Droit au déréférencement : confirmation par le Conseil d’Etat d’une portée mondiale « au cas par cas »
Le Conseil d’État dans sa décision du 27 mars 2020 a précisé la portée géographique du droit au déréférencement.
Le droit au déréférencement permet à toute personne de demander à un moteur de recherche de supprimer certains résultats qui apparaissent à partir d’une requête faite sur ses nom et prénom. Cette suppression ne signifie pas l’effacement de l’information sur le site internet source.
En 2016, la CNIL avait prononcé une sanction pécuniaire publique à l’encontre de la société Google qui ne s’était pas conformée à une mise en demeure de sa Présidente, de rendre effectif le déréférencement sur l’ensemble des versions nationales de son moteur de recherche Google Search. Pour la CNIL, lorsqu’il était fait droit à la demande d’une personne, seul un déréférencement mondial était de nature à permettre une protection effective des droits des personnes.
La société Google avait alors saisi le Conseil d’État au motif que les mesures adoptées depuis mars 2016 étaient suffisantes, à savoir un mécanisme de redirection automatique vers la version nationale du site utilisé par l’internaute et un blocage de l’accès à un contenu déréférencé, à tout internaute identifié comme localisé sur ce territoire.
Le Conseil d’État tranche donc définitivement ce contentieux en tirant les conséquences de la décision rendue par la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) dans son arrêt du 24 septembre 2019 (CJUE 24 sept. 2019, aff. C-136-17, GC, AF, BH, ED contre Commission nationale de l’informatique et des libertés, RLDI 2019/163, n°5580, obs. Costes L.).
S’il annule la sanction de la CNIL, il précise ses marges de manœuvre pour protéger efficacement les personnes.
La CJUE avait apporté des précisions sur la portée territoriale à donner à un déréférencement prononcé sur le fondement du droit de l’Union.
Elle avait ainsi limité en principe le déréférencement au territoire européen, tout en exigeant de ce dernier qu’il soit effectif sur ce territoire (au besoin, au moyen de mesures techniques visant à empêcher, ou à décourager des internautes européens d’accéder aux liens déréférencés).
Elle avait précisé qu’il appartient à la juridiction nationale (en l'occurrence le Conseil d’Etat) d’apprécier l’effectivité des mesures prises par l’exploitant du moteur de recherche.
Elle avait reconnu la compétence d’une autorité de contrôle ou judiciaire, à l’aune de ses standards nationaux de protection des droits fondamentaux, pour obliger, au cas par cas (et non de manière systématique comme la CNIL l’avait envisagé) un moteur de recherche à déréférencer les résultats sur toutes les versions de son moteur si cela se justifiait par une mise en balance entre protection de la vie privée du demandeur, d’une part, et droit à la liberté d’information, d’autre part.
Le Conseil d’État a en conséquence appliqué cette règle au contentieux qui opposait la société Google à la CNIL.
Ainsi il rappelle que le manquement reproché à la société Google doit être jugé selon les dispositions de la loi du 6 janvier 1978 modifiée transposant la directive du 24 octobre 1995, la sanction de la CNIL datant de 2016.
Il rappelle également le principe du déréférencement européen (avant l’intervention de la CNIL, le déréférencement était limité au pays du demandeur).
Il prend enfin acte que le législateur français n’a pas adopté de dispositions spéciales permettant, en France, à la CNIL d’opérer un déréférencement excédant le champ prévu par le droit de l’Union. En l’absence d’intervention du législateur, elle ne peut dès lors qu’ordonner un déréférencement européen.
Faisant application de cette grille d’analyse à la sanction prononcée en 2016, le Conseil d’État n’a pu que constater que la décision de la CNIL, en ordonnant un déréférencement mondial, au lieu d’un déréférencement européen, était contraire aux règles précisées par la CJUE. Et de prononcer l’annulation de cette sanction (CE 27 mars 2020, n° 399922, Google Inc.)
Observations
La CNIL a précisé qu’elle adaptera dans les prochains jours les contenus de son site consacrés au « droit à l’oubli » pour tenir compte des précisions données par le Conseil d’État sur ce droit essentiel consacré au profit des personnes par le RGPD.
CE 27 mars 2020, n° 399922, Goole Inc.
Avocat Privacy IP/IT - docteur en droit - Mention spéciale prix CNIL 2009 - Enseignant - Formateur déclaré
4 ansC'est une bonne décision, si on ne souhaite pas que d'autres systèmes juridiques censurent internet au nom de leurs valeurs, ne leur imposons pas la censure au nom des notres