Essai de typologie des campagnes et tendances prospectives
On peut parler aujourd’hui d’une vision multifonctionnelle des campagnes, ordonnée autour de trois figures principales : la campagne « ressource » de l’agriculture et des activités économiques, la campagne « cadre de vie » de la résidence et des loisirs, la campagne « nature » - espace de protection et de conservation des équilibres naturels et des ressources.
C’est dans cette optique focalisée sur la diversité des usages et des conceptions que nous tenterons de mieux mettre en exergue les tensions et les synergies entre les différentes figures de la campagne. C’est ainsi que nous comprendrons mieux comment le développement rural obéit à sa manière à des lois spécifiques permettant ensuite de dégager les conditions d’un développement durable de toutes les campagnes. Analysons ces trois figures :
La campagne ressource d’abord. Elle est définie par sa fonction économique et de production. D’abord la production agricole, figure historique de la campagne et de la production de richesse. Les agriculteurs ne représentent plus que 10% de la population active rurale ; l’emploi et l’activité relèvent désormais d’autres logiques que celles de l’agriculture.
La campagne « cadre de vie ». Elle correspond aux usages résidentiels et récréatifs des campagnes. Cette figure résulte du repeuplement des communes rurales constaté depuis 1975 (3 à 4 millions de personnes sont allées vivre dans une commune rurale) et de la mobilité croissante quotidienne de ceux qui travaillant en ville résident à la campagne. Dès lors se posent les problèmes de dissociation entre espace de vie et de travail et d’une nouvelle politique d’aménagement du territoire notamment dans ce qu’il est convenu d’appeler la périurbanisation. La campagne se présente alors comme une valeur refuge, une avant-scène des villes.
La campagne « nature ». Sa montée en puissance est récente et concrétise l’intérêt porté au développement durable et notamment à la durabilité des ressources naturelles. Ces trois figures de la campagne conduisent à évoquer leurs concurrences sur leurs espaces et leurs ressources. Concurrence engendrant des dynamiques conflictuelles dont les débats accompagnant la mise en œuvre des politiques de zonage sont symptomatiques. D’où l’intérêt de distinguer 4 grands types de zones soumises à des tensions conflictuelles : Ces tensions conflictuelles se traduisent par des difficultés à positionner des projets de développement cohérents dans des territoires où cohabitent des zones, des enjeux et des représentations contradictoires.
En 2003, la Société d’Etude Géographique, Economique et Sociologique Appliquée (SEGESA) avait élaboré pour la DATAR, la partition du pays en trois « Frances rurales » : les campagnes des villes, les campagnes fragiles (campagnes agricoles et industrielles), enfin les nouvelles campagnes réparties entre le rural à économie touristique, le rural à attractivité touristique et résidentielle et le rural en transition.
En 2012, la DATAR a publié une nouvelle typologie rendant compte des caractéristiques physiques, climatiques, démographiques, économiques, organisationnelles des espaces concernés comme de leurs fonctions productives, récréatives et environnementales. Cette typologie distingue à son tour trois grandes catégories :
a – Les zones en voie d’extension urbaine qui enregistrent l’effacement progressif de la distinction entre le rural et l’urbain. Elles sont situées en périphérie des villes, grandes, moyennes et petites mais aussi sur le littoral.
b – Les zones agricoles à rural dispersé qui couvrent la plus grande surface du territoire et dans lesquelles l’activité de production agricole et l’exploitation forestière restent prédominantes.
c – Les zones en voie de patrimonialisation : zones de montagne, paysage ou espaces remarquables et certaines parties du littoral (côtes, îles, fonds marins).
d – les zones réceptacles qui abritent des stockages de déchets, d’épandage ainsi que des infrastructures de transport, de logistique et de production d’énergie. Elles coïncident avec des espaces à forte exclusion sociale.
- Les campagnes des villes, du littoral et des vallées urbanisées connaissant une forte croissance résidentielle (16 millions d’habitants sur le territoire national).
- Les campagnes agricoles et industrielles (5,5 millions d’habitants) : les activités industrielles sont prépondérantes et la présence de la sphère agricole et agro-alimentaire affirmée.
- Les campagnes vieillies à très faible densité (5,2 millions d’habitants) : ce sont des campagnes à faible revenu dont l’économie est souvent présentielle, résidentielle et agricole.
A partir de l’évolution de cette typologie, la DATAR a émis plusieurs scénarios qui constituent un cadre de réflexion prospectif utile.
Les « archipels communautaires » Ils concernent des territoires devenus les réceptacles de processus d’isolement ou d’exclusion sous l’emprise de la dérégulation : l’économie résidentielle y est en régression ; la dynamique productive est discontinue.
Les « plateformes productives » Elles sont marquées par l’intensification des productions, la concentration des terres et l’exploitation des sols dans une logique de compétitivité, de mondialisation autour de filières longues qui s’adaptent aux contraintes environnementales en maintenant les signes de qualité. L’exode rural se poursuit, l’économie résidentielle est très faible et le tourisme rural à pratiquement disparu.
« La faible densité absorbée » Ce sont les territoires qui connaissent une croissance démographique sous l’effet de la périurbanisation et du développement des infrastructures routières et ferroviaires (LGV). La France est dessinée sous l’aspect d’un parc résidentiel mité par les maisons individuelles et l’habitat collectif de petite envergure. La pression foncière augmente avec l’extension de l’espace urbain et l’économie des temps de transport. On observe un déclin progressif des politiques rurales et une augmentation des conflits d’usages.
Le « Canevas territorial des systèmes entreprenants » Ce scénario annonce un repositionnement de l’agriculture désormais centrée sur la demande interne, sur la production intensive d’un petit nombre de biens compétitifs et sur l’exploitation de filières spécifiques (proximité, qualité). Ce scénario postule l’effondrement de l’agro-alimentaire tourné vers les marchés internationaux et inscrit son développement dans de nouvelles stratégies entrepreneuriales locales selon des schémas qui s’accommodent du cadre de vie rural : travail à distance, grappes d’entreprises disséminées, transformation locale, regain coopératif et associatif, renouveau d’intérêt pour le patrimoine, la culture et les biens relationnels.
Le maître-mot est créativité. Le dynamisme démographique se renforce de l’arrivée de jeunes porteurs de projets engagés dans des niches de l’économie territoriale et souhaitant concilier projet professionnel et cadre de vie choisi pour une seconde partie de vie professionnelle.
« L’avant-scène des villes » C’est la tendance lourde des sociétés très urbanisées. L’espace naturel est faiblement occupé mais culturellement sensible. Ces espaces de faible densité font figure de complément des métropoles. Ils sont pourvoyeurs de productions et de services dont les bassins de consommation sont essentiellement urbains.
Au-delà de ces scénarios, la question reste de savoir à quelles lois spécifiques le développement rural obéit ?
Il y a tout d’abord le fait que la richesse produite sur un territoire n’apparaît plus comme garante de son développement. Il y a ensuite le divorce géographique constaté entre forces productives et dynamiques de développement ; il y a enfin le décalage entre richesse créée et richesse disponible (le poids des retraites et des transferts sociaux dans le revenu des territoires est très inégal ; les grands gagnants étant les régions du sud pourtant en retard de développement).A partir de ce constat reste à fixer deux objectifs dans les conditions actuelles de gouvernance et de connaissance des mécanismes économiques en jeux :
1- Coordonner le développement économique global avec celui des territoires à différentes échelles, et celui de ces territoires entre eux, ce qui renvoie à l’enjeu de l’inter-territorialité.
2 - Penser et piloter le développement économique local, particulièrement dans les campagnes en articulant base productive, base résidentielle et économie présentielle. Il s’agit d’éviter une dépendance économique trop marquée à la résidence, à la production ou aux transferts sociaux.
C’est sur la base productive que se constitue le potentiel de croissance local d’un territoire. Or comme l’a montré L. Davezies, cette part privée ou exportatrice captée par un territoire ne représente en moyenne que 22% de ses revenus basiques avec une forte concurrence sur les avantages comparatifs qu’il y a ou non à s’installer sur un territoire plutôt qu’un autre. Ce pourcentage de la base productive est équivalent à la base sociale et sanitaire représentée par les revenus de transfert, l’aide sociale, le remboursement des soins.
Quant aux bases résidentielles et publiques, elles représentent respectivement 45% et 10% des revenus captés par un territoire. La fragilité structurelle de la base productive privée doit nous interroger sur les stratégies conduites depuis de nombreuses années qui ont privilégié l’attractivité et l’économie résidentielle - y compris dans le développement tout azimut des zones artisanales et commerciales - au détriment de la production et de la création de richesses.
Christophe Thiébault le 02 Février 2017
éclairer, traduire, transmette
7 ansLa campagne, avant-scène des villes : belle analyse ! Si les villes savaient ce que la campagne, dans sa diversité, peut leur apprendre !
Délégué général
7 ansMerci pour cette analyse très pertinente.
Directrice Générale Ma Bouteille s'appelle Reviens
7 ansUne donnée cruciale bien notée dans cet article: depuis 1970, ceux qui quittent la ville pour la campagne sont plus nombreux que ceux qui font l’inverse. Et surtout l'exode urbain est plus "massif" que ne l'a été l'exode rural au cours de 2 derniers siècles ( environ 110000 personnes par an, contre 70000 pour l’exode rural). Les évolutions depuis 1999 confirment ce retournement de tendance : le taux de croissance de la population dans les communes rurales est désormais supérieur à celui des communes urbaines (cf. INSEE 'recensement 2004-2005') Pour diverses raisons (qualité de vie, coût de la vie, etc…), nos campagnes sont attractives! A noter que, malgré le fait que les métropoles s'en sortent mieux en terme d'attractivité économique et de densité de population, les écarts entre salaires augmentent et la part de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté est plus élevée : 14% en moyenne dans les zones urbaines contre 11,6% dans les zones rurales (cf. INSEE 'enquête emploi 2012'. Les métropoles favoriseraient-elles ainsi les inégalités? Attractivité=opportunités: Les évolutions comportementales sont une aubaine pour nos campagnes. Soutenons et privilégions les innovations rurales, qu'elles concernent la technologie, le monde agricole, les transports, etc…bref les modes de vie.
éclairer, traduire, transmette
7 ansAu-delà de la typologie, la créativité. Merci Christophe de nous faire part de votre expérience. Et si on remplaçait développement territorial par créativité territoriale ; créativité diffuse, "ensemble" ?
Consommation et vie écologiques à l'échelle de l'immeuble : adaptation à moindre coût et dans le bien-être
7 ansAnalyse trés juste, et argumentée en référence aux travaux de Laurent Davezie, économiste des territoires, et enseignant à l'ex. Institut d'Urbanisme Parisien qui a fusionné avec l'IFUP. Laurent Davezie a brillamment démontré en quoi le richesse des territoires provenant de l'économie résidentielle pouvait l'emporter sur la richesse productive, et était à la souce des inégalités territoriales en France. La réappropriation du sujet par Christophe Thiebault nous montre que la tendance actuelle d'un retour à l'agriculture paysanne, encore en forte concurrence avec l'agriculture industrielle, pourrait être à même de mieux équilibrer l'aménagement du territoire. Encore faudrait-il que cette agriculture paysanne soit davantage soutenue au niveaux national et européen !