Heetch : procès emblématique et témoignage...

Heetch : procès emblématique et témoignage...

Il m’a été donné il y a 10 jours de témoigner au Tribunal Correctionnel de Paris lors du procès Heetch…

Lorsque Teddy Pellerin m’a proposé cet exercice, j’ai accepté immédiatement car l’aventure de l’équipe Heetch attire spontanément ma sympathie et parce que cette affaire est emblématique de la transformation de notre économie et de notre société.

Mon entourage professionnel et associatif n’était pas unanimement « fan » de cette intervention. J’ai tenu mon engagement vis-à-vis de Teddy parce que je l’avais pris, parce que, n’étant pas investisseur dans Heetch mais dans Blablacar, mon point de vue relèverait d’une forme d’objectivité et parce que témoigner sous serment ce n’est finalement qu’apporter au tribunal un éclairage factuel parmi d’autres.

Il ne m’appartenait pas de témoigner sur les bénéfices « socio-économiques » de Heetch. Mes neveux et nièces ou les enfants de mes amis - utilisateurs-passagers réguliers de l’application - m’en ont convaincu mais j’aurais été évidemment hors de mon champ de compétences professionnelles. D’autres témoins ont pu apparemment le faire…

Mon propos a d’abord porté, de façon générale, sur la « plateformisation » de l’économie et sur la situation finalement assez habituelle par laquelle une start-up innovante se retrouve à agir dans un cadre juridique ou réglementaire mouvant. Cette situation est courante du fait d’une révolution des usages qui rend la législation existante obsolète ou décalée. Cette obsolescence ou décalage n’est pas facile à appréhender pour le législateur…

Soit il se précipite à légiférer « contre » et les principales victimes vont être les acteurs locaux émergents ainsi que leurs utilisateurs très appétents à ces nouveaux usages. Soit il essaie de légiférer « vite et pour » et il prend le risque de légaliser des situations abusives ou peu acceptables. En général, le législateur intervient à posteriori entérinant la légalité d’un usage devenu « mainstream » en y apportant les restrictions et contraintes qui lui paraissent légitimes…

J’ai ensuite expliqué au tribunal que l’internet Americano-Européen était un seul et unique continent économique et que des centaines d’acteurs travaillaient sur ces nouveaux usages dans le cadre d’une compétition internationale féroce. Ainsi, si la France (ou l’Europe) adoptait une posture hostile à l’expérimentation de ces nouveaux usages, elle finirait bel et bien « colonisée » par les startups, devenues entretemps des géants, ayant pu se financer et prospérer sous des cieux plus cléments…

J’ai enfin abordé le sujet du covoiturage (que je connais de par mon mandat d’administrateur chez Blablacar). La législation concernant cette activité est récente alors que le covoiturage longue-distance est une activité qui a démarré il y a 10 ans dans notre pays (les aspects fiscaux n’ont d’ailleurs été clarifiés par l’administration fiscale que depuis quelques semaines). Qu’il s’agisse du législateur ou de l’administration fiscale, ils ont agi à posteriori constatant l’adoption massive du co-voiturage longue distance (10 millions de Français y ont recours) et finalement entérinant et encadrant la réalité d’un marché ayant atteint une forme maturité.

Concernant le covoiturage courte-distance (notamment urbain), les jeux ne sont pas faits, loin de là. Des dizaines de start-ups travaillent, par exemple, sur le sujet du « covoiturage domicile-travail » qui paraît une évidence faisant l’objet d’un consensus écologique et sociétal mais aucun modèle ne s’est encore imposé. Le législateur n’est donc pas encore en mesure de légiférer de façon pertinente sur le sujet.

Il était assez difficile d’aller au-delà dans mon témoignage sans faire de la science-fiction mais ce que l’on peut assez raisonnablement prédire, c’est que le modèle de co-voiturage urbain qui émergera sera proche de celui de Heetch sur 3 volets.

Premier volet : c’est sans doute le passager qui initiera la demande de trajet et le conducteur (assisté plus ou moins par l’application) qui se déterminera sur l’acceptabilité du (ou des) détour(s) et du retard prévisible induit. La notion de détour et de retard reste marginale dans le covoiturage longue distance quand il s’agit de faire quelques kilomètres supplémentaires et perdre quelques minutes sur un trajet de 300 km et 3 heures…

Second volet : le plafond basé sur l’indemnité kilométrique (barème Acoss) pour définir le partage de frais sera vraisemblablement révisé à la hausse pour prendre en compte détours et délais et pour que la « participation aux frais » devienne incitative pour le conducteur (ndr : je pense, d’ailleurs, que le passager sera lui-même encouragé par une indemnité de son employeur et/ou par une réduction « écologique » d’impôts).

Troisième volet : il est probable, une fois le modèle d’usage et le modèle économique validés, que l’offre de « particulier à particulier » sera rapidement complétée (sur les meilleures « routes ») par une offre professionnelle (sans doute à base de minivans) et qu’un certain nombre de particuliers y trouveront non pas un moyen d’aller ou revenir du travail mais une source de « revenus » améliorant leurs ordinaires…

Il y aura un continuum « conducteur co-consommateur – conducteur/chauffeur amateur –chauffeur professionnel » servant un nouveau marché répondant à une demande aujourd’hui insatisfaite. A quelles conditions les « conducteurs/chauffeurs-amateurs » seront-ils considérés comme des co-voitureurs ? C’est la question à laquelle je ne sais pas répondre.

Cette cohabitation et ce continuum sont habituels dans l’économie des plateformes. Il appartiendra ainsi au législateur de fixer, le jour venu, les limites et restrictions qu’il estime nécessaires en termes de concurrence, de fiscalité, de financement de la protection sociale, de protection du consommateur… C’est finalement aussi un peu la question qui est posée - sans doute prématurément - au juge du procès Heetch…

Je terminerai ce long post par une petite pique à l’encontre des avocats des taxis qui ne m’ont pas ménagé lors de leurs questions. Ils ont prétendu voir en France Digitale (dont je suis co-président), un « lobby » ou un « groupe de pression » n’ayant comme credo qu’une confiance absolue dans la « main invisible du marché ». Une façon de me diaboliser aux yeux du tribunal qui a compris, je l’espère, que s’agissant de « groupe de pression », notre petite association de « startupeurs & VCs » a encore beaucoup à apprendre du fameux « lobby des taxis » ! ;-)

... Christian SAYEGH ...

Co-Fondateur Cloudnetcare - Plateforme unique d'automatisation de tests fonctionnels

7 ans

Jean-David, merci pour cette réponse. Ma fille réside à Lille et peut continuer à utiliser Blablacar, mon fils pour ses sorties Parisienne (j'habite en banlieue) ne pourra plus utiliser Heetch et comme de nombreux parents pour ne pas attendre angoissé son retour j'ira le chercher. Sans faire de science fiction, lorsque le co-voiturage longue distance atteindra des parts de marché trop juteuses il est fort à parier que des acteurs comme : la SNCF, Air France, des compagnies de BUS se mettront en collectif pour demander, comme les chauffeurs de taxis, réparation. Belle journée à tous

Maxence Boyenval

Operation Director - Co-founder chez Horizon Data Services

7 ans

Louis-Francois Hicter, "En général, le législateur intervient à posteriori entérinant la légalité d’un usage devenu « mainstream » en y apportant les restrictions et contraintes qui lui paraissent légitimes…"

Geoffrey Pescio

Financial Controller - LMDW

8 ans

Pour tous ceux qui habitent en banlieue, les chauffeurs Heetch sont les seuls à accepter de les ramener. Les taxis, eux, ne restent que dans le centre Paris et peuvent accepter les villes limitrophes de Paris. Compagnies et syndicats de taxis, merci d'accepter les courses Paris-Banlieue ou bien laisser travailler quelques chauffeurs Heetch et abandonner les charges de ce procès. Merci. Utilisateur de Heetch.

Philippe DARROUX

moniteur de Polo et associé Equidarmor SEOA Vétérinaire.

8 ans

Belle demonstration Jean-David, elle est encourrageante.

Cool comme analyse et plutot juste au vu de notre propre expérience de leader du difficile covoiturage urbain et le phantasme du domicile -travail. A voir si la France saura resté dans le coup ou se fera ... coloniser dans 2 ans par une belle startup étrangère...

Identifiez-vous pour afficher ou ajouter un commentaire

Plus d’articles de Jean-David Chamboredon

Autres pages consultées

Explorer les sujets