison d’achat » plutôt que de « pouvoir d’achat » comme prisme d’analyse des consommateurs.
L’esprit des EGA, qui avaient tenté d’introduire un premier mouvement en ce sens, semble pourtant loin, voire enterré, à l’heure où la fin des négociations commerciales 2021 est annoncée dans un climat délétère. L’érosion des effectifs agricoles et d’une partie du tissu des industries agroalimentaires, et le déséquilibre persistant dans la répartition de la valeur, pourtant largement dénoncés par les professions concernées, ne semblent toujours pas trouver un véritable écho. Les consommateurs auraient sans doute un rôle important à jouer en se montrant solidaire de ces revendications, et proposer ainsi un contre-pouvoir face aux agents économiques qui tendent à capter la valeur créée par le système alimentaire.
En somme, ce n’est pas seulement une loi mais un pacte qui doit être mis à l’étude, du producteur à l’industriel, jusqu’au distributeur et au consommateur. Un pacte qui constituerait le cœur des missions de notre système alimentaire et où serait inscrite la garantie de notre souveraineté alimentaire. La création d’un Pacte social alimentaire serait, sans aucun doute, une réforme majeure allant dans le sens de la définition de cette raison d’être de notre système alimentaire.
Contact : Quentin Mathieu
Retrouvez cet article dans la lettre économique des Chambres d'agriculture de mars 2021 en cliquant sur le lien suivant : https://chambres-agriculture.fr/publications/toutes-les-publications/la-publication-en-detail/actualites/lettre-economique-de-mars-2021-de-la-raison-detre-de-notre-systeme-alimentaire/
Engagé pour une entreprise Responsable et Performante - Direction Générale | Direction Opérationnelle | Accompagnement stratégique
3 ansMerci Quentin MATHIEU de cette prise de position. La question des missions des cooperatives agricoles est particulièrement bien posée, mais me semble-t-il, la problématique de leur gouvernance est prioritaire. Personnellement, j'adore votre idée de pacte social #alimentaire.
Professeur | Stratégie et gouvernance des entreprises | Développement durable | Anthropocène | Agriculture | Alimentation | born 337 ppm |
3 ansNous sommes bien en phase Quentin MATHIEU ! Je milite depuis la sortie du livre pour un statut d’entreprise agricole à mission pour que l’on reconnaisse (et rémunère) les fonctions nourricières et réparatrices de notre agriculture 👍➡️ http://www.lagri.fr/bertrand-valiorgue-faire-des-entreprises-agricoles-des-entreprises-a-mission-par-yann-kerveno