Genèse et enjeux du krach pétrolier en 2016

Genèse et enjeux du krach pétrolier en 2016

Les raisons du krach pétrolier actuel

Entre 1998 et 2013, le prix du baril a été multiplié par 5, à tel point que Christine Lagarde, en 2008, plaisantait en recommandant aux français, face à la montée des prix du pétrole, de faire du vélo. Ces prix ont été tirés vers le haut principalement par la peur de l'offre en raison de certaines crises géopolitiques comme en Libye, la volonté de l'Arabie Saoudite de maintenir des prix élevés combinée à l'augmentation de la demande dans les émergents et en Chine soutenue par leurs fortes croissances. 

Cependant depuis mi-2014, les prix ont chuté  :

  • Le contexte géopolitique : le retour de la Lybie comme producteur important et la décision de l’OPEP de ne pas modifier ses quantités produites.
  • Une demande plus faible avec de mauvaises perspectives de croissance en Europe et une croissance moins forte que prévue en Asie
"Pour faire face à la hausse du pétrole, je conseille aux français de faire du vélo" Christine Lagarde, 2008

De nombreux facteurs s’y ajoutent :

 

  • La dernière période de prix très hauts a encouragé les investissements pétroliers comme ce fut le cas pour l’industrie offshore dans les années 1970. Cela a pour conséquence une hausse de la demande. Il y a ainsi eu une récente diversification des ressources avec le pétrole conventionnel qui ne représente plus que 80% des approvisionnements contre 90% en 2000, et une prévision à 65% en 2035.
  • Les Etats-Unis sont devenus les premiers producteurs mondiaux : 75% de sa demande est satisfaite par la production nationale depuis le boom des gaz de schiste.
  • La fin de l’embargo iranien introduit un nouvel acteur majeur sur le marché de l’offre.
  • L’Arabie Saoudite ne veut plus jouer son rôle de « Swing producer » dans la mesure où les autres pays OPEP et non-OPEP ne font aucun effort pour stabiliser le marché. Cela est d’autant plus vrai que l’ennemi iranien compte produire le maximum pour gagner des parts de marché. L’Arabie Saoudite ne veut pas reconnaître les mêmes erreurs que celles qui ont menés au contre-choc pétrolier. Elle souhaite également miner le terrain aux gaz de schiste US et diminuer les bénéfices d’un de ses principaux concurrents : la Russie.
  • Ralentissement de la croissance chinoise.

 

Bilan : un excès durable de l’offre sur la demande, en moyenne de 500 000 barils par jour, qui ne trouvent donc pas preneur.

Cette situation soulève de nombreuses questions :

 

  • Comment retrouver un équilibre de l’offre et de la demande ?
  • L’effet contagion est-il possible en cas d’éclatement de la bulle des « shale oil » ?
  • Et surtout, qui assumera les coûts de ce rééquilibre ?

 

 

I.  Les premières conséquences néfastes en 2016

 

La déstabilisation des entreprises productrices et des fournisseurs

Face à la chute vertigineuse des prix du pétrole début 2016, producteurs comme fournisseurs ont adopté une stratégie de baisse des coûts, stratégie qui aura, bien entendu des conséquences certaines sur l’emploi. Cela, alors même que le secteur a supprimé, en 2015, plusieurs dizaines de milliers de postes. Mais ces coupes passeront aussi par des réductions tarifaires pour les fournisseurs. Selon Rigzone, qui collecte les données dans le secteur, le coût annuel de location d’un navire de forage est tombé de 405.000$ en 2014 à 332.000$ en 2015 (source Les Echos). L’impact est donc très violent pour ces fournisseurs, sur qui est répercutée la baisse des prix.

Ainsi, force est de constater que le krach pétrolier a mis à mal les majors (baisse des bénéfices de Shell de 90% annoncée début février) et entreprises productrices mais aussi et peut-être surtout leurs fournisseurs. En témoignent les situations de CGG (certes en restructuration depuis 2013) et surtout de Vallourec, soutenu par l’Etat français via la BPI, qui ont eu recours à des augmentations de capital coup sur coup de, respectivement, 350M€ et de 1Md€. L’action de Technip a, elle aussi perdu plus de 15% en janvier, avant de revenir à des niveaux plus rassurants, témoignant de la volatilité des cours des entreprises pétrolières et parapétrolières. Mais à force de réduire le nombre de projets en exploitation, de lancements de projets, les travaux de maintenance et leurs effectifs, les entreprises du secteur hypothèquent leur croissance future.

Mais, à force de réduire le nombre de projets en exploitation, de lancements de projets et les travaux de maintenance et leurs effectifs, les entreprise du secteur hypothèquent leur croissance future.

En outre, les nombreuses entreprises s’étant lancées dans la « manne » que semblait représenter le gaz de schiste aux Etats-Unis, commencent à en payer le prix. En effet, le seuil de rentabilité de ces exploitations est atteint pour un baril au seuil minimum de 60$. Jusqu’à remettre en cause, l’avantage stratégique et économique actuel des Etats-Unis ?

Le risque de contagion au secteur bancaire

Cependant, les effets néfastes ne se limitent pas aux secteurs pétroliers et parapétroliers mais risquent de contaminer le secteur bancaire. En témoignent les chutes récentes des titres en bourses des grandes banques d’affaires telle JP Morgan ou Citigroup, malgré la publication de résultats plus que flatteurs. Les investisseurs s’inquiètent en effet des problèmes dans le secteur pétrolier à qui les banques ont prêté sans compter.

La chute des cours, laisse en effet craindre des faillites qui empêcheraient lesdites sociétés à honorer leurs dettes. Cela même, alors que les défauts de paiement du secteur chez Bank of America se sont accrus de 100M$ au dernier trimestre 2015 (source Les Echos).  

Si les risques semblent limités dans les grandes banques internationales, où la part des crédits aux secteurs pétroliers et parapétroliers ne représentent en général, pas plus de 2% comme chez JP Morgan, la situation est plus préoccupante chez certaines banques locales aux Etats-Unis. C’est notamment le cas de Midsouth Bank, pour laquelle plus de 20% des crédits sont accordés à ce secteur. De quoi laisser craindre des faillites dans le secteur bancaire si les prix du baril venaient à stagner à de si bas niveaux sur une longue durée.

Qui entraîne une instabilité boursière indéniable

Depuis le 1er Décembre 2015, le CAC40 a perdu près de 700 points, soit 14,5% passant de 4914pts à 4200pts au 5 février, quand le Cac Mid&Small passait de 11170pts à 10 031pts perdant près de 10,2%. De même, l’indice S&P 500 a perdu plus de 10% depuis le début de cette année. De krach pétrolier, arrive-t-on à un krach boursier ? Quoiqu’il en soit, nombreux sont les analystes qui recommandent d’alléger les positions sur les compagnies pétrolières, et cela devient préoccupant.

Qui assumera les coûts de ce déséquilibre?

 

II. La remise en cause des modèles économiques

 

La fragilisation du modèle de croissance verte durable ?

D’un autre côté, le secteur des énergies vertes, au moins sur le court terme, pourrait être un des premiers à en payer le prix. En effet malgré l’augmentation mécanique des investissements dans un secteur dont les coûts de production d’énergie ne font que diminuer au fil du temps, un faible coût du baril, réduit en apparence pour le consommateur, la nécessité de passer à des moyens de transport durable. Pourquoi investir dans un nouveau mode de transport plus cher s’il ne permet même pas de réaliser des économies sur la durée (en plus de protéger la planète) ?

Vous souvenez-vous de la COP21 ? Mais si, cette conférence dont on a tant parlé et qui, paraît-il a été un grand succès fin 2015! Le prix du baril semble avoir enterré les bonnes résolutions des pays, d’autant plus que cet accord reste encore à signer, puis à mettre en place. En effet, la mise à disposition d’un pétrole moins cher à la pompe permet de contenter les foules (donc les électeurs) et entraîne un ralentissement des efforts mis sur le développement des énergies renouvelables. Tant que le pétrole sera en dessous des 70$, ce risque pèsera sur des constructeurs, qui, malgré tous les efforts mis en place, pourraient être confrontés à un retournement passager du marché : faire face à des consommateurs qui ne seraient plus intéressés par des véhicules moins polluants mais plus coûteux sur le long terme.

Des difficultés économiques pour les pays producteurs

Si la chute du prix du baril est source d’instabilité dans les économies occidentales, elle est un véritable danger pour les pays producteurs. Ainsi, 98% des exportations de l’Algérie proviennent des exportations d’hydrocarbures, illustrant la dépendance du pays à l'or noir et laissant imaginer les difficultés économiques, donc sociales, sans précédent auxquelles fait désormais face le pays. Le Venezuela, le Nigeria, l’Angola, et même l’Arabie Saoudite en partie instigatrice de la chute des prix, doivent essuyer des pertes colossales. Ainsi la possibilité évoquée par l’Arabie Saoudite d’ouvrir le capital du plus beau des joyaux de la couronne, Saudi Aramco, n’est-elle pas anodine et décorrélée des événements actuels. Ils se trouvent en effet tous face un point mort d’exploitation bien au dessus des 30$ actuels, ce point mort pouvant parfois s’élever jusqu’à 80$ le baril selon la Deutsche Bank (source Les Echos).

Même la Norvège, pourtant réputée très bien gérer ses ressources et ses revenus, en raison de l’absence de corruption et d’une stratégie de diversification, commence à souffrir. La Russie, elle aussi voit ses recettes fondre comme neige au soleil (quand on parle de réchauffement climatique !), elle, dont la moitié des recettes en devises provient des hydrocarbures. ont la moitié des recettes en devises provient des hydrocarbures, subit de plein fouet la chute des cours.

 

III. La chute des prix : un rayon  de soleil qui ne suffit pourtant pas

 

L’effondrement des prix du pétrole a notamment été une aubaine pour le gouvernement français qui a pu annoncer une réduction du déficit de 21,6% à 47,5Mds€, ceci étant également la conséquence de la baisse de l’euro. Elle a également été une aubaine pour les consommateurs. On a ainsi pu constater aux Etats-Unis que les automobilistes ont dépensé 100Mds$ en moins en 2015 qu’en 2014 à la pompe, ce qui représente à peu près le PIB du Maroc et une économie de presque 800$ par automobiliste sur l’année.

Les compagnies de transport ou de fret comme CMA-CGM profitent pleinement de la chute des cours. En effet si l’on considère qu’un porte-conteneurs consomme 10 000 tonnes de pétrole sur un aller retour Europe-Asie, la chute des prix depuis le début de l’année 2015 de près de 30$, permettrait d’économiser près de 2M$ à chaque trajet. En ce qui concerne les compagnies aériennes, la négociation de contrats swap ralentit forcément dans un premier temps les effets positifs de la chute des prix du pétrole mais sur le moyen et le long terme, il est indéniable qu’elles en profiteront également.

Enfin, la dernière conséquence positive que j’aimerais mettre en évidence dans cet article, est l’influence de la chute des cours sur les revenus de l’EI. Le montant des revenus annuels de l’Etat Islamique ont été évalués l’an dernier à 1Md$, les ventes de pétrole comptant pour 100M$. La destruction des dépôts, raffineries et champs pétrolifères par la coalition internationale couplée à al chute des cours peut donc amputer les revenus de l’organisation et la déstabiliser mais néanmoins pas assez pour la mettre à mal à long terme.

 

Conclusion

Et si les germes de nouvelles discordes avaient été semés ?

Depuis les accords du Quincy datant de février 1945, au cours desquels a été signé un pacte commercial entre les Etats-Unis et l’Arabie Saoudite, une relation privilégiée, renouvelée en 2005 par George W. Bush, semblait s’être instaurée. Cependant ce pacte incluait l’approvisionnement privilégié et sécurisé en pétrole des Etats-Unis par l’Arabie Saoudite en échange de la protection du régime de la dynastie Saoud. Et depuis le développement par les Etats-Unis des gaz de schiste et le rapprochement en 2013 avec l’Iran de Rohani, ennemi historique de l’Arabie Saoudite, Ryiad a décidé de prendre ses distances avec Washington. Peut-être au point de le considérer à présent, comme la Russie, comme un rival économique qui aurait conduit la pétromonarchie a tant peser sur les prix à l’échelle mondial, afin de rendre non viable l’exploitation américaine de gaz de schiste.

Et si la prochaine crise allait être pétrolière ?

A l’aune de ces informations, on peut légitimement s’interroger sur la stabilité de la filière pétrolière et de certains pans de l’économie mondiale qui sont directement ou indirectement affectés par la baisse des prix du pétrole.

Situation économiquement instable, à laquelle s’ajoute des des déséquilibres géoplitiques puisque l’échange du pétrole est le fruit d’alliances et d’accords en tout genre qui sont cependant aujourd’hui remis en cause. Outre la fragilisation des relations entre certaines grandes puissances mondiales, déjà les équilibres internes, économiques et sociaux, des pays exportateurs sont en danger.


Sans vouloir tomber dans l’excès de pessimisme, rappelons que la dernière grosse crise financière s’est nourrie des déséquilibres du marché immobilier américain. Aujourd’hui les déséquilibres issus de la baisse du cours du pétrole sont mondiaux et se doublent de tensions entre pays.

Alors que la finance n’a pas vraiment été régulée, doit-on craindre que cette accumulation de signaux négatifs mette de nouveau en danger l’économie mondiale ?

 

Maxime Huzar

Merci à Jérémie Mélis, Paul Martin, Mohammed Lemhandez Imani et à Théophile Tabary.

Benjamin MAS

Directeur Marketing - MadeForMed

8 ans

Analyse interessante. Pour approndir le sujet, je recommende vivement le livre "Or Noir : la grande histore du petrole" de Matthieu Auzanneau.

Charles Claron

Doctorant en économie écologique à l'Ecole des Ponts ParisTech. Master in Management (HEC Paris, 2019) et Master en Economie de l'Environnement (AgroParisTech, 2020).

8 ans

Astucieux

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