Entreprise Du Futur : Fin du paternalisme, vers des entreprises maternantes ?

Emmanuelle Duez, marraine de l'édition 2018 d'Entreprise Du Futur, nous surprend avec un plateau improbable lors de la dernière table ronde du congrès :

Cynthia Fleury (philosophe, chercheur, psychiatre et professeur), Albert Moukheiber (Chercheur en neurosciences cognitives et psychologue), Marc-Antoine de Saint Germain (Commandant du porte-avions Charles de Gaulle de la Marine Nationale).

Le vrai sujet de cette table ronde sera de nouveau l'humain, l'humain dans l'entreprise, dans la société et les injonctions contradictoires qui peuvent mener au burn-out des employés.

Emmanuelle Duez reprend les mots de Françoise Héritier pour nous dire qu'il faut retrouver un équilibre entre masculin et féminin, faire un retour aux fondamentaux de chacun : reconnaissance, confiance, autonomie. La porosité vie pro/vie perso fait que l'entreprise est au coeur de la vie de chacun, tout le temps, qu'on le veuille ou non (notamment avec nos smartphones qui font que nous sommes tout le temps connecté à l'actualité, aux mails, à l'agenda ...). C'est une particularité assez française dont la table va parler aussi c'est le fait que l'émotion n'a pas sa place dans l'entreprise. Il est donc temps de sortir des grilles actuelles pour le monde de demain, et les invités ont des informations étonnantes à nous donner.

Commençons par Cynthia Fleury :

D'après elle, la première règle d'une entreprise est : éviter d'empiler les règles ! En effet, qu'est ce que le paternalisme ? C'est une entreprise dans laquelle le chef a le rôle du père et il retire toute autonomie à l'employé qui est infantilisé, toute sa vie d'employé est réglée précisément avec énormément de process qui rythment sa journée, voire sa vie d'employé. Cynthia Fleury cite Pierre Bourdieu et son livre " la domination masculine " pour nous rappeler qu'il y a une valence différentielle des sexes, une dévalorisation de le femme depuis toujours à tous les niveaux. L'entreprise est un laboratoire de notre vie, il y a donc un enjeu majeur à remettre une attention particulière de la femme et de l'homme dans l'entreprise qui a un rôle important sociétal sur ces sujets. Il faut faire attention à ce management qui rend malade, ces injonctions contradictoires dont nous parlions au départ : on parle de reconnaissance mais il y a une précarité dans les salaires, et peu de reconnaissance voire même simplement de connaissance de l'autre dans les entreprises. Il faut donc faire preuve de courage, le réinventer ( Livre à découvrir : La fin du courage) car le stress est contreproductif en entreprise, à tous les niveaux. Cynthia Fleury nous rappelle également un fait simple et logique : l'éducation des enfants. Elle a beaucoup changé en quelques années, le management familial implique un nouveau management dans l'entreprise. La nouvelle génération, une génération qui combine, les slasheurs, est habituée à la précarité, elle a grandi avec et sait donc qu'elle va cumuler différentes vies, expériences tout au long de son parcours ( travail, mariage, famille ...). Un étudiant n'a plus peur d'être aussi entrepreneur ou travailleur et il ne voit pas ça comme du négatif mais plutôt comme une nouvelle expérience dans sa vie, les objectifs ont changé. Cynthia Fleury nous rappelle également que même si l'émotion peut entrer dans l'entreprise, il faut le faire en étant attentif ( il y a des émotions positives et négatives) car si tout le monde est dans le lâcher-prise, ça tournera plutôt en une performance artistique très rock'n'roll qu'en management efficace ! Il faut savoir mesurer ses émotions. Le paternalisme est donc bien loin, et il a d'ailleurs été complètement usé par le mondialisme, chacun a un regard ailleurs maintenant, les gens bougent donc l'unique vérité, le protectionnisme à l'extrême ça ne fonctionne plus. Qu'est-ce donc que l'Entreprise Du Futur ? Ce sera un ensemble d'enjeux pour ne pas oublier l'humain qui va devoir trouver sa place entre la robotique, l'IA et toutes les innovations à venir, c'est un travail qui doit commencer maintenant !

Découvrons le point de vue de Marc-Antoine de Saint-Germain :

C'est une aventure humaine bien spécifique que la Marine Nationale et du vivre ensemble, en vase clos sur un navire pour des périodes longues. La Marine est une ETI en un sens pour Marc-Antoine, avec ses codes, ses employés. Et il y a en effet un côté très paternaliste sur un navire, tout est processé : l'heure de se lever, de manger, de faire une pause, de travailler, l'encadrement est maximal ! La notion que Marc-Antoine tente de faire passer sur son bateau c'est que chacun est fondamental pour le navire, et il FAUT le dire et le faire savoir à l'équipage car la considération est indispensable pour que tout marche. Se pose aussi le problème de la nouvelle génération plus que du genre car il faut donner envie aux gens de venir s'engager et de rester. Or, il y a le même problème RH dans la Marine Nationale qu'ailleurs, la fuite des talents, chez les jeunes et les moins jeunes ! En effet tout le monde a envie de participer à ce nouveau monde, au futur et il y a aussi une volonté de rattraper le temps, de profiter et parfois de changer de vie aussi, de voir d'autres horizons, comme la génération slasheur. Pour que le management marche sur le Charles de Gaulle, il mise sur le management de proximité pour maintenir du sens, rester proche de son équipage pour créer une cohésion, il va au contact pour maintenir le lien avec toutes les subsidiarités de chacun. Pour incarner le leadership, il ne faut pas avoir peur de montrer ses émotions, rester humain avec l'humain pour conserver la confiance qui lie tout un équipage, à tous les niveaux de hiérarchie. Et les enjeux de l'Entreprise Du Futur ? Continuer à s'adapter aux générations à venir.

Nous allons terminer par la vision d'Albert Moukheiber :

Tout d'abord, d'après lui, il faut ARRÊTER avec les oppositions homme/femme - jeune/vieux ... car les problématiques sont les mêmes pour tous et surtout chacun a les mêmes besoins. Le travail fait aujourd'hui partie de l'identité de chacun, impression amplifiée par cette course au bonheur distillée par les réseaux sociaux où tout est beau, réussi, lisse et parfait, chacun regarde ces images et veut le même bonheur, ce qui peut créer du stress, de l'insatisfaction, de nouveaux à cause des injonctions contradictoires entre sa vie et celles des autres. Des études scientifiques ont montré que le paternalisme ne marchait plus et ne pouvait plus marcher donc pour Albert, ce sujet est définitivement obsolète. Ce qui importe c'est de réconcilier le sens de la structure pour préserver l'intégrité psychique des employés. Parce que tout le monde veut devenir leader mais dans le collaboratif donc il faut retrouver de nouvelles façons de manager, de créer les postes. Albert met également en garde les entreprises contre les " marchands de rêves ", ceux qui vous disent qu'ils pourront faire la transformation de votre entreprise en un temps record. Non, le changement et la transformation nécessitent de prendre son temps pour que l'adaptation soit pleine et comprise, il faut du temps pour opérer des changements profonds d'ordre sociétal, ça ne sert à rien de se précipiter. Il faut essayer, tenter, se tromper, ce n'est pas grave de se tromper.

En conclusion, chaque intervenant a pu nous apporter un peu de lumière, nous n'avons qu'assez peu parlé du management maternant car là n'est plus la question, il faut casser les codes, remettre l'humain au centre, prendre soin de chacun car il n'y a pas qu'une autre génération avec ses propres codes qui arrive, les employés actuels sont désengagés de l'entreprise à cause de la précarité et pourtant l'avenir, le futur passe par l'Humain. Il y a donc urgence à revoir les RH, le management, les postes de demain car demain, c'est aujourd'hui.

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