Biélorussie et Russie : l’agriculture au cœur des relations géoéconomiques

Biélorussie et Russie : l’agriculture au cœur des relations géoéconomiques

La Russie s’appuie de longue date sur son influence politique auprès de la Biélorussie pour développer sa politique extérieure, aussi bien sur le plan diplomatique qu’économique. La crise politique que connaît cette dernière pourrait remettre en question les relations géoéconomiques entre les deux pays, et plus particulièrement concernant les échanges agroalimentaires.

La crise politique en Biélorussie est une opportunité pour évaluer les relations économiques et agricoles du pays avec son principal pays partenaire qu’est la Russie. Cette relation est à mettre en perspective avec le statut de puissance agricole de la Russie, statut qui n’empêche cependant pas le pays d’être parfaitement autosuffisant et de dépendre en partie de la Biélorussie pour certains approvisionnements alimentaires stratégiques. La robustesse et la stabilité de ces liens contrastent également avec des relations politiques parfois tumultueuses entre les deux pays, qui ont pourtant su construire des relations commerciales fructueuses. 

L’agriculture parmi les clés de voûte des relations commerciales

La Biélorussie constitue un enjeu important pour la Russie (et vice-versa), en premier lieu sur le plan militaire et géographique, mais aussi économique et commercial, d’autant plus depuis la mise en place de l’embargo russe en 2014 envers les pays occidentaux. Le commerce agroalimentaire constitue notamment l’un des piliers de cette relation géoéconomique. Le secteur agricole occupe une place importante dans l’économie biélorusse, pesant de 7 % à 8 % du Produit intérieur brut (PIB), permettant au pays d’atteindre une quasi-autosuffisance alimentaire (il est estimé que seul 10 % de l’alimentation biélorusse est d’origine importée) et d’engendrer des exportations qui atteignent jusqu’à 17 % des exportations totales du pays (source : Belstat). L’excédent de la balance commerciale agroalimentaire du pays s’élevait ainsi à près de 818 millions de dollars en 2018. Mais en ne considérant que le commerce bilatéral avec son voisin russe, on observe que cet excédent s’élève à près de 2,8 milliards de dollars, (4,1 milliards de dollars d’exportations de produits agricoles et alimentaires) (graphique 1).

Graphique 1

Aucun texte alternatif pour cette image

La Russie apparaît donc comme un partenaire commercial essentiel pour le secteur agricole biélorusse, et inversement pour les apports alimentaires de la Russie sur certains produits stratégiques comme le lait. Alors qu’en 2012 la Biélorussie représentait environ 40 % des importations russes de produits laitiers (idem pour l’ensemble des pays de l’Union européenne), la fermeture du marché russe aux exportateurs européens a permis à la Biélorussie d’acquérir une position de quasi-monopole avec une part de marché estimée à plus de 70 % en 2018 (source : Ressource Earth Trade). Même si les importations russes de produits laitiers ont été divisées par deux sur la même période, les exportations de produits laitiers biélorusses se sont accrues de +26 % en l’espace d’un an avec l’embargo, et oscillent désormais dans une fourchette allant de 1,6 à 2 milliards de dollars chaque année (graphique 2).

Graphique 2

Aucun texte alternatif pour cette image

Un constat assez similaire pour la viande (et en particulier de la viande de bœuf), là où la Biélorussie pesait pour moins de 10 % des importations russes en 2012 contre 37 % en 2018. Au final, les interdépendances économiques et agricoles à travers ces illustrations apparaissent évidentes entre les deux pays : la Russie a besoin de certains produits alimentaires biélorusses sur des productions où le pays n’est pas encore autosuffisant, tels que les produits animaux ; la Biélorussie a besoin de la Russie pour écouler ses surplus agricoles, cette dernière captant 80 % des exportations agroalimentaires biélorusses.

Des profondes mutations à venir pour l’appareil agricole biélorusse ?

Cependant, la déstabilisation du régime de Loukachenko pourrait chambouler ces équilibres. Un changement de gouvernement au pouvoir pourrait remettre en question la structure de l’appareil agricole biélorusse, encore fondée sur une organisation Kolkhozienne et qui constitue, en dehors des enjeux économiques liés à son potentiel démantèlement, un appareil de contrôle essentiel sur les populations rurales. Un maintien du régime actuel pousserait en revanche Loukachenko à accentuer ses efforts de réduction de la dépendance envers la Russie en se tournant vers des pays tels que la Chine où l’Iran pour, entre-autre, diversifier l’écoulement de ses produits alimentaires (même si les tentatives de rapprochement économique avec ces pays furent assez décevantes jusqu’ici). Inversement, en cas d’appui de la Russie pour maintenir le régime, la dépendance biélorusse à son voisin de l’Est en serait très renforcée. Dernière hypothèse, un régime de transition politique pilotée par la Russie pousserait encore davantage ces liens commerciaux entre Minsk et Moscou. L’hypothèse d’un projet de fusion entre les deux pays permettrait d’ailleurs à la Russie d’atteindre enfin son objectif d’autonomie alimentaire. 

Qu'en est-il de l’Union européenne ? Dans ce contexte politique tendu, le maintien des sanctions économiques contre la Russie, et inversement de l’embargo russe, continue de geler un potentiel dialogue avec les 27 pays membres et affaiblit donc le poids diplomatique de l’Union dans la crise biélorusse. Á voir désormais si cet obstacle pourrait être levé afin d’engager un dialogue entre l’Ouest et l’Est. L’agriculture aura certainement un rôle à jouer dans cette histoire, comme actif ou collatéral.

Contact : Quentin Mathieu

(Retrouvez cet article dans la lettre économique des Chambres d'agriculture du mois de septembre 2020 en cliquant sur le lien suivant : https://chambres-agriculture.fr/publications/toutes-les-publications/la-publication-en-detail/actualites/lettre-economique-n-407-de-septembre-2020-plan-de-relance-francais-un-pari-audacieux-mais-risqu/)

Identifiez-vous pour afficher ou ajouter un commentaire

Autres pages consultées

Explorer les sujets