Elections de mi-mandat aux Etats-Unis et camouflet diplomatique sur fond de realpolitik pétrolière
J’ai publié voici quelques mois un livre dans lequel je défends la thèse d’un choc des titans opposant principalement les deux géants politiques et économiques de ce monde : les Etats-Unis et la Chine. Dans ce livre, je me suis employé à montrer que d’autres puissances étatiques ne se cachent plus et osent désormais défier la puissance occidentale et celle des Etats-Unis en premier lieu. La guerre en Europe de l’Est illustre cette position : Vladimir Poutine a déclenché les hostilités pour montrer aux alliés occidentaux qu’il ne craignait personne et que la Russie devait être considérée comme une des puissances dominantes de ce monde. Le maître du Kremlin a vraisemblablement surestimé sa force mais il osé défier le monde occidental.
Dans quelques jours, deux événements majeurs se tiendront : le prochain du Congrès du parti communiste en Chine et les élections de mi-mandat aux Etats-Unis. On annonce que Xi Jinping n’aura pas la partie facile à Pékin car semble-t-il contesté par certains cadres du parti qui lui reprochent sa gestion de crise Covid ou son positionnement à l’international, notamment au regard du cas Taïwan. Mais c’est sans doute Joe Biden qui risque le plus gros aux Etats-Unis. Rien ne lui garantit de conserver un Congrès majoritairement démocrate. Le numéro un américain se retrouve fortement contesté. On le dit affaibli. Il ne dégage pas l’assurance que l’on attend d’un chef d’Etat. D’ailleurs, il peine à se faire entendre par certains acteurs étatiques.
Ma pensée se tourne vers l’Arabie saoudite. Le royaume wahhabite demeure un allié traditionnel de Washington mais sans jouer sur les mots, il y a comme de l’eau dans le gaz entre ces deux grands producteurs d’hydrocarbures. Le Prince héritier saoudien ne porte manifestement pas le Président Biden dans son cœur, lui qui avait accepté la diplomatie proposée par Donald Trump de rapprocher Riyad d’Israël, opération concrétisée par la signature des accords d’Abraham en 2020, quelques semaines avant l’élection du candidat démocrate.
A l’époque des faits, les prix du pétrole demeuraient bas. Ils n’étaient pas les plus favorables pour l’économie saoudienne qui repose essentiellement sur les ventes d’or noir. Aux Etats-Unis, Donald Trump avait fait du pétrole à prix abordable un cheval de bataille. Ce fut un des principaux arguments de campagne pour les élections de mi-mandat de 2018 avant que ne survienne la catastrophe sanitaire Covid qui provoqua des remous inattendus. Avant la survenance de la pandémie, le fantasque magnat de l’immobilier avait misé sur une augmentation de la production américaine qui devait impacter le marché mondial avec une offre abondante tandis que les pétroles de schiste présentaient l’immense avantage d’avoir des coûts de production inférieurs à ceux des pétroles conventionnels. Le pari fut réussi.
Joe Biden s’était engagé à réintégrer son pays dans l’Accord sur le climat de Paris. A l’instar de Barack Obama, il prônait la nécessité de lutter contre le changement climatique et comptait réduire la production américaine de pétrole. Dans l’absolu, cette promesse électorale s’inscrivait pleinement dans une dynamique globale visant à décarboner progressivement l’économie mondiale. Toutefois, une question devait être soulevée : combien de pays disposaient un modèle économique reposant sur l’exploitation de leurs ressources pétrolières ? Pas mal, me direz-vous. En effet, je vous le confirme.
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La crise Covid et la guerre en Ukraine ont eu un impact certain sur l’envolée des prix du pétrole. Pendant plusieurs mois, les barils de référence en Europe et aux Etats-Unis (Brent et WTI) s’échangeaient au-delà de cent dollars américains, une aubaine pour les producteurs qui comptaient rattraper le temps perdu et la quasi-décennie de vaches maigres pour ceux qui avaient grandement souffert de la baisse des prix d’échange. L’Arabie saoudite faisait naturellement partie de ce club des nababs impactés.
Le 5 octobre, l’OPEP+ (cela réunit les membres du cartel OPEP et d’autres producteurs non-membres de l’organisation mais menés par la Russie) annonça une grande décision : un accord fut conclu en vue de réduire prochainement la production mondiale de pétrole de deux millions de barils.
En somme, en réduisant l’offre disponible, l’idée consiste à influencer les prix d’échange à la hausse. Cet accord repose sur une négociation notamment pilotée par Moscou et Riyad. A Washington (et en Europe), la nouvelle n’a pas été bien accueillie. Comment le royaume wahhabite avait-il pu oser se ranger à une telle vision et ainsi favoriser les intérêts du Kremlin en plein contexte de sanctions occidentales relatives aux exportations d’hydrocarbures russes ?
Au risque de me tromper, j’ai l’intime conviction que l’Arabie saoudite n’aurait jamais opté pour un tel choix stratégique si le Président des Etats-Unis se nommait Donald Trump. Le Prince héritier est le véritable homme fort du pays et il exprime à Joe Biden sa vision des choses : le royaume wahhabite ne se pliera à aucune exigence de Washington. Riyad défend ses intérêts économiques et stratégiques, quitte à contrarier ses alliés occidentaux. Le message est on ne peut plus clair : à défaut de s’émanciper, l’Arabie saoudite montre à sa manière, à l’instar d’autres pays (je pense, par exemple, au Burkina Faso en ce moment qui semble vouloir afficher une distanciation vis-à-vis de la France), que lorsque leurs intérêts l’exigent, ils ne suivront plus les recommandations des puissances politiques occidentales. Pour Joe Biden, cette décision de l’OPEP + arrive au plus mauvais moment. Ses adversaires républicains ne manqueront sans doute pas de rappeler ce camouflet diplomatique à l’approche des élections de mi-mandat.
Femme écrivain
2 ansCela me semble très à-propos dans la conjoncture actuelle !