En cas d’émeutes dans les quartiers chauds après le 11 Mai, quels sont les pouvoirs du Maire ?
Violences, tensions, émeutes dans les banlieues et dans les quartiers chauds : quels sont les pouvoirs du Maire ?
Le 18 avril dernier, un accident à Villeneuve-la-Garenne (Hauts-de-Seine) impliquant un motard et un véhicule de police a été l’objet de nombreuses attentions médiatiques. Le conducteur de la moto a été en effet grièvement blessé à la jambe après avoir heurté la porte ouverte d’une voiture de police.
Cet incident, qualifié par certains journalistes et militants de « violences policières », a été la source de « mouvements collectifs violents » dans certaines communes de ce département comme Nanterre, Villeneuve-la-Garenne, Aulnay ou encore Clichy-la-Garenne. Plusieurs véhicules de police ont été attaqués, du mobilier urbain et des véhicules privés ont été dégradés.
Ces événements sont révélateurs d’un climat particulier de tension sociale extrême qui résulte de multiples facteurs exacerbés par la mise en œuvre de mesures de confinement dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire.
La présente note, qui ne porte ni sur les aspects sociaux ou politiques de ce contexte mais se limite uniquement au domaine juridique, entend présenter les possibilités d’actions ouvertes aux maires afin de faire obstacle, ou de limiter le cas échéant, les phénomènes violents sur le territoire communal, notamment à partir du 11 mai prochain.
1°) En vertu de l’article L.2212-1 du code général des collectivités territoriales (CGCT) : « Le maire est chargé, sous le contrôle administratif du représentant de l'État dans le département, de la police municipale, de la police rurale et de l'exécution des actes de l'État qui y sont relatifs. »
Depuis la loi municipale du 5 avril 1884, le maire est chargé d’adopter certaines mesures de police municipale en matière de bon ordre, de la sûreté et de la salubrité publiques (article 97). Depuis lors, le code des communes puis sa recodification au sein du code général des collectivités territoriales n’ont pas modifié cette règle cardinale et seule la jurisprudence du Conseil d’État y a adjoint la sauvegarde de la dignité humaine (CE Ass., 27 octobre 1995, Commune de Morsang-sur-Orge).
L’article L.2212-2 du code actuel précise ainsi que relève de la police municipale la répression des « atteintes à la tranquillité publique, telles que les rixes et disputes accompagnées d'ameutement dans les rues, le tumulte excité dans les lieux d'assemblée publique, les attroupements, les bruits, les troubles de voisinage, les rassemblements nocturnes qui troublent le repos des habitants, et tous actes de nature à compromettre la tranquillité publique » ; cette rédaction est presque demeurée inchangée sur ce point (seules deux virgules ont été omises et la mention des « troubles de voisinage » y a été adjointe par le codificateur de 1996)
Ainsi, afin de prévenir toute atteinte à la tranquillité publique et un risque d’émeutes ou de tensions dans certains quartiers, le maire peut, par exemple, interdire une manifestation (CE, 14 janvier 1916, Camino), ou un spectacle (CE ord., 9 janvier 2014, n° 374508) sur le territoire de sa commune.
La finalité de la police administrative étant la prévention des atteintes à l’ordre public, l’autorité municipale peut adopter deux démarches complémentaires.
En premier lieu, il peut être recherché une prévention de long-terme comprenant des mesures de protection adaptée (vidéoprotection, réglementation permanente, personnel et équipements adaptés, etc.)
En second lieu, il peut être décidé des mesures d’urgence visant à prévenir la réitération d’actes contraires à l’ordre public qui viennent de se produire (difficultés de stationnement ou de circulation, instauration d’un couvre-feu :cf. CE, 9 juillet 2001, n°236.638 ; TA Cergy-Pontoise, 26 août 2019, n°19-10034/57) ou l’interdiction des manifestations et regroupements sur la voie publique.
2°) Cependant, le juge administratif est venu préciser le cadre de l’exercice des pouvoirs de police. Ainsi, en règle générale, les interdictions générales et absolues sont proscrites et les mesures de polices doivent être strictement nécessaires et proportionnées (CE, 19 mai 1933, Benjamin, nos 17413, 17520). Ces principes sont également appliqués par le juge judiciaire lorsque celui-ci statue sur l’action pénale.
Au niveau local, le juge administratif contrôle les mesures de police prises par le maire quant à leur durée (CE, n° 14260, 25 janvier 1980), leur amplitude géographique (CE, n° 361700, 14 août 2012) et leur contenu (CE, n° 360024, 11 juin 2012).
En outre, le maire ne peut aucunement prendre une mesure de police administrative générale qui contreviendrait à une mesure de police prise aux niveaux national ou départemental ; tout au plus il peut l’aggraver (CE, 18 avril 1902, Commune de Néris-les-Bains, n° 04749) si des circonstances locales particulières le justifient (CE, 18 décembre 1959, Société des films « Lutétia », nos 36385, 36428, cette jurisprudence a été rappelée très récemment dansCE, ord., 17 avril 2020, n° 440057, qui précise que les mesures prises au niveau local ne doivent pas compromettre la cohérence et l’efficacité des mesures prises par l’État).
De plus, il peut être justifié une dérogation aux règles de compétence en matière de police lorsqu’une situation d’extrême urgence est présente et justifie l’intervention immédiate de mesures conservatoires ou de prévention par une autorité de police qui serait en temps normalement incompétente. Cette règle initialement consacrée pour les maires (article L.2212-4 du code général des collectivités territoriales) est en réalité applicable en toute matière au profit de toute autorité ayant un pouvoir de police générale (cf. CE, 10 octobre 2005, n° 259205).
Pour autant, dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire lié à l’épidémie de Covid-19, le contrôle effectif du juge administratif est moins poussé du fait des restrictions quant à l’accès du prétoire. En effet, seules les audiences de référés d’urgence sont maintenues ce qui exclut donc tout contrôle au fond durant le maintien de la période d’état d’urgence sanitaire. Le contrôle au fond sera cependant rétabli à cet horizon suivant les voies de droit commun (recours pour excès de pouvoir, recours en responsabilité, etc.).
3°) Mais le moindre contrôle juridictionnel de la légalité des mesures de police ne fait pas obstacle à ce que le maire puisse user de ses pouvoirs de police administrative dans un but de prévention pro-active.
Ainsi, en matière de prévention de la délinquance, l’article L. 2211-1 du CGCT dispose que : « Le maire concourt à la politique de prévention de la délinquance dans les conditions prévues à la section 1 du chapitre II du titre III du livre Ier du code de la sécurité intérieure »
En effet, depuis la loi n° 2007-297 du 5 mars 2007, la prévention de la délinquance constitue l’un des buts en vue desquels le maire peut exercer ses pouvoirs de police. Le maire se voit en effet confier la mission de concourir à la politique de prévention de la délinquance ; il anime, sur le territoire de la commune, cette politique et en coordonne la mise en œuvre (article L. 132-4 du code de la sécurité intérieure). Pour exercer cette fonction d’animateur et de coordonnateur de la prévention de la délinquance, le maire se voit confier certains pouvoirs et moyens.
D’abord, la loi prévoit des modalités d’échanges d’informations. Le maire doit signaler sans délai au procureur de la République les crimes et les délits dont il a connaissance dans l’exercice de ses fonctions (article 40 du code de procédure pénale), il est alors avisé des suites données à ces infractions (article L. 132-2 du code de la sécurité intérieure) .
De la même façon, la loi prévoit que le maire doit être informé, sans délai, de l'ensemble des infractions causant un trouble à l'ordre public commises dans sa commune. L'information, fournie par le Procureur de la République, peut porter aussi, à la demande du maire, sur les suites judiciaires de l'infraction commise, dans le respect du secret prévu à l’article 11 du code de procédure pénale (article L. 132-3 du code de la sécurité intérieure).
Ceci lui permet d’avoir une connaissance fine des infractions commises et donc d’adapter au mieux les mesures de police administrative requises.
4°) En dehors de ces moyens, le maire s’est également vu reconnaître, par la loi de 2007, un pouvoir de rappel à l’ordre (article L.132-7 du code de la sécurité intérieure). En cas de faits susceptibles de porter atteinte au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité ou à la salubrité publique, le maire peut procéder verbalement à l'endroit de leur auteur, y compris un mineur, au rappel des dispositions qui s'imposent à celui-ci pour se conformer à l'ordre et à la tranquillité publics, le cas échéant en le convoquant en mairie.
Remarquons que la nature juridique de ce pouvoir de police du maire fait débat au sein de la doctrine, surtout en ce qu’il n’est pas sans conséquence pratique sur la détermination du juge compétent, notamment en cas de contentieux. En effet, le maire est à la fois une autorité de police administrative et de police judiciaire.
Ce « rappel à la loi » relève formellement de la police administrative (au regard de l’intitulé du chapitre II du titre troisième du code) et se trouve être juridiquement distinct de son homonyme régi par l’article 41-1 du code de procédure pénale. Dans la mesure où il ne donne lieu à l’adoption d’aucun acte administratif faisant grief les risques contentieux demeurent donc théoriques.
Enfin, la loi prévoit que le maire ou son représentant préside, dans les communes de plus de 10 000 habitants et dans celles comprenant un quartier prioritaire de la politique de la ville, un conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance (article L. 132-4, al. 2 du code de la sécurité intérieure). Ceci lui permet d’avoir une vision globale des enjeux sécuritaire sur sa commune y compris sur des thématiques qui échapperaient partiellement ou totalement à sa compétence.
Indépendamment de ces pouvoirs spécifiques d’information et de suivi, le maire peut, en tout état de cause, exercer ses pouvoirs de police administrative en vue de prévenir la délinquance sur le territoire de la commune.
Dans le contexte propre au Covid 2019, les maires devront agir suivant deux axes.
En premier lieu, il peut être adopté des dispositions propres à prévenir soit la propagation du virus, soit de prévenir les mouvements et actions de foule dans certaines zones. Ici s’agit là de prendre en compte exclusivement les circonstances locales et donc de pouvoir en justifier pour établir la proportionnalité des mesures prescrites qui peuvent aller jusqu’à l’instauration d’un couvre-feu (CE, 6 juin 2018 n° 410774 ; TA Nantes, n° 2004365, 24 avril 2020) suivant les critères classiques en la matière.
En second lieu, il pourra être adopté des mesures de très brève durée (24 heures renouvelable le plus souvent) en cas d’extrême urgence. Il peut ainsi être instauré un couvre-feu immédiat en cas d’émeute le temps du rétablissement de l’ordre, des restrictions à la libre circulation des personnes en cas de dégradations de biens (limitation des regroupements par exemple), etc.
Ces mesures de police ne peuvent toutefois être adoptées que dans le respect des compétences du représentant de l'État, des compétences d'action sociale confiées au département et des compétences des collectivités publiques, des établissements et des organismes intéressés (article L.132-4 et L.132-6 du code de la sécurité intérieure) et de la complémentarité des actes.
Rémi-Pierre DRAI
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