A l’heure de la mondialisation ou de la démondialisation agricole ?
Les impacts du conflit Russo-Ukrainien sont révélateurs des liens de dépendance entre les économies mondiales, et d’autant plus sur le secteur agricole et alimentaire. Cette guerre, réelle et économique, pourrait amener à une reconfiguration de la (dé)mondialisation, et redéfinir l’espace économique des acteurs comme les coopératives.
Depuis le déclenchement du conflit entre la Russie et l’Ukraine le 24 février 2022, l’agriculture et ses opérateurs économiques se retrouvent embarqués dans un vortex continu d’inflation, de ruptures et de recomposition des chaînes d’approvisionnement. Les grands équilibres alimentaires mondiaux apparaissent bouleversés, tant le poids de l’Ukraine et de la Russie, à l’issue d’un processus de redéploiement de leurs appareils de production agricole opéré depuis le début des années 2000, est devenu primordial dans les marchés mondiaux.
Marchés et logistique en état de fragilité
Rappelons que si les deux pays ne représentent « que » de 8 % à 9 % de la production mondiale de grains (en comptant notamment le riz), Russie et Ukraine occupent un espace bien plus conséquent sur le volet des exportations : 30 % des exportations mondiales de blé sont d’origine ukrainienne et russe, 20 % pour le maïs ukrainien, 85 % concernant l’huile et les tourteaux de tournesol du pays. La guerre sur le sol ukrainien, d’autant plus concentrée dans les territoire céréaliers et sur ses infrastructures portuaires, est donc venue affaiblir un équilibre alimentaire mondial déjà fragilisé sur ces dernières campagnes.
Notons en premier lieu la dégradation du ratio stock/consommation mondiale de grains depuis la campagne 2016/2017, passant de 30 % à environ 27 % prévue pour la campagne 2021/2022. Une contraction des disponibilités qui provoque irrémédiablement un choc de prix bien plus conséquent sur les marchés, nous renvoyant ainsi à l’ancienne (et pourtant toujours actuelle) loi de King-Davenant (1696) sur l’extrême élasticité des prix agricoles par rapport à l’offre. La fermeture du marché ukrainien représente donc une rupture sans précédent sur ce marché mondial des céréales, avec des niveaux d’inflation jamais observée depuis les deux grands chocs pétroliers des années 1970.
En second lieu, ce conflit a également mis en valeur l’importance de la logistique dans le bon fonctionnement des chaînes de valeur. On observe aujourd’hui à quel point un grippage dans les nœuds logistiques stratégiques nous exposent à des fragilités jusqu’ici mis sous le tapis de la mondialisation : pénurie de matières premières et d’intrants, délocalisation de certains segments de nos chaînes de production, dépendance à des matières énergétiques et chimiques importées.
Premières conséquences sur les coopératives françaises
Pour nos coopératives agricoles, les enjeux de ce conflit sont donc multiples. Certains groupes importants, principalement orientés sur l’activité semencière et céréalière, sont implantés sur le territoire ukrainien avec un volume d’affaire conséquent, évalué à près de 1 milliard d’euros sur l’exercice 2021 (voir carte). Les pertes liées au conflit (destruction des stocks et d’actifs matériels, dévaluation des actifs liquidés, pertes humaines) auront un impact conséquent sur les résultats économiques et la vision stratégique de ces groupes. Se posera alors la question de maintenir une activité sur ce territoire, et dans une plus large mesure d’envisager une réimplantation plus locale de l’activité ou au contraire de rechercher de nouveaux marchés, avec une attention renforcée sur l’évaluation du risque, aussi bien économique que politique.
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Si l’Ukraine représente un risque important en matière de chiffre d’affaires pour l’activité du secteur coopératif, la Russie l’est tout autant d’un point de vue de fournisseur, et plus spécifiquement sur les engrais. La Russie dispose d’un pouvoir de marché conséquent sur ce secteur : de 15 % à 20 % des exportations mondiales d’ammoniac, de phosphate et de potasse, et jusqu’à 45 % des exportations de nitrate d’ammonium, sont d’origine russes. Au regard des menaces de restrictions aux exportations de Moscou et des sanctions déjà prises par l’Union européenne (limitation des volumes d’importation d’engrais russes, déconnexion du système SWIFT d’entreprises russes), de profondes difficultés sont à venir sur les livraisons à venir pour la campagne 2023.
Rajoutons à cela l’activité sur le territoire russe, où des coopératives françaises (semences, céréales et abattages) dégagent un volume de chiffre d’affaires évalués à 200 millions d’euros et où les menaces de contre-sanctions russes (nationalisation d’entreprises occidentales, contrôle de l’activité) pourraient significativement impacter leurs résultats.
Repenser l’autonomie… et la guerre économique
C’est donc aussi un enjeu plus large de politique publique, avec en particulier un axe lié à la réindustrialisation de notre appareil de production agricole et alimentaire, qui est à l’œuvre et qui devrait redéfinir la géoéconomie mondiale agricole. Le Brexit, le conflit commercial entre la Chine et les Etats-Unis, et la pandémie de la COVID-19 avaient déjà considérablement démontré ces fragilités liées à l’exposition aux chaînes de valeur internationales ces dernières années.
Si le but n’est pas de revenir à un état davantage autarcique, le besoin de repositionner une stratégie de souveraineté, voire d’autonomie économique, doit être couplée avec celle de l’intelligence économique, en nouant des relations durables avec des partenaires économiques fiables sur des secteurs clés. De cette guerre bien réelle a découlé une guerre économique, que les entreprises comme les États vont devoir s’approprier les contours. Ainsi donc se poursuivra la trajectoire de la mondialisation… ou de la démondialisation.
Auteur : Quentin Mathieu
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FMVA, CFA Level 1 Candidate & Project Management Professional, Prince2, MSP certified, PMI-ACP. Fren
2 ansLes économies respectives notamment les plus impactées vont devoirs repenser leur dépendances agricoles et énergétiques puis surtout ressusciter le concept de relocalisation vs globalisation.