Des politiques minuscules : la Vème au crépuscule ?
Ce n’est pas céder à l’emphase que de l’écrire ainsi : la censure du gouvernement de Michel Barnier précipite la France dans la crise politique la plus grave depuis l’effondrement de la IVème République. Jusqu’alors, la mécanique institutionnelle hybride de la Vème avait évité l’ingouvernabilité. Tel était l’effet de cette « collaboration des pouvoirs » que Michel Debré avait décrite en ces termes lorsqu’il présenta la nouvelle Constitution en 1958 devant le Conseil d’État : « un chef de l'État et un Parlement séparés, encadrant un Gouvernement issu du premier et responsable devant le second, entre eux un partage des attributions donnant à chacun une semblable importance dans la marche de l'État et assurant les moyens de résoudre les conflits qui sont, dans tout système démocratique, la rançon de la liberté ».
Au fil des décennies, cette collaboration a fonctionné cahin-caha. Même si le jeu politique produisait parfois des gouvernements faibles, voire hasardeux, il ne leur était pas interdit de gouverner à peine quelques semaines après leur nomination. Le double rendez-vous électoral, celui de la présidentielle et des législatives, avait encore cette vertu minimale de répondre clairement à la question du « qui » en désignant durablement les responsables du pouvoir gouvernemental.
Le choc de 2022/2024 a déréglé cette mécanique : depuis la dernière élection présidentielle, les élections législatives qui l’ont suivie et plus encore celles qui ont été provoquées par la dissolution, les pouvoirs se trouvent empêchés d’exercer réellement le pouvoir. La chute du gouvernement Barnier est le résultat de ce dérèglement résultant, non seulement de la composition de l’Élysée et de l’Assemblée nationale, mais surtout de l’implosion de cette dernière. Nolens volens, c’est-à-dire sans nécessairement le vouloir ou s’en rendre compte lorsqu’ils ont voté dans les 577 circonscriptions, les citoyens-électeurs ont collectivement choisi cette configuration erratique qui exclut de « résoudre les conflits » et aboutit à paralyser « la marche de l’État ».
Mais ce n’est évidemment pas le suffrage universel, tel qu’il s’est exprimé, qui est lui-même la cause première d’un tel naufrage. Pour que celui-ci advienne, il a fallu une conjuration de personnalités cyniques qui sont la honte de notre comédie politique.
On croirait que Nietzche avait vu venir, à distance, la plupart des prétendants à l’élection présidentielle, tant ces lignes d’Ainsi parlait Zarathoustra font écho à notre triste époque : « voyez les grimper, ces singes agiles ! Ils grimpent les uns sur les autres et se font crouler mutuellement dans la fange et dans l’abîme. Tous veulent accéder au trône ; c’est leur folie ; comme si le bonheur était sur le trône. »
Tous sont obnubilés par l’élection présidentielle de 2027. Rares sont ceux à ne pas être indifférents aux malheurs de la France de 2024 : ils n’ont en rien cherché à construire une solution politique, même provisoire, qui éviterait d’aggraver les tourments subis par les Français. Pire : certains d’entre eux sont désormais obsédés par leur envie quasiment putschiste de pousser le chef de l’État vers la sortie, pour que la présidentielle puisse être anticipée dès 2025. C’est pourquoi, contre l’intérêt national, ils ont fait le choix de la terre brûlée. En ne cessant de tirer sur Michel Barnier jusqu’à le renverser, ils n’ont laissé aucune chance à un homme de bonne volonté s’efforçant, à Matignon, de faire de son mieux pour servir les Français.
Ces assauts sont d’abord venus, sans surprise, d’une gauche mélenchonisée qui a depuis longtemps perdu tout sens de l’État. Quant à Marine Le Pen, elle démontre qu’elle ne l’a jamais acquis. « Lorsqu’on a la responsabilité de gouverner un peuple, on n’a pas le droit de le précipiter dans l’inconnu sous prétexte que c’est amusant de détruire », écrivait le président Pompidou dans Le Nœud gordien. Parce qu’elle a encore le comportement de forban qui était celui de son père, l’héritière du Front national n’a pas hésité à se coaliser avec la pire extrême-gauche. En jouant ainsi les Attila, elle prouve son inaptitude à exercer la responsabilité de l’État. Sa prétendue respectabilité n’était qu’un masque : emportée par ses rêves de puissance ou, plutôt, dominée par l’hubris de la nuisance, elle espère prospérer sur les ruines d’un paysage politique qu’elle aura elle-même grandement contribué à saccager.
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Dans ce désastre, les motifs d’espérer sont rares.
Les ressorts de la Vème République, d’abord, ne sont pas tous épuisés. A court terme, le nouveau gouvernement que nommera le président de la République sera certes précaire, mais il trouvera dans la Constitution quelques instruments (loi spéciale autorisant la perception des impôts, décrets ouvrant les crédits se rapportant aux services votés) permettant d’assurer, au plan budgétaire, la continuité minimale de l’État. La censure affaiblit la France dans la tempête financière qui s’annonce, mais nous ne sommes pas totalement désarmés pour y faire face. Et à moyen terme, par le référendum ou par de nouvelles élections prévues par la Constitution, l’arbitrage du peuple français pourra, à nouveau, être sollicité. Encore faut-il s’y préparer sérieusement, en organisant intelligemment et activement l’offre politique de la droite républicaine et du centre, pour ne pas abandonner la France aux forces de la destruction.
J’en viens au second motif d’espérance : quelques personnalités ont réussi à prouver, ces dernières semaines, leur capacité à gouverner vraiment, c’est-à-dire à diriger l’action de l’État en étant au service de la France. Bruno Retailleau en est le meilleur exemple. A la tête de la Place Beauvau, il a su rompre avec la veulerie bureaucratique et renouer avec la puissance publique, en tenant une ligne claire, sérieuse et courageuse, approuvée par une large majorité nationale.
Ce chemin, interrompu provisoirement par cette médiocre censure, reste celui dont la France a le plus grand besoin. Car si elle n’est pas habitée que par des politiques minuscules, la Vème République n’est pas encore au crépuscule. La France se relèvera.
Art Journaliste independante
2 sem.J’adore la référence a Nietzsche et aux singes.....il faudra du cran pour reprendre la situation en main....
Senior Trade Expert chez Cassidy Levy Kent
2 sem.Bonne analyse. La référence a Nietzsche est très bien choisie et décrit merveilleusement la situation. L’absence de sens de l’Etat est renversante et la référence putschiste me semble justifiée. Maintenant, pourra-t-on dans ces circonstances garder nos institutions qui semblent avoir atteint leurs limites dans le monde d’aujourd’hui, pas de 1958?
ancien député européen (2005-2014) - consultant en affaires publiques et privées
2 sem.Excellent
Délégué général des UIMM de l'Yonne et de la Nièvre. Délégué général du MEDEF de l'YONNE.
2 sem.Le personnel politique nous montre aujourd’hui hélas à quel point il est indigne de l’héritage qu’il a la charge de porter ! C’est bien triste et pour tout dire affligeant ! Enfin, ceci n’engage que moi…
Directeur Centre de Recherche chez Institut Curie
2 sem.J’adore