Du leadership au leader cheap, il n'y a qu'un pas
Bon ok....commençons par une petite histoire. Dans les années 1950, le peuple Dayak de Bornéo souffrait d’une épidémie de paludisme et dut appeler l’OMS à son secours. Cette dernière avait une solution toute prête : pulvériser copieusement un pesticide tout autour de l’île. Les moustiques porteurs du paludisme furent anéantis et avec eux le paludisme.
Mais quelques semaines après, Dayouka, cheffe des Dayaks, rappela l’OMS (oui, je prends des libertés pour le drama de l’histoire) pour les informer que les toits des maisons commençaient à s’effondrer sur leurs têtes. Le pesticide n’avait pas seulement détruit les moustiques porteurs du paludisme mais également une espèce de guêpes parasites qui assuraient le contrôle d’une population de chenilles, qui elles-mêmes se nourrissaient de chaume des toits des maisons. Sans les guêpes, les chenilles se multiplièrent et parvinrent jusqu’aux toits des villageois. En plus, le pesticide affecta de nombreux autres insectes de l’île dont se nourrissaient les geckos. Les chats mangeaient les geckos et mouraient à cause du pesticide. Comme les chats n’étaient plus là, les rats dansaient, et nous savons tous ce qui arrive quand les rats se multiplient. Très vite, le peuple Dayak appela à nouveau l’OMS. Cette fois-ci, ce n’était pas pour se plaindre du paludisme ou des toits mais de la peste et de la destruction des stocks de grain causée par la surpopulation de rats. La suite de l’histoire semble irréelle : l’OMS décida de parachuter des chats sur Bornéo….
Mais Elias ! Quel est, diable, le lien entre ton histoire et le leadership ? (Calmez-vous, j’y arrive).
L’être humain est un être irrationnel. Je ne vous apprends rien mais au quotidien, incalculable est le nombre de décisions illogiques que nous prenons. Basées sur des perceptions, des interprétations et des compréhensions fausses ou partiellement justes du monde qui nous entoure, ces décisions peuvent parfois mener à des conséquences graves. L'histoire du chat de Bornéo et celle du Concorde en sont des exemples. Le sentiment d’urgence fait notamment partie des facteurs influençant le plus nos décisions. Il est d’ailleurs selon moi l’un des plus dangereux et dévastateurs après celui de la peur.
Souvenez-vous pendant les premières vagues de la pandémie. Combien de fois avez-vous trouvé que les décisions prises étaient absurdes et illogiques ? Le masque à l’extérieur, des chèques pour les vaccinés, la fermeture des frontières…..etc. À chaque fois que le nombre de contaminations augmentait, les dirigeants étaient victimes de ce sentiment d’urgence qui leur donnait l’impression de devoir absolument faire quelque chose au lieu d’accepter et d’admettre que parfois, on n’a simplement pas de solutions. (Attention, je ne prétends absolument pas que j’aurais fait mieux).
Ces faux pas, commis sous l’influence du sentiment d’urgence, ne sont pas propres aux conseillers fédéraux et aux dirigeants. Nous y sommes tous soumis mais pour certains parmi nous, les conséquences sont plus importantes. Notamment sur les relations humaines. Plus notre statut et notre influence sur la vie des autres sont élevés, plus nos décisions ont un impact sur la perception et l'estime que nous avons chez les personnes qui nous entourent.
Le leadership est un processus d’influence social d’une personne sur d’autres. Ce processus, fruit de comportements et de caractéristiques, est à la fois difficile à bâtir et en même temps si fragile. La confiance, l’empathie, la responsabilisation, la transmission d’une vision, l’écoute, la protection, l’exemplarité et la création de sens sont parmi les piliers du leadership. Être un leader consiste parfois à travailler sur la mise en place de ces piliers pendant des années pour atteindre des résultats. Mais… il suffit d’une seule mauvaise décision, un seul comportement inadéquat, un seul geste inapproprié, un seul mot pour détruire ce processus d’influence qu’est le leadership et revenir au point de départ.
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En situation de crise ou d’urgence, tout être humain est sujet à des mécanismes de pensée irrationnels. Les biais cognitifs qui influencent les prises de décision et les comportements humains interviennent et sont probablement encore plus accrus lorsqu'on se sent en danger. Le sentiment de perte de contrôle et la peur de l’incertitude pourraient pousser un leader à revoir inconsciemment sa posture et à adopter des comportements plus transactionnels avec les personnes qui l’entourent. Le retour ou l’apparition de contrôle, de manque de cofinance, de sur-implication dans les activités opérationnelles...etc., même étant rassurant pour le leader, provoquent cependant un résultat contre-productif causant des dégradations dans les relations et impactent le contrat psychologique et l’engagement construit parfois à travers des années. En somme, passer du leadership au leader cheap. Se montrer contrôlant, prendre une décision illogique ou encore se montrer fermé au dialogue sous la pression de la peur ou du sentiment d’urgence sera malheureusement souvent interprété comme un manque de confiance et de l’incompétence. Même si nous sommes tous conscient d'être faillibles, nous attendons du leader qu'il ne le soit jamais.
Dee Hock, ancien CEO des cartes VISA disait : Si vous voulez diriger, investissez 40% de votre temps à vous diriger vous-même.
Être un leader c’est avant tout faire preuve de self-leadership et savoir contrôler ses biais cognitifs, ses blocages et ses contradictions. Ne pas agir sur le coup de la colère, de la peur, du sentiment d’urgence. Prendre du recul, faire preuve d’humilité et accepter sa vulnérabilité face à la complexité du monde. Rester cohérent dans ces actes et son attitude en évitant d’émettre des messages contradictoires même en temps de crise.
L’empereur romain Marc-Aurèle est considéré comme l’un des plus grands dirigeants de l’histoire de l’humanité. L’ensemble des historiens s’accordent à affirmer qu’il était une personne au leadership remarquable. En examinant les citations que l’histoire a retenu de cet homme, on constate que très peu d’entre elles évoquent la manière de se comporter avec les autres. La plupart concernent ‘‘l'auto-régulation’’, l’introspection et la maitrise de soi. Vous aspirez à devenir un leader? Libérez-vous de vos peurs, ‘‘développez en vous l’indépendance avec bienveillance, simplicité et modestie’’.
Par ailleurs, si du leadership au leader cheap, il n'y a qu'un pas, ce dernier n'est nullement celui de l'erreur mais celui de l'entêtement dans l'erreur, de la non-remise en question. Être un leader c'est aussi admettre ses torts. En réalité, ce n'est pas grave d'être faillible et de commettre des maladresses du moment où on les reconnait et les corrige.
Elias Hedjaz
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OD Consultant and Researcher - Lecturer DEASS SUPSI - Master Coach PCC ICF
2 ansJ’ajoute volentier le leader sheep et le leader shit 😉
Responsable RH
2 ansBravo pour cet article Elias Hedjaz. Très inspirant
Fiscaliste - Comptable - Spécialiste pricing fonds et données titres - Spécialiste en gestion base de données
2 anssujet relativement complexe dont on pourrait parler longuement