ET SI NOUS FAISIONS LE CHOIX DE LA JOIE ?
CONTRE LA DÉSESPÉRANCE.
Mon mensuel préféré, Philosophie Magazine, consacre sa une de février à la question « Comment prendre la bonne décision ? ». Alexandre Lacroix, qui en est le directeur de la rédaction, signe un excellent article sur le dilemme provoqué par toute prise de décision, entre la voie du désir et celle de la raison. Entre une conception impulsive et vitale de la prise de décision qui fait du désir le moteur de la réflexion (Cf Hobbes – Le Leviathan), et une conception rationaliste qui conduit à la prudence (Descartes – Les passions de l’âme), Alexandre Lacroix propose de suivre « la voie de la joie » au sens de Spinoza (L’éthique) : « une passion par laquelle l’âme passe à une perfection plus grande ». Car en matière de décision, « laisser l’impulsion de vie décider pour nous, c’est se montrer authentique, mais le désir peut nous précipiter au-devant du danger et de l’autodestruction. Inversement, l’école des choix rationnels permet de suivre un itinéraire optimisé mais risque d’éteindre l’intérêt même que nous trouvons à l’existence ». La bonne décision serait alors de choisir une idée adéquate qui s’accompagne de joie :"Nous prenons une bonne décision quand celle-ci nous rend joyeux, augmentés dans nos pensées et dans nos possibilités". Au-delà cette analyse spécifique du rôle de la joie dans nos processus de décision, c’est le titre de cet article, « Le choix de la joie », qui m’a donné envie d’écrire ce post aujourd’hui, dans un contexte qui donne chaque jour nettement plus de raisons d’être pessimiste qu’optimiste. Dans un précédent Philosophie Magazine qui avait pour thème « Peut-on aller bien dans un monde qui va mal ? », Alexandre Lacroix, dans un article intitulé « Contre le désespoir – Tout contre », invitait chacun d’entre nous à opposer aux maux de l’époque, une autre représentation, un autre récit « qui fasse entendre la voix de notre humanité blessée ». En proposant de créer, par le jeu et par la joie, un monde meilleur à notre portée. C’est ce volontarisme de la joie que je nous propose aujourd’hui d’explorer et surtout d’adopter. Et si la joie était, paradoxalement, la meilleure amie de la lucidité ?
LA PUISSANCE DE LA JOIE.
La joie est une émotion vive, souvent accompagnée d’un sentiment de plénitude que nous éprouvons lorsque nos désirs ou nos besoins sont satisfaits. Elle se distingue du plaisir par sa durée et son intensité, mais elle se distingue aussi du bonheur, qui est davantage un idéal. En religion, elle est un don de l’Esprit qui peut mener à la béatitude. Chez Platon, la joie peut être rapprochée de l’enthousiasme éprouvé par celui qui est inspiré comme l’est le poète ou l’amoureux. Si, pour Spinoza, la joie, davantage intellectualisée, témoigne d’un accroissement de la puissance à connaître, elle exprime, pour Nietzsche, la volonté de puissance en tant qu’acceptation joyeuse de la vie. De nombreux philosophes français contemporains, de Deleuze à André Comte-Sponville, en passant par Charles Pépin, valorisent la joie pour tempérer le tragique de l’existence, tout en dénonçant, comme Pascal Bruckner, l’obligation sociale de vivre dans une « euphorie perpétuelle ». Le philosophe Robert Misrahi, spécialiste de Spinoza, dans son livre d’entretiens avec Marie de Solemne (L’Enthousiasme et la Joie au temps de l’exaspération), insiste sur le fait que nous pouvons tous choisir la joie, la préférer au malheur, même dans une situation tragique. Certes, notre époque, dominée par l’insécurité, les drames, et la peur de l’avenir semble peu propice à la joie. Mais nous pouvons pourtant apprendre à la cultiver pour nous-même. Et surtout pour les autres. Car contrairement au plaisir, la joie est altruiste, et sa diffusion est contagieuse. C’est aussi la thèse que défend Frédéric Lenoir dans son livre « La puissance de la joie », en insistant sur le fait que « La joie de vivre est empathique : elle invite à la compassion, au partage, à l’entraide. Alors que les passions tristes nous enferment dans la peur et nous incitent à nous replier sur nous-mêmes, la joie active fait brûler notre cœur du désir de voir les autres s’épanouir. Elle nous rend plus ouverts, plus audacieux, plus courageux, plus tolérants, davantage soucieux d’autrui ». De nombreux témoignages bouleversants, à toutes les époques de l'humanité, montrent que la joie peut même exister au cœur de l’horreur, comme première source d'humanité.
LA JOIE EST NOTRE FORCE COLLECTIVE.
Pour le philosophe Clément Rosset (La Force majeure), la joie est la force majeure qui permet d’embrasser le réel tout entier, sans avoir à en masquer aucun aspect, aussi horrible soit-il. Sachant que de tout temps et pour toujours, « Être heureux, c’est être heureux malgré tout », et plus particulièrement malgré l’existence de la mort. C’est pourquoi il propose (comme alternative au suicide), une philosophie joyeuse pour un monde où le pire est présent. Clément Rosset souligne le caractère « total » de la joie dans son régime du « tout ou rien » : « il y a dans la joie un mécanisme approbateur qui tend à déborder l’objet particulier qui l’a suscitée pour aboutir à une affirmation du caractère jubilatoire de l’existence en général ». La joie est forcément paradoxale : « c’est une réjouissance inconditionnelle de l’existence alors que rien n’est moins réjouissant que l’existence ». Pour lui, la joie que chacun vit dans sa vie est bien plus motrice et constructive que l’espérance « qui repose sur l’attrait d’une vie autre et améliorée que nul ne vivra jamais ». C’est pourquoi, il donne raison à Nietzsche et à son concept de « gai savoir », qu’il définit comme une « béatitude philosophique où la connaissance la plus lucide et par conséquent la moins réjouissante, s’accorde à l’humeur la plus euphorique ». Rien d’inquiétant ni de triste ne saurait jamais troubler l’humeur d’un philosophe chez lequel la connaissance du pire se confond invariablement avec le sentiment du meilleur.
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LA JOIE EST UN EFFORT CRÉATEUR.
Pour Bergson (L’évolution créatrice), la joie est liée à la conquête de la vie : « Toute grande joie annonce toujours que la vie a réussi, qu’elle a gagné du terrain, qu’elle a remporté une victoire : toute grande joie a un accent triomphal ». Chacun de nous peut éprouver de la joie, à condition qu’il soit dans un processus de partage. Comme l’explique Brigitte Sitbon-Peillon, grande spécialiste de Bergson : "Au contraire des plaisirs égoïstes éphémères, la joie exige un effort, un acte créateur, altruiste". Elle prend l'exemple de la joie profonde des parents qui voient grandir leur enfant ou encore l'exemple des entrepreneurs et des artistes. « L’entrepreneur qui réussit éprouve du plaisir à développer ses affaires de manière profitable. Mais s’il goûte une joie vraie, c’est d’avoir bâti, créé une entreprise épanouissante. L’artiste peut être flatté de voir son œuvre reconnue, il peut se féliciter de sa notoriété, mais il ressentira de la joie surtout en pensant que son idée était belle et novatrice et qu’il a pu transformer les mentalités grâce à elle ». Cet élan joyeux du créateur est un élan vital généreux qui se communique et se propage. En ce sens, chacun d’entre nous peut éprouver de la joie, à la condition expresse qu’il soit dans un processus de création et de partage.
L'ENJEU DE LA JOIE AU TRAVAIL.
Une étude menée par A.T.Kearney en décembre 2018 relayée par la Harvard Business Review en Juillet 2019 sous le titre « Making Joy a priority at work », a permis de montrer, sur la base d’une enquête auprès de plus de 500 personnes de différents pays, âge et niveau hiérarchiques, que les personnes qui ressentaient un sentiment de joie sur leur lieu de travail portaient un jugement plus favorable que les autres sur tous les critères motivationnels (tableau ci-dessus). Les résultats montrent également que la joie est liée à la conviction que le travail a un véritable sens : les personnes qui pensent que leur « entreprise apporte une contribution sociétale positive » et qui se sentent « personnellement engagés dans la réalisation de la vision et de la stratégie de l’entreprise » éprouvent plus de joie au travail que les autres. Mais l’étude met également en évidence un déficit prononcé de « joie au travail » dans la plupart des entreprises (en particulier celle de plus de dix ans d’existence !) : si 90% des personnes interrogées déclarent s’attendre à éprouver un degré important de joie au travail, seulement 37% d’entre elles ont déclaré que c’était le cas. Même si, comme le rappelle Frédéric Lenoir, « La joie ne se commande pas, elle s’invite », il est néanmoins possible de favoriser l’émergence de la joie, de créer un climat qui permette à la joie de d’advenir plus souvent et de s’épanouir. A condition de libérer nous-même la source de joie qui est en nous. Cette joie de vivre de notre enfance qui vit encore à l’intérieur de nous. Cette source de joie est permanente, même si nous n’en percevons que quelques jaillissements occasionnels. Il ne tient qu’à chacune et chacun d’entre nous d’en libérer une plus grande part.
Présidente du bureau d'étude CREAMODEL, modéliste Lectra pour créateurs et maisons de luxe. CEO Kelonia-paris
11 moisMerci pour cette réflexion Nicolas Bordas, je vous suis à 300%, n'ayons pas peur de notre engagement 😂. J'ai choisi comme mantra pour m'accompagner toute cette année 2024 : "Je vibre la joie sous toutes ses formes", vaste programme 😉. D'autant plus que le projet que je développe cette année : "KELONIA" a pour prétention de partager cette joie à travers une nouvelle expérience vestimentaire ✨
Leadership Coach: I help visionary leaders at pivotal moments of change reconnect with their identity and vision, overcome external pressures, and lead with authenticity and clarity to achieve lasting, meaningful impact.
12 moisJ’adhère à 100%. La joie comme indicateur de notre alignement. En 2024, cultivons notre joie. 🤩 merci pour votre idée joyeuse 🙏
Académicien, poète, romancier. Je suis à la recherche de nouvelles opportunités liées à mes compétences professionnelles.
12 moisLa joie telle que vous la présentez se révèle un état d'esprit, une hygiène de vie, une éducation, sans doute une règle de vie, voire une mystique sans réclusion ni conversion forcée au monacalisme! Répandons alors avec force la philosophie du joieisme partout où la vie est menacée par le pessimisme. Penser à un Ministère de la joie ne serait peut-être pas une folle idée.
Co-Founder Maia-BE | L'Agence du Comportement Client | Insights, Stratégie & Formation | Behavioral Sciences Expert
12 moisNous partageons les mêmes lectures ! Faire le choix de la joie est celui que nous recommandons aux marques avec lesquelles Maia-BE travaille afin de depasser la notion de satisfaction. La psychologie positive nous donne les moyens de faire ce choix de façon eclairée et efficace - en tant qu'individu et organisation.
Internarional Account Manager | Remote
12 moisPrerequisite