Face à la vague de démission chez les Maires de France, comment comprendre le phénomène ?

Réflexions de Michel Champredon, Maire d’Evreux (2008-2014)

Depuis plusieurs années, j'échange avec Guillaume Rouger sur des questions de politique intérieure. Questions, réponses, débats, échanges de points de vue, nous ne sommes pas toujours d'accord mais nous avons l'idéal républicain en partage. Nos derniers échanges portent sur la vague de démission des maires qui frappe notre pays, à la veille des élections municipales de 2020. Comment analyser ce phénomène ? Quelle est la réalité de la vie des élus locaux ? Quelles pistes de solutions apporter ? Quelques questions auxquelles j'apporte mes propres réponses.

Q - Guillaume Rouger : La presse se fait l’écho de démissions de maires de petites et moyennes communes. A cela s’ajoutent des projections sur les prochaines élections municipales pour lesquelles de nombreux maires et élus sortants ne se représenteront pas (on parle de 50 %). Qu’en pensez-vous ?

R - Michel Champredon : C’est une illustration de quatre phénomènes :

-         la crise de la vie politique et de la relation Citoyens/institutions qui se révèlent déjà par l’abstention, les votes populistes antisystème et anti-élites, l’effondrement du système politique des présidentielle et législatives de 2017, la violence verbale sur les réseaux sociaux, le peu de crédit exprimée dans les enquêtes d‘opinion… Beaucoup d’élus sont impactés et vivent mal ce rejet du système auquel ils participent, avec sincérité pour l’essentiel,

-         les corps intermédiaires (élus territoriaux, partis, syndicats, associations), même s’ils sont nécessaires au bon fonctionnement d’une démocratie, ont perdu ces dernières décennies une part importante de la confiance des citoyens. Les raisons en sont multiples : la société s’est davantage développée sur des valeurs individualistes que collectives (qui furent notre ciment entre 1945 et les années 70) ; ces corps intermédiaires se sont également perdus dans une incapacité à produire des perspectives d’avenir, mobilisatrices pour la société et parfois se sont discrédités par des comportements ou postures critiquables,

-         les difficultés de gestion grandissantes des collectivités et la réduction des marges de manœuvre : attente des citoyens de plus de services publics, mais refus des augmentations d’impôts, transferts de charges de l’Etat vers les collectivités sans les compensations suffisantes, augmentation des réglementations qui génèrent des dépenses supplémentaires…Cette réalité crée des frustrations et rend plus difficile la relation élus-citoyens,

-         un effet pervers des récentes fusions d’intercommunalités (faites sous l’impulsion des préfets, pour atteindre une bonne taille et créer un effet de levier). Dans ces grandes intercommunalités, les maires de petites communes, qui souvent ont du mal à se faire entendre de l’exécutif et des services internes, se sentent encore plus loin du cœur de décision. Ils se découragent et vivent mal cette impuissance qui les fragilise face à leurs administrés.

Notre démocratie n’est pas en forme. Les élus prennent de plein fouet le désamour des Français, alors qu’en même temps ceux-ci attendent toujours davantage de leur part pour régler leurs problèmes du quotidien.

Q - Comment analysez-vous ce manque d’attrait pour cette fonction de maire ; alors même que le/la maire est l’élu reste le plus apprécié des citoyens (dans les sondages) ?

MC : Le manque d’attrait est relatif car aux élections il y a toujours (et heureusement) un grand choix de candidats ou de listes.

Néanmoins, les responsabilités importantes qui pèsent sur les élus, notamment sur le plan pénal, une mobilisation et une disponibilité de tous les instants et de faibles indemnités éloignent des fonctions électives des profils intéressants.

Par ailleurs, la vie politique française qui, traditionnellement se caractérise par un climat d’affrontement permanent peut vous entrainer dans des tourbillons médiatiques, voire vous faire subir un lynchage sur les réseaux sociaux, ce qui est difficile à vivre pour soi comme pour son entourage.

Dans les démissions récentes, il semble y avoir également des maires en premier mandat, qui n’avaient pas mesuré l’ampleur de la tâche, et préfèrent renoncer.

Q. Se pose la question une nouvelle fois du statut de l’élu : comment accélérer sur cette question ? Quelles mesures très concrètes prendre à court terme ?

MC : Le statut de l’élu… un vrai « serpent de mer » dont on parle depuis 1981… Penser l’accélérer est un leurre. J’ai acquis la conviction qu’il n’y en aura pas car la haute administration fait obstacle. Elle ne veut pas d’élus sécurisés disposant de vrais moyens pour travailler (elle y perdrait du pouvoir).Je fais le constat qu’il y eut plusieurs occasions de voter un statut de l’élu lors des grandes étapes de décentralisation. En effet, le renforcement des responsabilités données aux élus et les nouvelles contraintes (limitation du cumul…), étaient des occasions d’expliquer aux Français que la contrepartie était de créer un statut de l’élu pour limiter la précarité « professionnelle » inhérente au mandat électif.

Ce statut ne venant pas, on a fait patienter les élus en améliorant quelque peu le nombre d’heures de disponibilité pour aller à des réunions, les droits à la formation… mais ce n’est pas un statut de l’élu. On voit aujourd’hui que le malaise est grandissant et que ces petites avancées ne suffisent pas.

Q - Vous trouvez donc que les indemnités des élus sont insuffisantes ? Pourtant les Français pensent que la vie politique coûte cher.

MC : La vie politique coût certes. C’est le prix de la démocratie. Les pays qui paupérisent leurs élus sont des pays où la corruption est généralisée ; ce qui n’est heureusement pas le cas en France quoique qu’en pensent les Français.

Les citoyens pensant toujours que les élus sont chèrement payés (c’est surtout parce que les salaires sont bas en France). Pourtant eu égard à la responsabilité, les indemnités ne sont ni choquantes ni élevées.

Commençons par le Président de la République avec ses 13.000 euros nets…. est-ce excessif quand on est chef d’Etat d’une des principales puissances économiques du monde, disposant de la responsabilité de l’arme nucléaire… ? N’importe quel chef d’entreprise de quelques centaines de salariés a un salaire net bien plus élevé que le Président. C’est moins que n’importe quel journaliste de télévision qui l’interroge sur le coût de la vie politique, et ces derniers disposent notamment d’avantages avec certaines niches fiscales. Si on veut faire de l’argent ce n’est pas en politique qu’il faut aller.

Soyons plus précis, lorsque j’étais maire d’Evreux (1700 agents et 100 M d’euros de budget + responsabilité pénale et la disponibilité de tous les instants…) j’avais 1.100 € d’indemnité par mois (+ ordinateur portable, téléphone et voiture). J’avais décidé en effet de consacrer l’essentiel de l’enveloppe financière aux adjoints et aux conseillers délégués. En tant que président d’agglomération de 37 communes et 85.000 habitants je percevais 2.900 € par mois (350 agents et 200 M d’euros de budget…).

C’est le salaire d’un cadre moyen dans une grande entreprise.

Q - Derrière cette question se pose la question de la vitalité de notre démocratie et sa capacité à attirer un personnel politique de qualité. Est-il devenu illusoire d’attirer des profils d’excellence vers des fonctions électives ?

MC : Non, regardez notre Président de la République ! Mais si on parle des fonctions électives territoriales, dont les municipales, oui le risque existe.

Un des risques de la mise à l’index de la vie politique (dans les conditions que je viens de décrire) à laquelle contribue le gouvernement en négligeant et en culpabilisant les élus, c’est de faire fuir des profils intéressants. On ne se retrouvera qu’avec des retraités qui s’investissent pour s’occuper ou des profils sans beaucoup d’envergure.

Q - Justement, parlons de votre exemple personnel. Comment les choses se sont-elles passées après la défaite des municipales de 2014 à Evreux, ville dont vous étiez le Maire ? Vous étiez également Président de l’Agglomération du Grand Evreux. Comment les choses se passent-elles dans sa ville et dans le nouveau rapport aux citoyens ?

MC : Pour ma part, après notre défaite, j’ai voulu continuer le même rythme de vie : levée 6 h 20, parfois footing et être prêt à 7 h 30. Sortir dans la ville, aller dans les bars, les restaurants et les manifestations publiques, les marchés du samedi et du dimanche. Je voulais montrer (et peut-être me prouver) que je restais fidèle à ma pratique de terrain et que la défaite ne m’avait pas impacté.

Mais cette posture est difficile à tenir car les gens vous reparlent sans cesse du résultat. Chacun essaie d’analyser les raisons de la défaite : vous avez été victime du vote sanction contre le Président François Hollande ; votre équipe n’était pas assez soudée ; c’est de la faute des commerçants mécontent ; ce sont les travaux qui ont perturbé les habitudes des automobilistes … Vous ne sortez pas de ces discussions à répétition pendant des mois ! Quand vous voulez passer à autre chose, on vous y ramène. Il y a aussi ceux qui disent : il faut tenir bon : il faut préparer la prochaine échéance ; on compte sur vous… J’avais parfois envie de répondre : mais avez-vous voté pour nous ?… Par courtoisie, je me retenais. Souvent j’étais plus serein que les personnes qui s’apitoyaient sur moi et sur nous, comme lors d’un deuil quand vous recevez les condoléances. Bref… des échanges qui paradoxalement veulent vous aider mais vous enferment dans la défaite.

Pour ma part, j’ai toujours eu assez de recul sur la chose politique, sur le rapport au pouvoir et à ses facilités. J’ai toujours été très impliqué dans mes responsabilités sans dépendre du système et tout en restant à bonne distance. Je n’ai jamais dépendu de la politique et suis toujours resté libre. Même dans la tourmente, je ne suis pas tombé dans la déprime. Je connais en revanche certains collègues maires qui ont très mal vécu cette période et ne sortaient plus de chez eux le temps de se reconstruire.

Q - On dit qu’on compte ses amis dans ces périodes, est-ce vrai ?

MC : Oui, il est vrai que le téléphone sonne beaucoup moins ; mais c’est normal et je m’y attendais. Quand on y regarde de prêt on avait beaucoup de contacts car on travaillait sur des projets. Je n’en veux pas à ceux qui ne se sont pas manifestés. C’est la vie. Chacun son tempérament, chacun son éthique personnelle. A part quelques déceptions, y compris de personnes sur la liste municipale que je conduisais, et qui « se sont adaptées » sans transition au nouveau pouvoir. Pour les autres, c’était leur liberté. Quant à tous ceux qui sont des « relations » et non des « amis »… ils sont eux-mêmes entre-deux. Ils ne savent pas toujours comment se positionner et attendent… jusqu’à ce que, les semaines passant, les relations deviennent moins naturelles.

Q – Pourtant les relations de l'élu doivent faciliter la recherche d’un emploi, non ?

MC : Certes, on a des relations. Mais, après une défaite électorale vous perdez votre valeur, vous êtes démonétisé. Par ailleurs, il y a beaucoup de monde sur le marché en même temps. En 2014, on estimait à 2000 personnes le nombre d’élus et de collaborateurs de la majorité présidentielle en recherche et aux profils ressemblants. Les entreprises qui investissent sur des profils politiques sont plus intéressées par les partis qui gagent que par ceux qui perdent.

Par ailleurs, quel est le chef d’entreprise ou le directeur d’administration intéressé pour intégrer dans son équipe un ancien maire, ancien député voire ancien ministre ? Un tel profil est encombrant, voire menaçant pour son leadership et pour son autorité. Ce directeur va le craindre car il a des réseaux qu’il ne connait pas, un accès aux médias… sans compter les options politiques, c’est encore autre chose. Un ancien élu n’est pas le bienvenu dans une équipe. Je connais des anciens députés et anciens ministres toujours en recherche d'emploi depuis la défaite de juin 2017.

Seuls les grands groupes embauchent des anciens élus ou anciens collaborateurs de chaque couleur politique pour un travail de lobbying, chacun dans son réseau : l’un s’occupera des collectivités Les Républicains, l’autre des communistes, l’autre des Socialistes etc… Mais il faut se sentir à l'aise dans ce type de métier. Pour la petite histoire, lorsque j’étais au cabinet du maire de Paris, Bertrand Delanoë, une grande entreprise de bâtiment et de travaux publics m’avait proposé, deux fois, d’être lobbyiste en espérant utiliser mon carnet d’adresses chez les élus (en me proposant 15.000 € /mois). J’ai refusé. C’est un aller (vers le secteur privé) sans retour (vers la chose publique).

Q - Et sur le plan financier comment s’en sort-on ?

MC : Difficilement quand on n’est ni retraité, ni fonctionnaire, ni profession libérale. On se retrouve sans revenu puisque les indemnités d’élu n’ouvrent pas droit à l’allocation chômage (elles ne sont pas un salaire). La perte de mandat peut s’apparenter à un licenciement sec, sans préavis et sans indemnité.

Sur le plan financier, une des difficultés, quand vous faites le choix de rester dans la ville et de vous y montrer, réside dans les sollicitations du quotidien. Quand vous vous retrouvez avec un groupe dans un bar, les gens attendent que vous régliez la facture… comme quand vous étiez maire. Quand vous allez dans une fête de quartier, vous achetez une broderie au club du 3ème âge, dans une fête d’école vous achetez un carnet de tombola etc… sauf que cette fois vous n’avez pas de revenu et vos réserves fondent vite.

Après six mois sans emploi, j’ai décidé de renouer avec mon engagement international. Je suis parti travailler en République démocratique du Congo pour le ministère des Affaires étrangères (conseiller du ministre congolais de la Fonction publique). Trois mois de plus sans revenu et je vendais la maison. Je connais d’ailleurs des collègues maires pour qui la recherche d’emploi a été plus difficile et qui ont été confrontés à des situations parfois très compliquées.

Guillaume Rouger - Merci Michel pour ce témoignage et cette sincérité que l’on vous connaît. Ce statut de l’élu, dont vous parliez, me semble tout de même indispensable si nous voulons éviter un rétrécissement de notre démocratie. Le Président Emmanuel Macron a été élu sous le signe de l’audace et de la réforme : essayons de le convaincre de la nécessité de repenser la place de l’élu dans notre société, et la place du mandat (notamment local) dans une vie de citoyen !

:- :- :- :- :-

jean pierre ngameni

INGÉNIEUR EN DEVELOPPEMENT STRATEGIE MARKETING ET TECHNICO-COMMERCIAL TERRAIN (Recherche active d'un nouveau challenge)

6 ans

Merci Monsieur Michel Champredon. vous ête la lumière du monde.

Hervé Akhim Nsoki

Étudiant en droit, science politique

6 ans

Merci M. Champredon pour cet article qui se présente comme un éveil de conscience citoyenne et un miroir ou une perspective nouvelle d'appréhender notre rôle de citoyen. Vous avez assumer votre rôle de guide politique pour la nouvelle génération, qui souvent oublie son devoir citoyen.##

Merci M. Champredon pour cette transparence et cette honnêteté sur la condition des politiques de notre pays. Ce type de témoignage peut nous conduire à une prise de conscience nécessaire pour mieux appréhender le rôle du citoyen. 

KARIM SLIMANI

Business developer Grands Comptes chez Greenbureau FACILITATEUR de votre RELATION CLIENT WhatsApp -Apple Business Chat - Messenger - Google RCS & My Business

6 ans

Merci pour cet article fort intéressant et de cette sincérité dans vos propos cher Monsieur Champredon !

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