Des marchés financiers particulièrement résilients

Des marchés financiers particulièrement résilients

Après une fin de mois de janvier perturbée par un regain de volatilité, les marchés actions ont continué de se montrer particulièrement résilients. Les publications des résultats annuels ont été dans l’ensemble de bonne facture et le consensus a revu à la hausse ses prévisions de bénéfices. Les risques marchés identifiés concernent des anticipations trop optimistes sur la reprise économique et une résurgence de l’inflation avec une remontée des taux longs. Lors de notre dernière préconisation nous mettions en avant le risque inflationniste qui selon nous pouvait entrainer de la volatilité sur les principales places financières. C’est précisément ce qui s’est passé au début du mois de mars, nous reviendrons plus tard sur cet épisode. Sur le premier trimestre 2021, les performances au sein des indices sont disparates et la rotation des valeurs de « croissance » au profit des « value » s’est amplifiée. Le discours accommodant des Banques Centrales, les bonnes nouvelles sur les vaccins et les signaux positifs sur l’accélération de la reprise nous incitent à garder notre préférence pour les marchés actions.

Nous restons toutefois prudents et sélectifs. Nous gardons un biais Europe dans nos portefeuilles et réduisons la pondération des émergents qui pourraient être pénalisés en cas de remontée des taux longs. Nous réduisons également certaines positions dans la poche obligataire avec un couple rendement risque qui selon nous devient moins attrayant qu’il ne l’était auparavant. Depuis le début de l’année, en monnaie locale, le S&P progresse de 9%, le Stoxx 600 de 9,5% et le MSCI World de 7% (en dollar).

Le paysage économique s’éclaircit…

Le monde entier fait face à une crise sanitaire sans précédent avec des répercutions économiques considérables. La pandémie de la Covid-19 a touché 127 millions de personnes avec 2,8 millions de décès enregistrés à ce jour. Les Etats-Unis et le Brésil restent les pays les plus touchés. Il est évident que la maitrise de la pandémie et les politiques de vaccinations sont les enjeux majeurs pour un retour « rapide » à la période d’avant crise, scénario plébiscité par les investisseurs.

Aujourd’hui la croissance repart c’est un fait. Les statistiques économiques montrent que les économies mondiales ont fait preuve d’une meilleure résilience à la suite des récentes mesures de confinement. Les plans de relance budgétaire et les politiques monétaires accommodantes des Banques Centrales soutiennent la reprise. Il est indéniable que le plan de 1900 milliards de dollars de Joe Biden (avec une partie directement versée dans la poche des ménages, l’« hélicoptère monnaie ») aura un impact considérable à la fois sur la consommation et la croissance américaine mais aura également un effet induit sur l’économie mondiale. Dans ce contexte, l'OCDE a fortement révisé à la hausse ses prévisions de croissance du PIB mondial (et table désormais sur 5,6% en 2021, 4% en 2022) mettant en avant un redémarrage progressif des moteurs de l’économie. Néanmoins certains indicateurs comme l’inflation sont scrutés de près par les investisseurs dont certains s’inquiètent d’une potentielle surchauffe de l’économie.

… mais les anticipations d’inflation et la remontée des taux longs pourraient noircir le tableau

Au-delà de la hausse des anticipations d’inflation (fruit d’une potentielle surchauffe de l’économie issue de l’accroissement des déficits et, dans une moindre mesure, de problèmes d’approvisionnements dans certaines chaines de production), les taux réels se sont tendus avec une augmentation de la prime de risque. Le 25 février dernier, le taux américain 10 ans a pris 25 points de base en intraday. Selon la FED, cette hausse reflète de meilleurs fondamentaux économiques. Si une augmentation des prix pourrait conduire à de nouvelles pressions sur le loyer de l’argent, le scénario d’une remontée incontrôlée de l'inflation et des taux d'intérêts nous semble peu envisageable. La récente publication de l'inflation américaine sur février (+0,4% sur un mois, en ligne avec les attentes du marché) abonde dans ce sens… Toutefois si les investisseurs, en dépit des discours accommodants des banquiers centraux, venaient à anticiper un durcissement précoce des conditions de financement (via les taux directeurs), les marchés devraient corriger. De ce fait, il conviendra d’être particulièrement attentif aux prochaines publications de l’inflation, principal écueil selon nous sur la revalorisation des actifs risqués.

La rotation sectorielle s’accélère

Depuis les annonces sur les vaccins en novembre, nous observons un arbitrage des valeurs dites de croissance au profit des valeurs « value » (qui accusent un retard de valorisation). Plus sensibles au cycle économique, ces valeurs bénéficient de la forte reprise escomptée par les investisseurs. Par ailleurs la remontée des taux long est venue amplifier cet arbitrage. En effet, les valeurs de croissance (dont les valeurs technologiques) intègrent dans leur cours une forte croissance des bénéfices et sont donc plus sensibles à une hausse du taux d’actualisation (qui réduit mécaniquement, toute chose égale par ailleurs leur valorisation). En conséquence, des secteurs qui ont été particulièrement malmenés en 2020 sont revenus au-devant de la scène. Nous pouvons citer dans le trio de tête en termes de performance depuis le début de l’année l’automobile, les valeurs bancaires et matières premières. En revanche, le secteur de l’immobilier, des utilities (biens et services aux collectivités) et de la santé affichent les plus fortes baisses. Si des signaux positifs venaient confirmer la forte reprise économique attendue par les marchés, la rotation sectorielle devrait théoriquement se poursuivre. Depuis le début de l’année l’indice MSCI Value progresse de 10,5% contre 4,8% pour le MSCI Growth.

Petit coup de grisou sur les marchés émergents

Le plan de sauvetage américain va d’avantage creuser le déficit budgétaire et il n’est pas à exclure une pression à terme sur le dollar, notamment si l’inflation venait à accélérer. Ceci serait potentiellement une bonne nouvelle pour les marchés émergents car leur coût de financement diminuerait. Néanmoins force est de constater que la remontée des taux longs américains et les craintes du « taper tantrum » (ralentissement des achats de bons du Trésor et d’actifs de la FED) a augmenté la prime de risque pour les actifs émergents. On se rappelle la fuite massive des capitaux en 2013 des émergents vers les Etats-Unis et l’Europe lorsque la FED avait décidé de réduire la taille de son bilan. Ainsi l’indice MSCI Emerging Markets a perdu 10% de ses plus hauts atteint le 17 février pour être quasi stable depuis le début de l’année. Voilà une dégradation marquée de l’appétit des investisseurs pour cette thématique comparé au début d’année en fanfare. 

Pour réagir face à une probable pression inflationniste, certains pays émergents comme le Brésil, la Russie et la Turquie ont augmenté leur taux directeurs. Toutefois, leur marge de manœuvre est limitée et le rehaussement du loyer de l’argent pourrait freiner la reprise économique dans ces régions même si, à moyen terme, le potentiel de croissance reste intact pour autant que la FED continue d’appliquer une politique monétaire accommodante. Il conviendra également de scruter de près les campagnes de vaccination qui, de toute évidence, sont à deux vitesses comparées aux pays développés.   

Concernant la Chine, nul doute qu’elle a mieux géré la crise que les pays développés et s’est même renforcée dans tous les domaines. Les indicateurs sont là pour confirmer le net rebond économique bien qu’il faille prendre en compte les effets de base favorables (confinement au 1er trimestre 2020). Par ailleurs, les mesures titanesques de relance aux Etats-Unis se répercuteront sur la vigueur des exportations chinoises et la consommation intérieure (actuellement en difficulté) prendra le pas sur la production industrielle.

Si la Chine est un des rares pays à avoir retrouvé un rythme de croisière, tout laisse alors à penser qu’elle sera encore plus forte quand le reste du monde s’éveillera… Alors comment expliquer la baisse de 13% de l’indice CSI 300 depuis son pic atteint le 10 février ? Probablement une consolidation du marché après des hausses spectaculaires de 35% en 2019 et près de 30% en 2020 grâce en partie aux investisseurs internationaux qui étaient en quête de croissance. Aujourd’hui, en rythme trimestriel, la progression est plus élevée aux Etats-Unis et en Europe. Nous assistons donc probablement à une prise de bénéfices de la part des investisseurs pour arbitrer l’ajustement cyclique dans ces zones. Par ailleurs, la politique monétaire en Chine est devenue moins accommodante avec également un resserrement au niveau des crédits afin d’éviter une surchauffe de l’économie voire des surcapacités de production. Cela étant, les perspectives à terme restent intactes et il est primordial d’être investi sur la Chine pour anticiper le retour progressif à la normal d’autant que les actifs sont bon marché et intègrent une prime de risque non des moindres par rapport aux pays développés (le CSI 300 se paye 13,7x les bénéfices 2021 contre 19,5% pour le Stoxx 600 et 23,4% pour le S&P 500).

Comment adapter nos portefeuilles au contexte actuel ?

Les indicateurs l’attestent, les Etats-Unis ont impressionné, à la fois par la rapidité et la qualité de leur reprise économique. Pour les mois à venir, nous pensons que les devises émergentes pourraient être sous pression, impactées par une remontée des taux longs américains et un billet vert recherché par les investisseurs. Nous avons la conviction que la Chine sortira renforcée de cette crise et qu’elle bénéficiera pleinement d’un retour progressif à la normale (le déficit commercial abyssal des Etats-Unis en février est un signe). Néanmoins, une partie des bonnes nouvelles semblant intégrée par le marché, nous recommandons de prendre quelques profits.

Si l’économie en zone Euro a finalement bien résisté aux derniers confinements, il n’en demeure pas moins que la réouverture de son économie sera décalée et plus lente que prévue. Néanmoins le rattrapage aura bel et bien lieu et nous avons la conviction que le différentiel de croissance avec les Etats-Unis peut se réduire. Dans ce contexte il nous semble opportun d’être surpondéré en actions européennes. Nous gardons notre sensibilité cyclique (achat de fonds de petites capitalisations boursières) tout en rééquilibrant nos portefeuilles via le fonds Oddo BHF Algo Min Var (composé majoritairement de valeurs défensives). 

Khemais Jelidi, CIPM

Investment Analyst

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