Faut-il communiquer aux Maires le nom des "Fichés S" : un piège en perspective ?
Par Michel Champredon, Maire d’Evreux (2008 - 2014)
Maire d’Evreux (54 000 habitants) et Président de l’Agglomération du Grand Evreux (37 communes et 85 000 habitants) de 2008 à 2014, j’ai écouté les arguments des maires, d’obtenir des services de police la liste des habitants de leur commune « Fichés S ». Le Gouvernement d'Edouard Philippe vient d'en prendre la décision.
Spontanément, j’ai compris cette demande et j’y trouvais même une certaine légitimité s’agissant pour un maire, responsable de l’ordre public dans sa commune, de mieux connaître sa population et d’anticiper d’éventuels enjeux de sécurité.
Le Gouvernement de Bernard Cazeneuve avait refusé au motif que, cette information rendue publique, empêcherait les forces de l’ordre de surveiller efficacement les personnes « Fichée S ». L’objection est tout-à-fait fondée.
Pour ma part, je souhaite apporter un autre éclairage sur les conséquences de cette revendication que je qualifie de fausse-bonne idée. Ce serait un mauvais coup porté à la cohésion sociale et reviendrait en boomerang contre les maires. Par ailleurs, elle changerait leur rôle en matière de sécurité. C’est finalement un piège dans lequel l’élu serait pris, sans pouvoir apporter de véritables réponses aux attentes ainsi générées. Par ailleurs, ce serait une grave remise en cause l’Etat de droit. Pourquoi ?
Pour le démontrer, imaginons que satisfaction soit donnée. Que se passerait-il ?
La cohésion sociale fracturée
Scénario : Le préfet adresse au maire la liste des « fichés S » de sa commune. Même confidentielle, la lettre est ouverte au cabinet du maire (voire au service courrier). Elle est lue pour transmission à la personne en charge de ce domaine. Elle va au secrétariat du maire, et au conseiller en charge de ce domaine, chez le directeur général des services, à la police municipale. Le maire demandera à son directeur général des services de vérifier auprès de la direction des ressources humaines si la commune embauche des personnes fichées. On vérifiera également au service vie associative si la ville subventionne une association embauchant une de ces personnes ou l’ayant au titre de ses responsables bénévoles.
A chaque étape, la personne lit le courrier et en parle à deux ou trois collègues proches. L’information étant importante et même sensationnelle… on en parle, on la partage et on la commente. Et on peut dérouler la pelote… en un ou deux jours, la lettre du Préfet aura été lue par une dizaine de personnes qui, chacune, en aura parlé à une dizaine d’autres… (et même photocopiée voire scannée).
L’information file comme une trainée de poudre et deviendra rapidement publique. Il faudra peu de jours pour qu’elle soit dans la presse et sur internet.
Une fois l’information diffusée, que se passe-t-il ? Les personnes et leur famille deviennent des coupables soumis à la vindicte.
Les gens qui figurent sur cette liste deviennent alors coupables d’intégrisme et par un raccourci, suspectées d’être des terroristes en puissance. Les familles sont mises à l’index par le voisinage qui prendra peur. Une psychose s’intallera.
Dans l’habitat : dans l’escalier des locataires pétitionneront auprès de l’organisme de logement pour faire expulser la famille considérée. Sur quel fondement juridique demandera le bailleur ? Face à l’impossibilité pour l’organisme de lancer la procédure, les locataires demanderont l’intervention du maire… Que pourra-t-il répondre ?
A l’école : les enfants seront regardés différemment. Des parents demanderont que les élèves soient mis dans une autre classe que celle de leur enfant et pourquoi pas renvoyés de l’école… Sur quel fondement juridique demandera le directeur d’école ? Face à l’impossibilité d’agir, les parents solliciteront l’intervention du maire… Que pourra-t-il répondre ?
Dans l’entreprise : des collègues de travail demanderont à changer d’équipe ou de bureau, à ce que la personne suspectée d’intégrisme soit renvoyée…sur quel fondement juridique demandera le dirigeant ? Face à l’impossibilité d’agir, les salariés solliciteront l’intervention du maire … Que pourra - t- il répondre ?
Dans la vie sociale : on observera l’association, le bar, la mosquée que fréquente la personne concernée. Une forme de mise en quarantaine non dite se créera vis-à-vis de ces lieux qui, jusqu’alors, vivaient normalement. Ceux qui avaient l’habitude de discuter avec la personne fichée S, se sentiront coupables de la fréquenter et certains s’en éloigneront, renforçant « sa mise en quarantaine » (il ne manquerait plus qu’une « Etoile jaune »).
Par ailleurs, imaginez la polémique politique dans la vie locale, lancée par certains partis politiques ou associations. Cela constituera une forte pression supplémentaire sur le maire.
On le voit, cette transmission des fichés S, qui peut paraître une demande légitime, fissurerait davantage le corps social, créant une méfiance et montant les gens les uns contre les autres. Ce serait un véritable boomerang contre les élus locaux, bien en peine pour agir concrètement.
Mais finalement, le plus grave serait que cette mesure irait à l’encontre de son objectif initial de renforcement de la sécurité. La divulgation de ce fichier conduirait nécessairement les individus radicalisés, préparant des actes terroristes, à modifier leur comportement : se sachant surveillés, ils prendraient les mesures nécessaires pour masquer leurs agissements, rendant encore plus difficile la mission des services de renseignement. Pendant ce temps, ceux qui respectent la République et son intégrés risquent de se radicaliser par rejet de la société.
Le rôle des élus sur les questions de sécurité changerait radicalement
Le maire verrait son rôle évoluer car on lui demanderait d’intervenir comme un directeur de la police, en appliquant le principe de précaution. Il lui faudra être actif et trouver des solutions rapidement. Mais quelles solutions dans le cadre de l’Etat de droit ? Il se retournera vers le directeur départemental de la sécurité publique. Ses interventions seront vaines car comment condamner des personnes qui ne sont pas passées à l’acte ?
Une remise en cause de l’Etat de droit
Enfin et ce ‘est pas le moindre des enjeux, voudrait-on renoncer à l’habeas corpus qui proclame la liberté fondamentale de ne pas être emprisonné sans jugement ? Voudrait-on retourner aux périodes où régnait l’arbitraire et notamment à celle des « Lettres de cachet », par lesquelles on enfermait à la Bastille ceux qui ne plaisaient pas, sur présentation d’un simple billet signé du roi ? Ce serait le renoncement à l’Etat de droit et donc un changement de régime. Qui est prêt à cela…à part peut-être les plus conservateurs qui n’ont jamais accepté la République ?
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Qu’est-ce qu’une « Fiche S » ? : une fiche signalétique du fichier des personnes recherchées. La lettre S est l'abréviation de « sûreté de l'État ». Les fiches S sont principalement émises par la Direction générale de la Sécurité intérieure (DGSI).
La fiche S est subdivisée en divers niveaux matérialisés par des chiffres, qui vont de « S1 » à « S16 ». Ce niveau de chiffres ne correspond pas à la « dangerosité » d’une personne, mais plutôt aux actions à entreprendre pour le membre des forces de l’ordre qui contrôle cette personne.
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CHEF ENTREPRISE
6 ansTout a fait d accord , ce n'est pas le rôle d'un maire , c'est uniquement celui du ministre de l’intérieur