Gérer les crises c'est échouer vite et souvent
"Fail fast and fail often" est un axiome que l'on entend régulièrement dans le monde de l'innovation. Et même si elle ne fait pas toujours l'unanimité, cette notion de dédramatiser l'échec, de se laisser la liberté de tenter des choses sans rechercher à tout prix un bouc émissaire en cas d'insuccès, résonne parfaitement avec la gestion des crises.
Les crises sont par essence des évènements "hors-cadre", qui nous poussent en dehors du périmètre des plans de contingence. Car s'il existait un plan qu'il suffirait de suivre pour remédier à la situation, nous ne serions pas en crise à proprement parler. L'entreprise qui active un plan de contingence n'est pas, selon moi, en crise : elle fonctionne en mode dégradé, certes, mais elle s'appuie sur un plan existant pour envisager un retour à la normale selon des jalons bien établis. Dans un tel contexte, le cadre fonctionne toujours et il n'est évidemment pas souhaitable "d'échouer vite et souvent" : les mesures de contingence doivent être appliquées et elles doivent fonctionner. Sinon, le problème est ailleurs !
C'est lorsqu'il n'y a pas de plan, ou que les mesures de contingences échouent, que l'on peut se dire en crise. Et dans une telle situation, s'attacher au cadre peut être dangereux. Car le cadre limite les options, il délimite un territoire qui est celui de l'état d'avant : un état conçu pour assurer le fonctionnement quotidien et durer dans le temps. Et surtout un état dont la mission est de conduire l'organisation vers ses objectifs... qui ne sont pas forcément ceux du temps de crise !
L'organisation de la crise n'est pas celle du quotidien
C'est précisément pour cela que l'organisation de crise est rarement celle du quotidien. C'est pour cela aussi que les dirigeants sont rarement les patrons de la cellule de crise. Gérer la crise, finalement, revient à se mettre en "mode start-up". À faire appel à toute la créativité et toute l'énergie d'équipes ultra-motivées fondues dans une organisation très horizontale (au sein de la cellule de crise, qui inclut entre autres les responsables métiers concernés).
Cela revient, aussi, à faire remonter rapidement et efficacement les idées du terrain. Et surtout, à entretenir une boucle courte entre l'observation, l'analyse, la décision et l'action (la fameuse boucle OODA du colonel John Boyd). Autant de choses qui, au quotidien, ne fonctionneraient pas ou exigeraient beaucoup trop d'énergie et de micro-management au-delà d'une certaine taille.
En particulier, revenir en mode start-up permet de tester des choses... En tester beaucoup, qui n'ont pas vocation à être pérennisées, mais qui contribuent lorsqu'elles fonctionnent à faire avancer l'organisation d'un cran vers la sortie de crise, ou même tout simplement à la maintenir à flot le temps de tester d'autres choses encore.
Mais cela implique forcément de commettre des erreurs. Des erreurs d'évaluation ou d'appréciation, parce qu'il faut avancer dans un contexte ou l'information est souvent parcellaire et où la situation évolue rapidement. Ces erreurs doivent alors pouvoir être identifiées rapidement (grâce à la boucle OODA courte) et être enterrées, pour laisser la place à une meilleure approche... (car le temps de la crise est contraint et il n'est pas question d'errements inutiles : perdre du temps avec des approches condamnées peut être fatal)
L'objectif de la gestion de crise est donc, à mon sens, de créer les conditions favorables à ce fonctionnement : permettre l'échec rapide et sans blâme afin d'itérer sur les bonnes idées. Proposer des mesures qui limiteront l'impact des initiatives qui échouent et savoir capitaliser sur celles qui réussissent. Et en définitive découvrir ainsi le chemin vers la sortie de crise. Un chemin qui n'était pas écrit, qui sera forcément unique et dont il faudra documenter chaque étape pour alimenter le retour d'expérience final.
Une start-up, oui, mais une start-up responsable !
Il n'est bien entendu pas question pour autant de faire n'importe quoi. Le mode start-up, oui, mais une start-up responsable ! Car l'entreprise ne saurait s'affranchir de ses obligations légales et contractuelles sous prétexte de crise (les crises publiques, bien sûr, diffèrent sur ce point). Certaines choses peuvent certes être renégociées, mais globalement l'entreprise n'a pas vraiment de joker à sa disposition vis-à-vis des tiers, sauf à compter sur la compréhension de ses partenaires (ce qui arrive malgré tout régulièrement).
Il est donc important que l'organisation de crise soit aussi en mesure d'assurer le respect des obligations afin de ne pas ajouter la crise à la crise (en prenant des décisions qui aggraveraient la situation, ouvriraient un second front légal ou ajouteraient une sur-crise de communication). C'est un travail d'équilibriste, entre formalisme et ouverture à toutes les propositions, entre chaos maîtrisé et rigueur de la main courante. Bref, c'est un métier !
Une histoire de culture avant tout
Loin de moi, donc, l'idée de suggérer que la gestion de crise consiste à tout essayer au petit bonheur jusqu'à ce quelque chose fonctionne ! Je tiens surtout à souligner l'importance de l'agilité et de l'humilité dans le pilotage de la crise, et la nécessité d'entretenir la culture de la proposition et non du blâme.
Car itérer rapidement, tuer les mauvaises idées et ne garder que les bonnes ne peut se faire qu'au sein d'une culture particulière. Dans un environnement où l'échec n'est pas stigmatisant (loin des fameux "career limiting moves" chers aux organisations les plus castratrices), et là où chacun - parce que c'est un professionnel dont on respecte l'expertise - peut s'exprimer et proposer des choses. Le temps de la crise n'est pas celui du blâme - ni sur son origine ni sur les propositions de sortie qui ne fonctionneraient pas. Et cette culture devrait à mon sens être celle qui prévaut au sein de la cellule de crise.
A cette condition, la cellule de crise échouera peut-être régulièrement. Mais ce sera sans douleur, dans un cadre maîtrisé... et c'est précisément ce qui lui permettra de découvrir le chemin vers la sortie de crise !
Créateur d'exercices de Gestion de Crise Cyber, Airbus CyberSecurity - Préparer les organisations aux crises Cyber
4 ansEt c'est pour ça que la cellule de crise doit pouvoir se tromper dans des conditions maîtrisées et de test comme par exemple lors d'entrainement. Se tromper sans risque pour l'organisation c'est apprendre de ces erreurs et s'améliorer.
CISO/CSO PwC France - President at CIX-A / Cyber Intelligence X sectors Alliance
4 ansMon cher Jerome Saiz c'est tellement vrai. La crise c'est quand on est au delà des procédures et du périmètre préparé. Alors oui forcément il y a des décisions qui ne sont pas toujours les plus adaptées à un moment donné parce qu'on n'a pas (encore) les bonnes informations ou que les moyens ne sont pas disponibles. Par contre la cellule de crise est justement là pour adapter en permanence les décisions et réactions, dont finalement on arrive à corriger ce qui n'était pas approprié, parce que la situation évoluant les informations à disposition permettent de le faire ou parce que les moyens qu'on n'avait pas arrivent enfin.