Exemples de dirigeants dans la crise
C’est au leader qu’il revient de donner le cap dans une situation de crise. Il devient l’intercesseur d’urgence entre une réalité devenue chaotique et son organisation. Toute crise agit comme un révélateur des caractères.
Dans les circonstances actuelles, il semblerait cependant bien arrogant de prétendre ériger des principes, encore moins porter un jugement. On se contentera donc, en espérant être utile, d’observer les bonnes pratiques de communication ayant suivi l’irruption de la crise, sans aucune prétention à l’exhaustivité. Ces communications maîtrisées auront permis de souder le collectif et parfois de faire vibrer les valeurs et la mission de l’organisation par la voix de son dirigeant.
Une certitude : le dirigeant qui se tait limite le discours de son entreprise. Même s’il agit en réalité, son silence laisse l'incertitude planer et diriger le cours de l'action. Sa parole peut être simple, elle n’en est pas moins nécessaire. Il doit montrer être aux commandes pour rassurer et être suivi.
Au cours de ces prises de parole réussies, on trouve notamment les associations rhétoriques suivantes :
· Transparence/Franchise [Situation]
· Authenticité/Proximité [Public]
· Générosité/Action [Victimes/Soignants]
· Défenseur des intérêts [Secteur/Entreprise]
· Meneur d’équipes [Collaborateurs]
Certaines prises de paroles cochent toutes ces cases. Par exemple, Avec ses 11,7 millions d’abonnés sur Twitter, Tim Cook a bien su relayer ses messages Covid-19 assez tôt dans la phase confinement avec des interventions exemplaires sur le fond et sur la forme, jusqu’à sa dernière prise de parole qui constitue un modèle du genre ;
Son message du 18 mars était d’abord pour la communauté locale, cœur des employés et partenaires, via un hashtag sectoriel. Le 19 mars pour l’étranger, avec un premier don et le choix de la langue italienne pour marquer la proximité. Le message du 21 pour annoncer un don global et remercier largement.
Vidéo synthétique d’à peine plus d’une minute, qui lui permet de répéter les messages clés de précédentes annonces de manière plus personnelle. Répéter notamment sa précédente annonce centrale : le don de millions de masques, en précisant donc le chiffre, 10 millions. Dans cette vidéo selfie qu’il mène seul avec pour décor le sport et une tenue très casual, il enchaîne plusieurs phases rapides très maîtrisées, sur un ton cependant détendu.
Proximité : “Hi, it’s Tim”
Partage/communauté : “I work from home like many of you”
Santé/Légalité : “Stay at home” et distanciation
Générosité : Dons des 10 millions de masques
Gratitude 1 : “Medical community deserve our debt of gratitude”
Gratitude 2 : “Thank all the people that we are counting on to work”
Morale : “It is in these toughest times that we show our greatest strength”
Espoir : “I know we will rise to the occasion”
Prendre le temps de dialoguer, et de montrer par l’image
Un grand dirigeant de banque a lui aussi su imposer sa patte, différenciante et personnelle. Le directeur-général du Crédit Agricole, Philippe Brassac, a été l’un des premiers à prendre la parole au début de la séquence le 17 mars.
Il indique le but principal : agir pour préserver le tissu économique, au nom des TPE et PME. Il rappelle la solidité des banques pour désamorcer le parallèle délétère entre 2008 et aujourd'hui. Il montre ainsi la grande capacité et maîtrise du secteur, via l'exemple de son groupe. Il parle aussi aux décideurs publics en rappelant la disponibilité des équipes de la banque, et positionne ainsi le Crédit Agricole comme un acteur engagé au service de la société et à la hauteur d'interlocuteurs publics de très haut niveau.
Il choisit Linkedin et Twitter pour le faire. C'est un bon point, car il s'adresse ainsi à ses employés et au secteur, mais aussi aux décideurs et journalistes.
Il a récidivé la semaine suivante avec un format à la fois simple et audacieux. Seul dans ses bureaux, avec quelques proches collaborateurs dirigeants, comme le capitaine aux manettes de son navire, il prend le temps face caméra d’expliquer la situation, en premier lieu à ses salariés, mais le message va au-delà.
Ce long message de plus de 10 minutes exprime la nécessité de prendre le temps, de détailler les mesures et les enjeux, de dialoguer aussi, face à face. Comme dans une vidéoconférence, le dirigeant est en face de vous : il explique très sereinement et avec clarté les dispositions prises par le groupe.
On notera également l'emploi du format vidéo long pour une communication approfondie, à l’image de Bill Gates dans un dialogue Tedx inédit, riche et interactif. Bill Gates partage son expérience et ses solutions.
Incarner une prise de parole décisive pour les employés et les fournisseurs
Un autre exemple francophone de cette séquence, la prise de parole d’Emmanuel Faber, qui ne s’était exprimé qu’une seule fois, via un tweet reprenant celui de son entreprise qui partageait son intervention sur RTL, assez classique.
Il a eu l’occasion de formaliser une prise de parole plus élaborée, via une vidéo partagée sous forme de thread par l’entreprise, qu’il partage.
Proximité : il justifie la brièveté de son message par l’infobésité actuelle
Partage, générosité : Soutien aux salariés, aux fournisseurs
Ce message, probablement moins réussi que Tim Cook parvient néanmoins à situer un dirigeant qui exprime une vision, au nom du groupe et des salariés.
Quelques défauts cependant : L’image est de mauvaise qualité. Le décor est assez hasardeux, la posture aussi. Le message mériterait d’élaborer, d’humaniser. Même le sous-titrage est erroné par moment. Le thread est austère et pour le moins limité…
Ne pas oublier le poids des médias traditionnels dans ce contexte
La prise de parole le weekend dernier au 20h de France 2 d'Alexandre Bompard dirigeant reconnu et en première ligne a montré quelques bonnes pratiques. Comment s’adresser au plus grand nombre dans cette séquence où les inquiétudes planent sur la sécurité des employés, des consommateurs, sur la chaîne de l’approvisionnement ? Les millions de téléspectateurs quotidiens du 20h de France 2, en forte hausse durant le confinement, est certainement le premier lieu – Alexandre Bompard n’a pas l’audience de Tim Cook sur les réseaux sociaux par ailleurs. Il a annoncé des choses importantes et indispensables, utiles pour son public :
· "On assure une mission de service public de l'alimentation. Il ne faut pas ajouter une crise alimentaire à la crise sanitaire actuelle. On ne peut pas le faire qu'en assurant une sécurité extrêmement stricte pour nos salariés et nos employés"
Ce message-là, clairement énoncé et exemplaire, pour ses employés et ses clients, et par rapport au secteur. Il ajoute d'autres messages utiles dans la même veine, le rappel des mesures sanitaires chez Carrefour :
· "Gel à disposition des caissières ; gants ; plexiglas partout ; gestion des flux ; métrage vérifié"
Il indique que des nouvelles mesures seront prises, ce qui est nécessaire pour marquer les prochaines étapes.
Après avoir rappelé : "la tension, de l'anxiété, de la peur" des employés, un parti pris d’empathie via une communication négative, il marque le premier "je" de l'entretien : "j'ai pris la décision de leur octroyer" cette prime. Ce « je » nécessaire de notre point de vue dans la prise de parole devrait s’associer plutôt à l’action, à l’empathie, qu’à la décision ou la générosité, actes plus collectifs par essence.
C’est un dirigeant aux commandes, conscients de sa responsabilité qui apparait là.
Formats innovants sur plusieurs réseaux pour montrer l’action sur le terrain
Fabrice Le Saché, chef d’entreprise, porte parole et vice président du Medef, prend la parole plusieurs fois par jour, via des formats innovants et interactifs. Via des stories Instagram annonçant ses interventions médiatiques, des vidéos live de ses visites auprès des entreprises, des visuels très éditorialisés pour marquer les temps forts, mais aussi des partages en privé à sa communauté pour assurer un suivi plus personnel et générer un engagement choisi de ses publications.
Les ministres au premier rang pour montrer l’action du gouvernement
Deux exemples évocateurs, Bruno Le Maire et Didier Guillaume. Hier Bruno le Maire s’exprimait en direct sur France 2 dans l’émission Vous Avez la Parole. Moins d’une heure après avoir terminé son grand oral, il partage trois extraits vidéos choisis de son intervention et les partage sur ses réseaux sociaux. Deux extraits font même moins de 30 secondes, un parti pris de « pastilles courtes », parfois proches de la punchline.
Ce partage quasi immédiat de sa prestation via ce format lui permet
1) De peser sur la conversation via le hashtag #valp très actif
2) De mettre en avant 3 messages très maîtrisés
D’encourager l’audience à cliquer sur le lien pour avoir plus que 30 secondes
Mettre en scène le collaboratif et la gouvernance
Le ministre Didier Guillaume lui aussi a bien su capitaliser sur les médias traditionnels dans le cadre de son annonce aux Français inactifs de rejoindre la « grande armée des agriculteurs » cette semaine. Il avait déjà récolté plus de 100 000 inscrits en 48h et devrait atteindre son objectif des 200 000 aidé par cette communication efficace.
Récemment, pour illustrer son ministère au travail, il montre concrètement par l’image comment il parvient à joindre ces collègues italiens et espagnols pour leur transmettre des messages de solidarité mais aussi organiser « la pérennité de la chaîne alimentaire » - des images rares qui le montrent en pleine maîtrise.
Les quatre phases de la crise Covid-19 et la nécessaire adaptation de la communication
Cette crise comptera au moins quatre phases.
- Phase 1. La sidération de l’impact du virus et de l’annonce du confinement. Nous en sortons à peine. La prise de conscience est réalisée, en Europe du moins.
- Phase 2. La phase « plateau » du confinement, qui verra se multiplier questionnements et angoisses. Elle nécessitera écoute et proximité.
- Phase 3. La reprise, après la sortie du confinement, qui se traduira par une envie de faire, de rebondir, tout en étant confronté à un redémarrage économique nécessairement progressif. Ce sera une phase de tension forte après le calme trompeur du « plateau ».
- Phase 4. La sortie, lente et difficile de la crise Covid-19, qui s’échelonnera sur au moins 18 mois, et qui verra l’espoir d’un retour à la normale anéanti par la persistance des préoccupations sanitaires. C’est pendant cette phase que beaucoup d'entreprises connaitront leurs déconvenues (cf. analyse de l’Imperial College sur la phase post-corona)
Le rôle du dirigeant, et donc de sa communication, s’adaptera à chacune de ces phases. Nous entrons en ce moment dans la phase 2, dite « plateau ». Cette phase place les dirigeants face à une situation inédite, ou ils doivent inventer de nouveaux formats pour :
- Garder le lien – en utilisant les médias numériques, les réseaux sociaux notamment vidéo et images (Instagram, Youtube, Facebook), territoires inattendus souvent pour la communication des dirigeants plutôt focalisée sur Linkedin ou Twitter. Ce sont donc des formats courts, fréquents et ciblés qui sont attendus.
- Mobiliser – pour montrer la solidarité de l’organisation (1), la maintenir active (2) avec pour objectif de la préparer au redémarrage (3). Cette mobilisation passe par la création de projets spécifiques à la crise, un dialogue intense avec les équipes, et la réflexion stratégique sur l’après avec l’équipe de direction. Pour communiquer cette action, des formats plus longs (longues vidéos, interviews, tribunes, podcasts), seront nécessaires.
Dès le 13 mars le dirigeant de KPMG France Jay Nirsimloo l’avait vérifié : « tous les dirigeants savent qu’il y aura un avant et un après ». La phase 3 et la phase 4 sont constitutives de cet « après ».
Dans ces deux phases, la première clef sera l’innovation. C’est le constat le mieux partagé aujourd'hui. Innover pour s’adapter à ce « new normal » (digitalisation accélérée, nouveaux process de sécurité sanitaire), mais surtout, innover pour répondre aux mutations profondes de la société et des attentes des clients.
La seconde clef, plus essentielle encore, sera la capacité des dirigeants à faire vivre les valeurs et la raison d'être de leur organisation dans la gestion de l'après. Plus que jamais, le dirigeant est celui par qui se crystallise le sens, non seulement celui de la survie économique mais de l'existence même de l'entreprise. Dans un monde d'après qui sera celui d'une nouvelle recherche, cette capacité sera essentielle. (cf notre livre blanc "C-Level Communication")
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4 ansMerci Edouard pour cette synthèse de la comm de ces dirigeants, qui illustre l'importance d'avoir des leaders qui donnent le cap et fédèrent pour faire avancer leur / la société vers une sortie de crise. Je partage cette vision à 100%, on fait d'ailleurs tout pour la mettre en oeuvre avec nos clients chez AmazingContent ! Partageons nos REX à ce sujet, je t'envoie un message :)
Directrice Relations Institutionnelles, Communication et Partenariats chez Crédit Agricole Nord de France | Writing
4 ansJérémy Woittequand pour exemple CA
Directeur Relation Client et Distributeur - Membre du COMEX AXA Banque
4 ansMerci Edouard Fillias pour cette synthèse sur la communication de crise et la sélection du papier de Bain