Quel impact du choc du prix de l’énergie sur l’industrie alimentaire ?
L’ampleur du choc énergétique sur l’industrie alimentaire française reste encore difficile à mesurer, malgré des premiers signes très inquiétants quant au potentiel de ralentissement, voire de déclin de la production. En plus de ces impacts à court-terme, l’industrie alimentaire pourrait aussi subir des conséquences de plus long terme quant à sa compétitivité et à sa capacité de réindustrialisation.
La facture énergétique sera d’une ampleur inédite au moment d’établir le bilan la période 2022-2023 pour les transformateurs alimentaires. Entre 2015 et 2019, la facture d’énergie pour le secteur alimentaire s’établissait en moyenne à 2,5 milliards d’euros par an, dont 35 % de ce montant est directement imputable aux achats de gaz et 55 % en achat d’électricité. La crise énergétique, déclenchée par le conflit entre la Russie et l’Ukraine, a occasionné une envolée du prix de gros de l’électricité et du gaz de l’ordre de +124 % à +170 % en cumul sur l’année 2022, sans compter le prix du pétrole devenu extrêmement volatile et dont les cours se sont accrus de plus de 40 % par rapport à l’année 2021.
Compte-tenu de ces données brutes, une telle évolution des prix aboutirait à une facture de plus de 5,6 milliards d’euros de consommation d’énergie en 2022 avec un surcoût de 3,2 milliards d’euros par rapport à la facture énergétique habituelle des industries agroalimentaires. Ce montant serait celui appliqué dès la fin de l’année en cours, au moment où la plupart des industriels renégocient leurs contrats d’énergie. Á noter que ce calcul ne tient pas compte des différentes stratégies d’amortissement de ce choc énergétique (couverture longue des contrats avec des prix fixes, aménagement des plannings de production, substitution avec d’autres énergies).
Sans des mesures de régulation du prix de l’énergie ou de soutiens importants de l’État pour les entreprises, et au regard des perspectives de prix attendu en 2023, la facture d’énergie pour les industries alimentaires pourraient atteindre plus de 13 milliards d’euros d’ici fin 2023, avec une ampleur d’autant plus considérables pour les filières les plus énergivores comme le sucre et les produits laitiers (graphique).
Graphique : Evaluation de la hausse de la facture d’énergie par filière des IAA
En plus de cette consommation directe d’énergie il nous faut tenir compte des consommations indirectes d’énergie, c’est-à-dire du contenu en énergie des produits étant achetés par la branche agroalimentaire tel que les produits agricoles, les matières premières industrielles (produits chimiques, emballages) ou des services de transport. Selon une étude réalisée par la Banque Postale[1], le contenu en intrants énergétiques de la branche alimentation serait de 2 % en contenus directs et d’environ 5 % au total en y ajoutant les consommations indirectes d’énergie.
Pour maintenir une rentabilité économique viable, la principale stratégie serait de transmettre en totalité ou pour partie ces hausses jusqu’au prix de vente des produits. Or, l’évolution du prix des produits dans le secteur alimentaire ne se répercute pas immédiatement, notamment sur le prix de vente au consommateur final dans la grande distribution. De plus, le degré de transmission des prix de l’amont à l’aval (pass-through) est très hétérogène selon les filières, et fortement dépendant du pouvoir de négociation des opérateurs économiques.
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Ainsi, la valeur ajoutée et les marges de l’industrie alimentaire risquent de considérablement se dégrader en 2022 et en 2023, alors que les industries alimentaires subissaient déjà une dégradation structurelle de leurs résultats économiques, notamment accentuées par la crise sanitaire de 2020 (Tableau). Rien que sur la période 2021-2022, le secteur afficherait une perte de 6 points de marge et de 4 milliards d’euros d’excédent brut d’exploitation (EBE) en moins par rapport aux deux dernières années, notamment du fait de la hausse du coût des consommations intermédiaires (y compris énergie).
Tableau : Comptes nationaux trimestriels de l’INSEE (Branche Industries agro-alimentaires)
A plus long terme, l’alourdissement de la facture énergétique posera un véritable problème de compétitivité pour l’industrie alimentaire française, tant par le déclin de sa compétitivité prix que par un défaut d’attractivité du secteur, faute de rentabilité[2]. Et pourtant, face à ce véritable risque de désindustrialisation, seule une politique de soutien de la demande continue de se faire jour, délaissant une offre et un tissu industriel en perdition malgré les intentions affichées par les pouvoirs publics.
[1] Maël Blanchet et Corentin Ponton, Chocs énergétique : des expositions très différentes entre secteurs, Rebond - La Banque Postale, 30 mars 2022
[2] Voir Patrick Artus, L’Union européenne va avoir pendant plusieurs années un problème de compétitivité industrielle, Flash Economie n°685, Natixis – Groupe BPCE, 30 septembre 2022
Contact : Quentin Mathieu
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